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Hélène Bidard, membre du Comité exécutif national et responsable de la commission nationale féministe du PCF, répond aux questions de Cause Commune. Elle revient sur la place que doit prendre le Parti dans le combat contre le patriarcat et pour l'égalité femmes-hommes.

Propos recueillis par Nicolas Tardits

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CC : La journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, du 25 novembre, a été l’occasion de rappeler la persistance des violences patriarcales et des discriminations. Si le PCF répond à l’appel unitaire de cette journée, comment la question de l’égalité entre les femmes et les hommes s’inscrit-elle dans le projet de société que nous portons ?

Lutter contre les violences faites aux femmes est un préalable nécessaire pour obtenir l’égalité femmes-hommes. On sait maintenant qu'obtenir cette égalité est indispensable pour conquérir l'émancipation humaine pour toutes et tous.
La commission féministe du PCF, dans un texte intitulé « Le féminisme ne tue pas », expliquait notre positionnement tout particulier, celui de féministes communistes : « Si la domination capital/travail est et demeure la structure dominante des sociétés en France, en Europe et dans le monde, les autres formes de domination, notamment masculine, empêchent toute transformation sociale, car elles contribuent à opposer les individus entre eux, à fixer les préjugés et à fragmenter les résistances. Le patriarcat traverse les structures de classe. Patriarcat et capitalisme se nourrissent mutuellement. […] Dénoncer l’ordre patriarcal, montrer que cet ordre (universel) a existé et continue d’exister indépendamment des structures socio-économiques de classe, des considérations culturelles ou religieuses, est de nature à faire évoluer les mentalités pour opérer et élargir les rassemblements indispensables à la transformation de la société. »
Autrement dit, pour nous, il serait contreproductif de ne pas prendre en compte le patriarcat dans la lutte contre le capitalisme et vice-versa. Les violences sont à la fois une conséquence des inégalités et un cinglant moyen de faire perdurer l’ordre patriarcal par la soumission tant physique que psychologique. Elles font partie du système de domination masculine, partout et depuis la nuit des temps. Je conseille sur ce point la lecture de l’ouvrage dirigé par Christelle Taraud Féminicide, une histoire mondiale, qui fait état de ce qu’elle appelle un « continuum féminicidaire ».
Ce système de domination est remis en cause comme jamais depuis cinq ans, depuis l’émergence du mouvement #metoo. Ce véritable mouvement social féministe mondial secoue, tour à tour, tous les secteurs de nos sociétés. Depuis 2017, les femmes, ont massivement pris la parole pour dénoncer le patriarcat. À travers leurs luttes, elles sont en train d’écrire une page de l’Histoire de l’émancipation humaine, pour toutes et tous. Elles se mobilisent pour l’égalité, la liberté, la solidarité et la sororité, non pas seulement pour elles mais pour toute la société. Il y a un contrecoup en cours certes, mais plus rien ne sera jamais comme avant. Je le constate comme femme, comme élue, comme responsable politique : le féminisme est plus que jamais au cœur des mouvements émancipateurs. Notre force communiste doit l’analyser, l’accompagner et travailler à l’inscrire – dans les luttes comme dans nos revendications – comme pilier des Jours heureux.
Le mouvement féministe international peut devenir un levier puissant et indispensable de la révolution que nous devons mener. La jeune génération est sur le front de nouvelles conquêtes et demande au Parti communiste français d’être à la hauteur de ses valeurs, de son audace, de son ambition révolutionnaire lors de ce congrès. L’impatience de ce changement profond s’exprime partout dans les partis, les associations, les syndicats, au travail, dans les études, dans la culture et le sport… et c’est une très bonne chose.

CC : Le 8 mars s’est également déroulé au cœur de la bataille sociale contre la réforme des retraites. Peut-on considérer que, là aussi, les femmes sont les grandes perdantes de ce projet qui semble être un miroir grossissant des inégalités salariales ?

Les femmes touchent en moyenne une retraite inférieure de 40 % à celle des hommes. C’est le résultat des inégalités professionnelles d’abord, avec des secteurs dits « féminisés » très mal reconnus, des inégalités de carrières, de salaires (encore inférieurs de 22 %), de promotion, et une structure du marché du travail (très largement redessinée par les réformes conçues et négociées à l’échelle européenne) précarisant et isolant les salariés à commencer par les femmes.

