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Samedi 14 décembre 2024, cinq cents délégués se sont réunis place du Colonel-Fabien pour la conférence nationale du Parti communiste français. Avec Elsa Koerner (secrétaire départementale d’Ille-et-Vilaine), chargée de présider la commission d’animation de la conférence, Cause commune revient sur ce moment important pour les communistes, visant à dresser un bilan de l’action menée, définir les batailles prioritaires à venir et aborder les enjeux des prochaines échéances électorales.

Propos recueillis par Nicolas Tardits

CC : Les objectifs fixés pour cette conférence nationale ont-ils été tenus ? Par ailleurs, quelles leçons peut-on tirer de la préparation de cet événement notamment sur la manière dont les contributions ont été prises en compte dans les discussions nationales ?

La conférence nationale a été appelée par le conseil national dans un contexte d’accélération de l’actualité politique, dont le signe le plus manifeste a été l’enchaînement des séquences électorales du mois de juin 2024. Suspendre le temps pour y insérer un temps de débat profond, collectif, pour prendre de la hauteur, alors que les urgences s’accumulent, devait permettre aux communistes de faire le point et de dégager des perspectives d’action. Bien souvent, nous avons le sentiment d’avoir la tête dans le guidon. La conférence nationale se présentait comme une opportunité de questionner les écueils que nous rencontrons à réaliser les ambitions importantes que nous avons inscrites dans notre texte de congrès, pour en tirer des leçons concrètes. En ce sens, l’objectif a été pleinement réussi. Ce temps national s’est construit à partir de contributions émanant, au-delà des fédérations, des réunions de sections et de cellules. Plus de mille contributions, issues de quatre-vingt-onze départements, nous ont été transmises. Notre travail de synthèse a consisté à recenser les analyses et les propositions les plus fréquentes, mais aussi à identifier des idées nouvelles. C’est pour cela que la feuille de route proposée à la conférence nationale dépasse les trois questions posées aux communistes. Par exemple, sur le rôle du parti pour la paix. Maintenant, il convient de poursuivre l’analyse, afin d’assister les différents secteurs nationaux du parti pour une connaissance approfondie de l’état des réflexions et de l’organisation sur tout le territoire

CC : De nombreuses réflexions et contributions des communistes ont porté sur le fonctionnement interne de notre parti. Quels sont les points importants qui sont ressortis lors des discussions
le 14 décembre ?

Je retiens d’un grand nombre d’interventions du 14 décembre, comme des contributions, un niveau d’exigence des communistes vis-à-vis de leur parti, qui traduit leur détermination, dans un contexte de vieillissement de notre organisation. Il y a un besoin d’efficacité et de mise en musique de la masse des initiatives locales, nationales, des analyses, des propositions, des campagnes, des actions… Globalement, les communistes sont d’accord pour dire qu’il faut mieux communiquer et accompagner la communication. C’est-à-dire que le fil rouge soit lisible et bien préparé, en lien constant entre le national et le local – et dans les deux sens – pour faciliter notre intervention vers l’extérieur. Renouer avec les fondamentaux de l’organisation, donner des priorités compte tenu de nos forces réelles pour dégager les éléments principaux de notre projet communiste. Pour faire simple, avoir une visée stratégique, de long cours, partagée, qui permette de saisir et de réussir les orientations tactiques. Sur la plupart des réponses qu’exige l’actualité effervescente, nous sommes loin d’être démunis mais nous ne sommes pas toujours directement opérationnels. C’est pourquoi, sur le fonctionnement, les instruments qui ressortent sont une meilleure articulation entre CEN et conseil national, avec une thématisation autour des travaux des commissions, la poursuite du déploiement des suivis départementaux, la mise en commun des outils et l’affirmation d’une campagne structurante (tournée vers le renforcement des structures et du nombre d’adhérentes et d’adhérents).

« Plus de mille contributions, issues de quatre-vingt-onze départements, nous ont été transmises. »

CC : La question de la formation des militantes et militants a également été abordée. Quelles sont les priorités en la matière pour renforcer les capacités d’action et d’analyse des communistes ?

