Par

À la suite des dernières élections sénatoriales du 24 septembre, le PCF progresse et le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste-Kanaky (CRCE-Kanaky) sort renouvelé et renforcé avec désormais dix-huit élus dont huit femmes. Face à la droite sénatoriale et à la macronie, de nombreux défis attendent le groupe, notamment avec le projet de loi sur l’immigration ou encore le projet de loi de finances. Cause commune a rencontré Cécile Cukierman, la nouvelle présidente du groupe pour évoquer ces différents enjeux.

Propos recueillis par Nicolas Tardits

CC : Quel bilan tirez-vous de ces dernières élections sénatoriales marquées par le renforcement du groupe dont vous prenez la présidence en succédant à éliane Assassi ?

Très simplement, c’est une belle moisson. Au-delà de la formule, c’est la reconnaissance de notre travail collectif au Sénat, mais aussi dans chaque département. Celui d’une gauche sincère, combative, ancrée dans la réalité des collectivités locales avec son réseau d’élus. Ces élections, avec le renouvellement par moitié du palais du Luxembourg, représentaient un grand défi pour le groupe CRCE qui soumettait onze de ses quinze sièges au suffrage. Il en sort renforcé mais surtout élargi. En effet, nous étendons notre assise territoriale en gagnant des élus à La Réunion, en Meurthe-et-­Moselle, en Seine-et-Marne, dans le Val-d’Oise et en Nouvelle-Calédonie avec un sénateur indépendantiste. Je veux donc souligner qu’au-delà du renforcement en nombre, c’est aussi un renforcement territorial avec des départements métropolitains et ultramarins qui rejoignent notre groupe.

« Nous avons besoin d’un véritable statut de l’élu local qui assure “ le continuum de l’engagement d’élu ” sans professionnaliser cette fonction qui demeure avant tout un engagement. »

CC : Le groupe au Sénat étend alors son assise territoriale avec le retour d’élus des territoires d’outre-mer. Comment le groupe désormais rebaptisé CRCE-Kanaky compte-t-il faire exister ces enjeux spécifiques dans l’hémicycle ?

Le retour d’élus des territoires d’outre-mer est un fait important pour le groupe. Les Français d’outre-mer subissent un mal-développement structurel révélé par la vie chère, la crise du logement, les inégalités d’accès à la santé, à l’éducation, à la formation, à l’emploi. La déclaration de Fort-de-France constitue un appel des outre-mer français pour une différenciation permettant de répondre à ces urgences sociales et aux défis de développement de la France dans ces territoires. Notre solidarité s’exprime dans notre soutien renouvelé à nos compatriotes ultramarins porteurs d’aspirations égalitaires et légitimes. Et aujourd’hui, au-delà du nouveau nom de notre groupe, c’est au quotidien dans tous les textes mais aussi dans les spécificités que nous devons porter ces débats. Il appartient en tout premier lieu aux sénateurs ultramarins d’en être les moteurs et les instigateurs, au groupe de les accompagner pour une efficacité maximale. Il nous revient alors de porter ensemble un approfondissement de la décentralisation, mais certainement pas dans un contexte d’austérité budgétaire et de mise en concurrence généralisée. Cette nouvelle décentralisation devra s’appuyer sur un État démocratisé, renforcé dans ses missions, s’appuyant sur un maillage de services publics à la hauteur des enjeux pour assurer l’égalité sur le territoire de la République. Notre groupe CRCE-Kanaky fait de la défense de la commune et du pouvoir d’agir des collectivités un objectif prioritaire.

« Nous étendons notre assise territoriale 
en gagnant des élus à La Réunion, 
en Meurthe-et-Moselle, en Seine-et-Marne, 
dans le Val-d’Oise et en Nouvelle-Calédonie 
avec un sénateur indépendantiste. »

CC : Ces bons résultats ne sont-ils pas le reflet du travail mené par les élus communistes au cours de ces six dernières années au Sénat ?

