Rassemblé le 3 juin dernier, le Mouvement des jeunes communistes de France a renouvelé son conseil national et choisi un nouveau secrétaire général en la personne d’Assan Lakehoul. Cause commune l’a rencontré pour parler du MJCF mais aussi de l’actualité politique et sociale
qui touche la jeunesse dans toute sa diversité.
Propos recueillis par Nicolas Tardits
CC : À 26 ans, tu prends le relais de Léon Deffontaines à la direction du MJCF. Si le mouvement semble connaître un véritable renouveau tant par son déploiement géographique que par le nombre de ses adhésions, comment peut-il aujourd’hui aller plus loin ?
Nous portons une voix inédite parmi les organisations de jeunesse en considérant qu’il n’y a pas une jeunesse, mais des jeunesses. Nous parlons aux jeunes de l’enseignement supérieur avec l’UEC, qu’ils soient à l’université, en BTS, en IUT ou en école. L’enseignement supérieur, ce n’est pas que la fac. Nous parlons également aux lycéennes, lycéens et apprentis : filières générales, lycées pro, (centres de formation d’apprentis) CFA. Nous parlons aussi aux jeunes travailleuses et travailleurs du privé comme du public : jeunes femmes et hommes infirmiers, cheminots, barmans, profs, marins-pêcheurs, mécaniciens d’entretien d’avion, intermittents du spectacle, cadres… Nous parlons à l’ensemble de ces jeunesses, nous avons des propositions à leur faire et la JC doit être le lieu où tous se rassemblent.
« Battons-nous pour un projet de société qui fait rêver, dans lequel tout le monde veut s’inscrire, et ce, partout dans le pays. »
Nous n’essentialisons pas la jeunesse, c’est ce qui nous a permis d’implanter la JC dans des endroits où nous étions absents depuis longtemps. Je pense à la Haute-Loire, à la Corrèze, aux Vosges, au Lot, à l’Ariège, à la Sarthe, et j’en passe. Le mouvement social contre la réforme des retraites ou la campagne présidentielle de Fabien Roussel nous ont aussi beaucoup aidés.
Pour aller plus loin, je pense que nous avons quatre chantiers prioritaires :
• Premièrement, développer notre structuration pour être organisés au plus proche des jeunes.
• Deuxièmement, choyer la démocratie interne à car c’est l’ensemble des jeunes communistes qui construit l’organisation.
• Troisièmement, amplifier la visibilité du MJCF pour continuer à parler au plus grand nombre.
• Enfin, déployer l’utilité du Mouvement pour reconstruire de la solidarité concrète et répondre au besoin d’efficacité immédiate de l’action politique.
CC : Tu as été assistant social en Haute-Garonne. Comment penses-tu possible de faire rayonner le MJCF auprès des jeunes salariés comme toi, mais aussi auprès d’une autre jeunesse pouvant être éloignée des bancs des facultés ?
Déjà nous avons la volonté de nous adresser à ces jeunes, c’est un premier pas. Là où il y a la volonté, il y a un chemin, on connaît la chanson (rires) ! Plus sérieusement, c’est obligatoire de s’adresser aux jeunes qui travaillent. Nous ne sommes pas socio-démocrates, nous ne voulons pas juste gagner les élections, prendre le pouvoir pour la classe travailleuse et faire de belles réformes. Nous voulons que les gens qui bossent décident, et décident de tout. Qu’est-ce qu’on produit ? comment on produit ? comment on répartit la richesse produite ? Aujourd’hui, c’est le patronat qui répond à ces questions. Demain, ce seront les salariés.
« Je pense aussi qu’il y a une grande diversité chez les jeunes qui utilisent la violence. Certains s’amusent, d’autres pillent, d’autres expriment une colère. Quoi qu’il en soit, des jeunes ont détruit, c’est un fait. Il faut apporter une réponse politique à ce fait social. »
Pour ça, il va falloir faire de la politique avec eux, et pas juste pour eux. Très concrètement, les fédérations vont commencer par recenser l’ensemble des camarades qui bossent sur leur département, vont cibler les lieux de passage et de concentration des jeunes travailleuses et travailleurs, des apprentis, les CFA, et les foyers de jeunes travailleurs pour y militer régulièrement. Nous ciblerons aussi, avec l’appui des syndicats professionnels, les besoins urgents en emploi dans des secteurs clés et nous nous battrons pour la création d’emplois stables, en CDI et à plein temps. La volonté, nous l’avons, les gestes d’organisation nous les avons aussi, il ne reste plus qu’à se mettre au travail !
CC : De plus en plus de jeunes se voient d’ailleurs dans l’impossibilité de poursuivre leurs études. En cette veille de rentrée universitaire, comment analyses-tu la sélection dans l’enseignement supérieur qui semble de plus en plus drastique ?