« Le but d’une organisation féministe et communiste doit être de renouveller et d'étendre encore plus la démocratie à toutes et tous. »

S’ajoutent à cela des disparités concernant les possibilités de mode de garde des enfants ou de prise en charge des aînés et des personnes en situation de handicap. Dans leur vie professionnelle, les femmes subissent de nombreuses contraintes au travail, qui non seulement ne permettent pas de construire une carrière dans de bonnes conditions, mais en plus, qui privent le monde du travail de talents et de forces considérables. Le taux d’activité des hommes est de 92 % tandis que celui des femmes est de 84 %. Si le taux d’emploi des femmes et leur rémunération étaient égaux à ceux des hommes, le PIB de la France bondirait de 6,9 %. En France, il existe depuis 1972 de multiples lois pour l’égalité salariale et professionnelle qui ne sont pas appliquées. C’est un véritable scandale d’État. Cette égalité salariale rapporterait 62 milliards par an à l’économie française.
Autrement dit, les inégalités face au travail et la casse du service public entraînent des inégalités de la retraite (tant pour l’âge de départ que pour le montant des pensions). La réforme d’Emmanuel Macron et d’Élisabeth Borne, au lieu de corriger ces inégalités, les aggrave. Ils annoncent que « la fin de la décote à 67 ans quel que soit le nombre de cotisations bénéficie aux femmes ». Autant dire que pour les femmes, c’est un pur scénario de science-fiction ! Pour ne pas avoir une pension de misère, les femmes, qui le peuvent, vont être incitées à travailler jusqu’à 67 ans, pour une pension à taux plein. Or l’espérance de vie en bonne santé des femmes est de 65,9 ans. Elle est même beaucoup moins importante pour les femmes travaillant dans les secteurs peu reconnus avec beaucoup de pénibilité : les métiers d’aide à la personne, les crèches, les ménages et autres métiers à horaires décalés. Ce sont précisément elles qui ne peuvent pas cotiser tous leurs trimestres ! Derrière la bataille pour les retraites se cache un choix idéologique de société majeur en défaveur de l’ensemble des salariées.

CC : Les communistes se réunissent partout en France dans le cadre du 39e congrès, peut-on espérer que les questions féministes soient au cœur des débats ?

Les combats féministes et leur portée vont être un sujet majeur du congrès. Nous ne sommes pas en dehors de la société, tout le monde voit l’influence des mouvements sociaux autour de #metoo, nous devons en parler. Les camarades féministes (dans les sections, les fédérations, dans les commissions des textes ou des statuts…) se mobilisent partout et sont de plus en plus nombreuses et écoutées.
Pour nous, communistes, le défi est immense. Alors que l’Europe et la France traversent une période troublée, qu’une crise économique et sociale d’ampleur historique enfonce chaque jour des milliers de foyers dans la précarité, nombreuses sont les incertitudes et rudes sont les obstacles sur le chemin de notre combat émancipateur.
Nous avons une histoire aussi, qui doit nous obliger ! Une longue histoire faite d’allers-retours, parfois difficile, avec les mouvements féministes mais nous sommes le parti qui a eu le courage et la fierté en 1925 de porter pour la première fois des candidatures de femmes aux élections municipales alors qu’elles n’avaient pas le droit de vote. Joséphine Pencalet cette année-là, est la première femme française élue dans un conseil municipal sur la liste du PCF. En 1936, Danielle Perini Casanova a créé l’Union des jeunes filles de France – UJFF – donnant ainsi la possibilité à celles-ci de faire de la politique contre les mœurs de l’époque. Pendant la guerre, ce sont nos résistantes qui ont agi avec courage, pris de difficiles responsabilités comme agentes de liaison ou par l’utilisation de leurs landaus comme des armes et cachettes par exemple. Ce sont des ouvrières comme Martha Desrumaux qui mènent des grèves victorieuses dans les ateliers et défendent l’engagement politique des femmes. En 1974, ce sont encore les communistes qui soutiennent le projet de loi de Simone Veil pour l’avortement, permettant son adoption. Et aujourd’hui, nos engagements féministes, ainsi que ceux des organisations de jeunesse communistes, sont bien souvent le déclencheur d’un engagement politique chez nombre de jeunes, et nous en sommes fières.

« Si le taux d’emploi des femmes et leur rémunération étaient égaux à ceux des hommes, le PIB de la France bondirait de 6,9 %. Cette égalité salariale rapporterait 62 milliards par an à l’économie française. »

Sans un PCF fondamentalement féministe, pas de révolution féministe ! Par le passé, le PCF a su être à la hauteur de ces enjeux, il faut que cela continue. À l’image de notre groupe paritaire au Sénat et de sa présidence assurée pour une femme. Notre représentation à l’Assemblée est très décevante de ce point de vue. D’ailleurs, à la suite du scrutin des 12 et 19 juin 2022 la parité recule à l’Assemblée nationale pour la première fois depuis 1981. Le PCF et ses élus et élues se doivent d’être à l’avant-garde de ce combat et d’investir réellement et massivement les mouvements sociaux féministes, sur le fond comme sur notre représentation. Bâtir une organisation politique féministe, être un parti ambitieux en la matière, nous le pouvons et nous le devons, rapidement. Les militantes s’impatientent et elles ont raison. Il y va de l’avenir de notre Parti et de leur place dans celui-ci. Nous ne voulons plus avoir à négocier ni l’indispensable, ni l’évidence.