Le renforcement doit être qualitatif et pas seulement quantitatif. Les besoins et les attentes en matière de formation sont croissants. Cela signifie que les communistes ont l’appétit politique d’être toujours de meilleurs militantes et militants. Le secteur Formation a présenté un travail important et ambitieux en février 2024 auprès du conseil national. Les remontées de la conférence nationale confirment la pertinence de ses propositions. Il faut poursuivre l’élargissement du nombre de formateurs et de formatrices sur les modules des stages pour satisfaire les demandes nombreuses avec une maîtrise des coûts et des sollicitations des camarades. Mais, au-delà des questions d’organisation de la formation, la Conférence nationale actualise l’enjeu central, pointé déjà par le secteur Formation, de la mise en commun d’un patrimoine de références, d’analyses et d’expériences, validées collectivement. La conférence a beaucoup insisté sur l’actualisation précise et partagée du projet communiste, dans son aspect « définition » notamment. Le débat ouvert par Cause commune sur la définition que nous proposons des classes sociales vient à point nommé. Dans le foisonnement des concepts et des vocables, que retenons-nous – et comment, pour assurer le caractère démocratique de leur définition et de leur appropriation – pour irriguer la formation des adhérentes et adhérents.

CC : Quels sont les leviers prioritaires qui ont été abordés pour renforcer notre parti, tant en matière d’implantation locale que de mobilisation nationale ?

En lien avec la question de la formation, la feuille de route insiste sur la politique des cadres comme priorité de travail. Nous avons un enjeu de renouvellement générationnel et d’amélioration de la représentativité sociologique des dirigeantes et dirigeants du parti, à tous les échelons. Cela implique que ce soit une majorité de personnes engagées pleinement dans la vie active, pas forcément de culture communiste – je sais, j’en viens. Or, si l’on propulse des gens sans prendre le temps de les accompagner, on leur met une pression phénoménale sur les épaules, sans avoir tous les outils en main. On a tous connu un camarade qui renonce à ses responsabilités, dégoûté, rongé par la culpabilité de n’avoir pas su faire. Ce n’est pas nouveau. C’est une responsabilité collective. Quand le gardien encaisse un but, c’est toute l’équipe qui a raté quelque chose. On n’a pas le loisir de perdre des militantes et des militants de qualité qui acceptent des responsabilités. C’est donc un chantier essentiel. Commencer petit, par des choses simples en apparence. Les contributions font souvent état d’une réflexion sur le développement d’une approche plus ciblée et constante de l’organisation, suivant une logique de réimplantation, c’est-à-dire tenir le même point de rencontre, sur la même cible, sur le temps long, de faire des bilans réguliers pour adapter la méthode. C’est en reconstruisant ces habitudes et cette connaissance du terrain qu’on réussit ensuite la mobilisation nationale.

« L’extrême droite prospère sur la conviction qu’il n’y a pas d’alternative heureuse au capitalisme. C’est pourquoi, concrètement, il faut opposer notre projet au sien. »

CC : Dans ton introduction générale, tu as indiqué la place importante du pacifisme et de l’internationalisme dans les contributions des communistes. Comment les communistes entendent-ils se mobiliser pour promouvoir une politique de paix ?

Oui, comme je le disais, cette question s’est complètement imposée dans le débat ! Ce n’est pas tellement étonnant car le PCF a toujours eu cela dans son ADN. L’un des débats des États généraux prévus au premier semestre est intitulé « Le peuple de France au service de la paix ». Le PCF entend faire de la journée internationale pour la paix 2025 un rendez-vous politique fort avec la présentation d’un livret programmatique. Mais, avant cela, il nous faut organiser le déploiement de la campagne commune de l’OLP et du PCF en solidarité avec le peuple palestinien, à l’heure où un accord de cessez-le-feu a été approuvé le 15 janvier. Il s’agit véritablement d’agir à l’échelle internationale, en solidarité avec nos organisations sœurs, avec les interlocuteurs progressistes, que ce soit en Palestine et en Israël, dans la campagne de solidarité avec Cuba, ou encore en Europe avec une conférence européenne des partis communistes et des membres ou observateurs du PGE et de « The Left », pour l’approfondissement de notre analyse de l’immigration et des modalités d’un accueil digne. Les communistes veulent aussi développer une politique de solidarité internationale féministe. Il y a donc une mobilisation à construire dans la population, en France, dans les fédérations, en faisant connaître ces initiatives.