C’est insupportable. Chaque année, c’est la même chose avec Parcoursup. Cent mille jeunes se retrouvent sans rien. Pourtant, il y a énormément de défis à relever collectivement. Il faut réfléchir à la manière de bien vieillir, à décarboner notre production d’énergie et produire mieux, à construire l’égalité réelle femme-homme. Pour tout ça, il va falloir des bras et des cerveaux les plus solides possible. Ce doit être notre boussole quand on aspire à hisser l’ensemble de la société vers le haut. Ce n’est pas le cas des libéraux au pouvoir. Ils ne veulent qu’une seule chose : dépenser le moins d’argent dans l’école publique pour faire la part belle au privé. Les faits sont têtus, les écoles privées enregistrent des records d’inscription. Le projet des libéraux est clair : une éducation à deux vitesses, où les enfants des classes populaires ont le droit au minimum, les « fondamentaux », et où les enfants de la bourgeoisie, eux, ont celui d’aller à l’université.
« C’est facile de parler à celles et ceux déjà engagés, déjà militants, qui s’intéressent à la chose politique, mais la situation politique nous invite à sortir de notre zone de confort sur le fond et sur la forme. »
Une autre politique est possible. En 1990, a été lancé le Plan Université 2000. L’évolution démographique a été anticipée, huit universités et cent quatrevingt seize départements d’IUT ont été créés pour répondre au besoin de formation. Le pays était moins riche qu’aujourd’hui, mais cela a été possible. Pourquoi ce serait impossible maintenant ? Faisons la même chose. Il y a un afflux de jeunes, créons des facs. Rien n’est plus anticipable que l’évolution démographique. Je peux vous dire aujourd’hui combien de jeunes voudront faire des études dans dix-huit ans !
CC : Ces inégalités scolaires et cette précarité sociale semblent toucher aussi bien les jeunesses des banlieues pauvres que celles des villages ruraux. Assiste-t-on en définitive à un abandon d’une partie de la jeunesse de notre pays ?
Oui. Il existe effectivement des fractures géographiques, des fractures culturelles, des fractures sociales dans le pays. On voit des phénomènes similaires dans les banlieues et dans les campagnes : je pense à l’absence de service public, au chômage de masse, au sentiment d’abandon… Il y a beaucoup de points communs. Attention en revanche à ne faire que la moitié de l’analyse, il faut être très clair et réfléchir en tant que marxiste : il y a des situations vécues complètement différentes à l’intérieur des banlieues comme à l’intérieur des campagnes. Si des territoires concentrent des difficultés, se jouent surtout, et partout, des clivages de classe au sein de ces territoires. La fracture est donc avant tout sociale. Pour être plus juste, parlons de fractures de classe, qui sont exacerbées dans certains endroits. Nous devons alors apporter des réponses à la hauteur de ces spécificités avec une puissance publique qui doit être du côté de la classe travailleuse et de sa jeunesse.
CC : Cet abandon politique peut-il expliquer l’éloignement d’une grande partie de la jeunesse du vote, de l’engagement militant, voire de la tentation de se tourner vers l’extrême droite ?
Les politiques libérales qui se suivent et se ressemblent depuis quarante ans brûlent nos services publics à petit feu. Elles n’ont fait qu’accroître le pouvoir de l’argent, qu’accentuer les inégalités de classe. Dit comme ça ce n’est peut-être pas palpable, mais, derrière ces mots il y a des services hospitaliers en grande détresse au détriment de la prise en charge des patients, il y a des écoles et des entreprises qui ferment laissant des familles entières en galère. Les libéraux vont tellement loin qu’ils sont en train de détruire ce qui fait nation.
Face à ça, l’extrême droite apporte une réponse civilisationnelle, raciale, monte les gens les uns contre les autres. C’est à vomir. Les Le Pen ne sont pas du côté des gens qui bossent, il faut le dire et le démontrer chaque fois qu’on en a l’occasion. Quand on distribue un tract, quand on nous tend un micro, il faut y aller à fond.
Du côté de la gauche, nous ne sommes pas à la hauteur. Pour le moment, nous n’incarnons pas une alternative crédible. J’ai l’impression que nous sommes la seule organisation de jeunesse à ne pas nous limiter à parler aux étudiants des centres-villes. Il faut le faire, mais ne faire que ça, c’est exclure du champ politique une grande partie des jeunes. C’est facile de parler aux jeunes déjà engagés, déjà militants, s’intéressant déjà à la chose politique, mais la situation politique nous invite à sortir de notre zone de confort sur le fond et sur la forme. Le sillon tracé par les communistes lors de la présidentielle de 2022 est une très bonne base, continuons de labourer le champ politique.
CC : Les récents affrontements survenus après la mort d’un adolescent, Nahel, à Nanterre interrogent cette crise. Reflète-t-elle avant tout les problèmes existants dans les rapports entre la police et la jeunesse des quartiers populaires ?