CC : Quels sont les grands chantiers que nous devons poursuivre et ouvrir dans notre parti sur ces enjeux ?

Shirley Wirden avec d’autres camarades de la commission féministe/droit des femmes ont participé à l’écriture de la base commune, comme au programme des « jours heureux » et à la campagne de Fabien Roussel (par exemple avec l’organisation du meeting dédié au féminisme à Mérignac). C’est un enjeu central car sur le fond, il n’y a pas de révolution sans transition féministe de l’ensemble de la société ! Cette question doit être transversale à nos axes de réflexion et de luttes.

« Le patriarcat traverse les structures de classe. Patriarcat et capitalisme se nourrissent mutuellement. »

Ensuite, il y a un énorme travail à mener avec les premières concernées (1 300 000 personnes) et les organisations de travailleuses pour porter et donner de la consistance à la proposition de création d’une nouvelle fonction publique du lien où les femmes sont en majorité : assistantes sociales, aides à domicile, assistantes maternelles, accompagnantes d’élève en situation de handicap (AESH), femmes de ménage. C’est le nouveau prolétariat des services. Fabien Roussel les a qualifiées pendant la campagne « d’héroïnes de la République. » La crise sanitaire a révélé leur rôle et l’importance de ces métiers. Malgré leur forte utilité, ces professions sont dévalorisées, sous-payées, précarisées, en temps partiel ou avec des horaires souvent inconciliables avec une vie de famille. Ces emplois sont appelés à se développer. Nous avons porté pendant les élections l’idée d’embaucher 100 000 aides à domicile, 90 000 AESH, des assistantes maternelles, dans toutes ces professions où nous voulons remettre de l’Humain, des relations humaines. Nous devons, ainsi que toute la gauche, apporter une réponse progressiste à toutes ces salariées ! Travaillons concrètement à un projet qui permettrait à toutes ces professions d’être protégées par un statut et par un salaire de début de carrière qui ne devra pas être inférieur à 1 700 euros net !

« Lutter contre les violences faites aux femmes, est un préalable nécessaire pour obtenir l’égalité femmes-hommes, et on sait maintenant qu’obtenir l’égalité femmes-hommes est indispensable pour conquérir l’émancipation humaine pour toutes et tous. »

Cette proposition me semble fondamentale au même titre que celles que nous devons faire aux familles monoparentales. Les mères isolées sont plus précaires que les pères isolés et les couples avec enfants. 82 % des familles monoparentales ont à leur tête une femme. 36% des familles monoparentales vivent sous le seuil de pauvreté (1041 euros par mois et par personne) alors que pour l'ensemble des couples avec enfants ce chiffre est de 13 %.
Devant les constats que nous devons faire collectivement, il nous faut innover et voir grand dans nos textes de congrès pour être à la hauteur des enjeux d’émancipation des femmes et donc des enjeux universalistes. Un congrès est aussi le moment de lancer de nouvelles idées et d’en débattre démocratiquement.

CC : Puisque ce congrès est statutaire, comment le PCF peut-il repenser son fonctionnement pour être un parti pleinement féministe dans son fonctionnement ?

Parallèlement à une réflexion globale sur notre parti pour coller à notre réalité et à nos aspirations politiques, c’est à mon sens un changement de paradigme que nous devons impulser. Nous pouvons intégrer la question féministe dans notre ADN, l’intégrer à la base de la réflexion communiste comme une des données fondamentales et complexes de la société contemporaine.

Cette évolution est devant nous et nécessite un travail en profondeur au sein de toutes les instances locales en gardant en tête que le but d’une organisation féministe et communiste doit être de renouveller et étendre encore plus la démocratie à toutes et tous. Nous portons dans nos propositions un féminisme/lutte des classes, cela doit aussi se traduire dans notre organisation moderne.
Pour établir un bilan de notre fonctionnement actuel, dans le cadre de la commission des statuts, nous avons réalisé, avec les camarades féministes, un « autodiagnostic féministe ». Plus de cinquante fédérations ont répondu à notre appel. Plusieurs propositions sont déjà mises en débat à tous les niveaux de notre organisation et c’est une bonne chose. En regardant autour de nous, en travaillant le sujet, nous savons que des solutions existent. Les études le montrent, ce sont les scrutins uninominaux qui nuisent à l’entrée des femmes en responsabilité mais ce n’est pas une fatalité si nous déployons une « politique de cadres » féministes. Innovons collectivement pour agir et renouveler nos modes d’organisation en les rendant moins « pyramidaux ». Ce défi d’évolution démocratique est immense et c’est un des grands enjeux de ce début de siècle. Il est à notre portée !

Cause commune n° 33 • mars/avril 2023