CC : Cette conférence s’est déroulée alors même que plus de trois cents plans de licenciements étaient annoncés à travers le pays. Dans ce contexte, il a été décidé de mener une campagne spécifique. Quelles en sont les grandes lignes ?

La conférence nationale a été aussi l’occasion pour de nombreuses et nombreux délégués de se faire les porte-voix des luttes contre ce vaste plan de destruction de l’appareil productif et des services publics en France. La campagne contre l’austérité dans les services publics et l’industrie vise à porter un contre-projet pour aller à la rencontre des salariées et des salariés et leur montrer que le PCF est un outil à leur disposition. La campagne s’appuie sur deux piliers : l’organisation pensée sur le temps long, l’implantation, en ciblant une entreprise ou un service public par territoire, pour arriver à construire une cellule, une initiative de section, et obtenir une victoire au bout. D’ailleurs, l’assemblée des femmes, réunie deux semaines avant la conférence nationale, a proposé l’organisation d’une opération Lucie Colliard – à l’image de cette dirigeante communiste qui a assisté les Penn Sardines dans la structuration de leur lutte, dont nous fêtons cette année les cent ans de la victoire, le 7 janvier 1925 – pour cibler les secteurs féminisés en lutte et développer les initiatives de solidarité. L’autre pilier, c’est le projet : deux journées nationales d’action sont prévues autour des deux axes de notre campagne, avec un plan national de nouvelle industrialisation sociale et écologique à l’horizon 2030, appuyé sur le plan climat Empreinte2050 et un plan de développement des services publics à la même échéance.

CC : Une autre grande question soulevée lors de cette conférence portait sur les moyens de gagner en efficacité dans la lutte contre l’extrême droite et les politiques capitalistes. Quelles pistes concrètes ont émergé de ces discussions ?

C’était la question de départ, en quelque sorte. De mon point de vue, en lisant les contributions, les comptes rendus de réunions, on voyait bien que si les communistes étaient préoccupés de l’état du parti, de nos scores insuffisants, de notre poids au sein du NFP lors de la signature de l’accord et à la rentrée, le vrai sujet c’était notre capacité à infléchir le chemin mortifère que le pays emprunte avec un front républicain vacillant, une gauche affaiblie et un Rassemblement national qui engrange les victoires et s’institutionnalise de plus en plus. Alors que l’affrontement de classe revêt une intensité dramatique, comme on le voit avec les plans sociaux et la casse des services publics, mais aussi à l’échelle internationale avec le bellicisme ambiant et la fuite en avant environnementale, comment agir en tant que parti communiste pour éviter la chute ? Voilà l’urgence. Voilà pourquoi notre faiblesse est aussi insupportable. Il y a des enjeux très concrets, avec le renforcement nécessaire de nos dispositifs d’accueil sécurité. Nous avons décidé de cibler aux prochaines échéances électorales les lieux où mettre en échec l’extrême droite quand elle pourrait l’emporter ou qu’elle vient de le faire. Les camarades ont généralement salué le travail de dénonciation de l’imposture sociale du RN, dont Léon Deffontaines a fait un axe fort de sa campagne aux élections européennes. Il faut également renforcer nos outils de lutte contre le racisme qui a désormais largement pignon sur rue. Toutefois, on sait que le racisme s’intensifie quand la solidarité de classe est au plus bas. L’extrême  droite prospère sur la conviction qu’il n’y a pas d’alternative heureuse au capitalisme. C’est pourquoi, concrètement, il faut opposer notre projet au sien. Mais aussi affiner notre compréhension des ressorts du vote extrême droite, mobiliser la culture en tant que rempart à l’obscurantisme. Développer les solidarités concrètes et la présence sur le terrain pour rassembler là où elle divise. L’extrême droite étant le choix de la bourgeoisie, la seule issue est de faire s’élever le niveau de conscience de classe à toute occasion.