Ce résultat est un point important pour l’année parlementaire qui s’ouvre et plus globalement pour le mouvement social qui pourra continuer à compter sur le groupe CRCE si actif depuis des années pour faire barrage à la poussée libérale et défendre les libertés publiques. Cela va donc bien au-delà des six dernières années, c’est plus largement un travail constant et rigoureux dans les institutions comme dans les différentes luttes locales ou nationales. Nous sommes tous des sénatrices et sénateurs en lien avec les réalités sociales et territoriales de nos départements. Nous sommes toutes et tous au cœur des travaux législatifs pour faire entendre une autre voix, efficacement, pour faire entendre la voix de celles et de ceux que l’on n’entend pas ou peu, voire que parfois certains se refusent à entendre.

CC : La droite sénatoriale souvent alliée à la macronie reste majoritaire au palais du Luxembourg. Comment comptez-vous faire entendre la voix du groupe dans cette configuration peu favorable et espérer remporter des victoires parlementaires ?

Nous avons vécu ces dernières années des situations diverses dans les rapports de la droite sénatoriale avec le gouvernement. Une chose est sûre : ni l'une ni l'autre ne défend une vision progressiste de la société qu’il nous faut construire, une société qui rassemble, qui protège, à l’inverse d’une société qui divise et exclut. Les mandats précédents ne nous ont jamais empêchés ni de faire entendre notre voix, ni de porter les sujets qui sont les nôtres, ni même d’obtenir des victoires ou des avancées : par exemple sur la revalorisation du métier de secrétaire de mairie, adoptée à l’unanimité en avril dernier ou encore sur les objectifs « zéro artificialisation nette (ZAN) » que nous avons défendus pour réduire le rythme de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers et ainsi protéger les sols.

« Nous devons réfléchir à une profonde réforme d’une seconde chambre, démocratisée, pluraliste, diverse et ouverte 
aux citoyennes 
et aux citoyens. »

Le travail parlementaire ne peut ni ne doit se réduire à des gagnants ou des perdants. Après déjà douze ans au palais du Luxembourg, je suis convaincue que notre utilité est réelle, de nombreux débats n’auraient pas lieu si nous ne les lancions pas en permanence. C’est ce que nous avons fait pour les grands sujets touchant aussi bien à l’énergie, à la réindustrialisation du pays, à la place de la commune et des départements ou encore au recours aux cabinets de conseil privés par l’État.

CC : Comment percevez-vous le recours désormais routinier au 49-3 et tous les passages en force des décisions gouvernementales qui sont autant de coups de force constitutionnels contre la démocratie parlementaire ?

Il faut replacer ce musèlement du Parlement à coups d’articles 40, 44-3, 47-1 ou 49-3 de la Constitution dans un contexte plus large du mépris d’Emmanuel Macron à l’égard du peuple et de ses représentants. Ce fut évident lors du débat parlementaire sur l’injuste réforme des retraites. Si le 49-3 existe dans la Constitution et au-delà de l’avis que nous pouvons en avoir, une chose est certaine : il ne peut pas être un outil de gestion du débat parlementaire. Son utilisation massive l’an dernier et celle qui semble s’annoncer pour cette année est grave en ce sens qu’elle contribue à renforcer la crise démocratique, à remettre en question la pertinence même du travail de l’Assemblée nationale. Surtout, ces utilisations abusives permettent au gouvernement seul de faire les arbitrages qu’il souhaite sur les textes, et de passer outre au fruit d’un travail législatif entre les deux chambres. Personne n’a voté pour l’instauration d’une forme inédite d’exercice solitaire du pouvoir présidentiel. Nous devons au contraire continuer de porter la fin de ces mécanismes institutionnels dangereux et notamment de l’article 40 de notre Constitution qui rend irrecevable toute proposition « qui aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ». Nous devons porter le projet ambitieux d’une nouvelle République. Dans ce cadre, nous devons réfléchir à une profonde réforme d’une seconde chambre, démocratisée, pluraliste, diverse et ouverte aux citoyennes et aux citoyens.