Cette crise reflète un problème entre la jeunesse des quartiers populaires et la République. Ce n’est pas qu’une affaire de police. Ça fait maintenant trop longtemps que la République ne tient plus ses promesses. Aujourd’hui le contrat social c’est « Allez à l’école, soyez sages, vous allez faire un boulot qui vous plaît, vous allez pouvoir acheter ce que vous voulez, bien dormir, bien vieillir, et les moutons seront bien gardés.» Le problème, c’est que l’école parvient de moins à moins à casser le mur des inégalités. Le problème c’est que le marché du travail exclut et prive d’emploi. Le problème, c’est que le droit au logement est un vœu pieux. Ces trahisons de la République sont particulièrement prégnantes dans les quartiers populaires.
Il y a donc deux chantiers à mener de front : réformer la police en profondeur, c’est évident, et créer enfin une République sociale. Cela appelle clairement à une révolution. Battons-nous pour un projet de société qui fasse rêver, dans lequel tout le monde veut s’inscrire, et ce, partout dans le pays.
CC : Dans un récent communiqué sur ces événements, le MJCF considère que « si ces violences ne sont pas en soi des “révoltes politiques”, celles-ci revêtent pour autant un caractère politique ». Peux-tu nous expliquer dans quelle mesure selon toi ?
La colère qui s’est exprimée dans les quartiers populaires est légitime. Les violences ne viennent pas de nulle part, il y a un profond mal-être dans ces quartiers. Pauvreté, chômage, logements insalubres, grandes tours d’un autre temps, racisme dans la police, racisme dans la société, les problématiques se croisent et se multiplient. 1,2 million de personnes seraient victimes chaque année d’au moins une atteinte à caractère raciste, antisémite ou xénophobe d’après la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme. Ce racisme dans la société et dans la police, cette stigmatisation des quartiers populaires, on en parle depuis très longtemps. La culture avec le rap ou le cinéma l’a dit de mille manières, les sociologues ne cessent d’alerter. Nous avons maintenant besoin d’actes.
« Nous ne sommes pas socio-démocrates, nous ne voulons pas juste gagner les élections, prendre le pouvoir pour la classe travailleuse et faire de belles réformes. Nous voulons que les gens qui bossent décident, et décident de tout. »
Cela étant dit, la manière dont s’est exprimée la colère est regrettable. Brûler des écoles ou des mairies, qui sont souvent des filets de sécurité face au capitalisme qui détruit tout, n’apportera rien. Il n’y a aucun débouché politique dans cette violence. En outre, il existe une grande diversité chez les jeunes qui utilisent la violence. Certains s’amusent, d’autres pillent, d’autres expriment une colère. Quoi qu’il en soit, des jeunes ont détruit, c’est un fait. Il faut apporter une réponse politique à ce fait social.
Que faire ? Il faut évidemment une réponse judiciaire, mais ça ne suffira pas et, surtout, ça ne répondra pas à tous les problèmes. Les maires communistes sont allés dans les quartiers discuter, y compris avec ceux qui ont commis des violences. Ils ne les ont pas exclus du champ politique. Le RN, lui, veut réduire les quartiers populaires à la casse, à la « racaille », à la couleur de peau. C’est inacceptable et indigne. Nous proposons une lecture de classe sur la situation : les jeunes qui habitent ces quartiers sont avant tout des jeunes prolos, des jeunes travailleuses et travailleurs, des jeunes au chômage. Ils subissent de plein fouet le capitalisme, probablement encore plus violemment qu’ailleurs.
Le défi pour la gauche est immense : comment peut-elle reprendre pied dans ces quartiers ?
Certains ont voulu capitaliser sur ces événements en appelant à la révolte et en essayant d’instrumentaliser ces jeunes. D’autres se sont contentés de condamner bêtement en fermant les yeux. Les deux font fausse route. L’enjeu, c’est de faire de la politique avec l’ensemble de la population, quartiers populaires compris évidemment. Il faut des propositions fortes, des mesures révolutionnaires, mais il faut aussi et surtout partir de ce que disent les habitants des quartiers populaires. Ici aussi, ça ne suffira pas de faire pour, il faudra faire avec.
CC : Dans ce contexte, le PCF a proposé un plan de réconciliation nationale pour l’égalité républicaine avec notamment un « pacte pour la jeunesse ». Comment ce pacte peut-il être une réponse sociale, économique et politique aux difficultés rencontrées par la jeunesse ?
Les propositions mises en avant par le PCF sont les seules mesures politiques à la hauteur de la situation. Elles prennent le problème par les deux bouts : réformer la police en profondeur pour une politique progressiste de tranquillité publique et des mesures sociales fortes pour que la République tienne ses promesses. Le pacte pour la jeunesse et l’ambition politique de ne plus avoir de jeunes au chômage tapent au bon endroit.
Parlons de travail, parlons de la réindustrialisation du pays, de l’augmentation des salaires, de la semaine de 32 heures, de la fin des contrats précaires, de la création d’emplois au service des besoins sociaux et environnementaux tant dans l’agriculture paysanne que dans l’industrie et les services. C’est ce que feront les jeunes communistes à la rentrée. Notre prochaine affiche sera d’ailleurs sur le travail. Rendez-vous à la Fête de l’Humanité pour la découvrir !
Cause commune n° 35 • septembre/octobre 2023