« La conférence a beaucoup insisté sur l’actualisation précise et partagée du projet communiste, dans son aspect “définition” notamment. Le débat ouvert par Cause commune sur la définition que nous proposons des classes sociales vient à point nommé. »

CC : Quelles ont été les discussions au sujet de notre stratégie électorale et, plus précisément, du rassemblement de la gauche autour du Nouveau Front populaire ?

La question de notre stratégie électorale a fait l’objet de débats, avec plusieurs amendements mis en discussion en dernière partie de journée. Dans les contributions, nous avions discerné différentes appréciations de la situation et de la meilleure marche à suivre concernant le Nouveau front populaire (NFP), mais plus largement  la démarche de rassemblement que nous voulons conduire. Si certains avançaient la nécessité d’investir davantage le NFP, ce n’est pas l’option retenue par la conférence nationale. Les communistes ont retenu la formule suivante : « Notre démarche de rassemblement s’adresse aux travailleuses et travailleurs et à toutes les forces de gauche. Elle doit s’appuyer sur les luttes, la mobilisation des forces syndicales et associatives et dépasser les obstacles au sein de la coalition du Nouveau Front populaire qui empêchent la gauche d’être majoritaire.

Nous voulons démasquer l’imposture sociale du Rassemblement national et nourrir les luttes actuelles d’un projet crédible de changement pour reconquérir les catégories populaires et le monde du travail. Cela implique de promouvoir auprès des populations et des forces de gauche une autre démarche que les accords législatifs de la Nupes en 2022 et du NFP en 2024. » L’axe 9 de la feuille de route détaille ensuite la manière dont nous entendons renforcer l’influence du PCF aux échéances nationales : réunir les conditions de candidatures communistes aux législatives en proposant des chefs de file à parité dans l’ensemble des circonscriptions, lancer des États généraux pour rassembler avec la population et rappeler que les communistes s’exprimeront souverainement sur la question spécifique de la candidature à la présidentielle (anticipée ou non).

Alors que c’était la première question posée par la convocation de la conférence nationale, les communistes ont rappelé que les séquences électorales sont certes un enjeu important, mais bien sûr au service d’une stratégie d’ensemble pour faire avancer notre projet communiste.

CC : Il a également été question des prochaines échéances électorales dont les élections municipales 2026. Dans quelles perspectives les communistes s’engagent-ils dans la bataille ?

Les situations sont extrêmement diverses à travers le pays et cela se voit bien à la lecture des contributions. Le travail de synthèse était très intéressant de ce point de vue car les sections, voire les cellules, qui ont contribué font parfois l’analyse précise des forces en présence, de l’état d’esprit des communistes dans les communes. Ce qui est beaucoup ressorti, c’est la nécessité de présenter le plus possible de candidatures communistes. Pas pour faire de l’électoralisme, au contraire, mais parce que l’échelon de la commune est très fragile alors qu’essentiel. L’engagement citoyen dans les mairies se heurte à l’austérité, à l’ampleur de la tâche. Le PCF peut être un soutien à la constitution de listes, dans les villes mais aussi dans le maximum de villages, à travers ses sections, ses fédérations,  en lien avec la Coopérative des élus, pour aider concrètement à la rédaction d’un programme, à la lecture des enjeux budgétaires… Il y a bien sûr un enjeu fort au maintien, à la reconquête et à la conquête de municipalités communistes. Plus généralement, les communistes travaillent pour qu’un maximum de communes et d’intercommunalités restent ou passent à gauche. D’ici au mois de mars, un maximum d’assemblées générales de section doivent se réunir au sujet des municipales, pour désigner ensuite des chefs de file (femmes et hommes) des quatre cent cinquante villes de plus de vingt mille habitants dès le mois de juin. L’enjeu de ces municipales, ce sont les services publics. C’est pourquoi la conférence nationale a acté l’articulation nationale d’une campagne pour les services publics dans ce cadre. Cela permettra d’animer et de communiquer nationalement sur les élections municipales, pour la mobilisation nationale des communistes, malgré la disparité des situations.

Cause commune n° 42 • janvier/février 2025