« La déclaration de Fort-de-France constitue un appel des outre-mer français pour une différenciation permettant de répondre aux urgences sociales et aux défis de développement de la France dans ces territoires »

CC : Comment préparez-vous l’examen des futurs projets de loi notamment sur l’immigration ou le projet de loi de finance qui sera prochainement présenté au Sénat ?

Les semaines qui viennent seront chargées et essentielles pour l’avenir des habitants de notre pays : Immigration ; projet de loi de finances de la Sécurité sociale ; projet de loi de finances. Avec ces trois textes, c’est bien l’avenir du pays qui se dessine. Au Sénat le débat ira, je le souhaite, à son terme. Mais l’actualité récente me laisse penser que les choses ne seront pas aussi simples. La loi de programmation des finances publiques est d’ores et déjà imposée par le gouvernement, qui a eu recours au 49.3, alors que cette loi est censée structurer les finances publiques pour les années à venir. Cette loi ne reflète que la soumission du gouvernement et de sa majorité aux intérêts des seuls marchés financiers, au détriment de l’intérêt général de la nation, tandis que la droite sénatoriale ne propose que des économies drastiques supplémentaires à hauteur de 40 milliards d’euros d’ici 2027. Bien au contraire, la priorité devrait être d’agir pour une réforme de la fiscalité et de lutter fermement contre l’évasion fiscale.
Quoi qu’il en soit, nous nous préparons à mener ces débats dans l’hémicycle avec détermination, avec rigueur, avec l’envie d’être utile et efficace. Face à toutes les attaques violentes contre les intérêts populaires, notre groupe maintiendra une opposition résolue à la politique libérale d’Emmanuel Macron et multipliera des propositions pour souligner qu’une autre voie est possible, celle d’une transformation écologique, sociale et économique.

CC : L’un des rôles du Sénat est notamment la représentation des collectivités territoriales. Or vous vous êtes personnellement investie sur ces questions et sur la nécessité de redonner aux maires de la capacité agir. Quelles conclusions tirez-vous de la mission d’information du Sénat sur l’avenir de la commune en France ?

Cette mission sénatoriale a été percutée par l’actualité autour de la démission du maire de Saint-Brévin-les-Pins (44) puis l’agression du maire de L’Haÿ-les-Roses (94) pendant les émeutes de cet été. Cependant, cette mission est née d’une réalité et d’un constat. Jamais les démissions d’élus n’ont été aussi nombreuses à mi-mandat, et si nous voulons préserver l’échelon communal, et même le renforcer, nous devons nous assurer que les renouvellements de 2026 soient possibles.
Les raisons sont nombreuses. Si l’actualité s’étend beaucoup sur les violences et la répression, la problématique est bien plus complexe et profonde. Pêle-mêle, j’évoquerai la perte de sens et l’affaiblissement du pouvoir communal, une hiérarchie administrative de plus en plus pesante entre l’intercommunalité et l’État qui corsètent l’action des élus municipaux, les mutations de notre société (plus de quatre cent mille élus locaux sont inexorablement représentatifs de ces mutations : déménagements, changements professionnels et de vie, recherche de sens dans le temps donné au collectif), enfin et surtout la conciliation entre temps d’élu et temps professionnel, mais aussi de plus en plus avec le temps personnel.

« Nous sommes des sénatrices et sénateurs pour faire entendre la voix de celles et de ceux que l’on n’entend pas ou peu, voire que parfois certains se refusent à entendre. »

Au-delà de quelques mesurettes, nous avons besoin d’un véritable statut de l’élu local. Un statut de l’élu local qui assure « le continuum de l’engagement d’élu » sans professionnaliser cette fonction qui demeure avant tout un engagement. « Devenir élu, être élu et ne plus l’être », c’est au sein de ce triptyque que les défis sont aujourd’hui posés à la démocratie locale et à notre capacité de faire République. Si la ministre des Collectivités entend annoncer prochainement des mesures en ce sens, je demeurerai exigeante dans leur capacité à répondre à de ce défi démocratique. 

Cause commune n° 36 • novembre/décembre 2023