Par

par Katherine L. Battaiellie

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Né en 1931 aux Pays-Bas, fils naturel d’une mère célibataire ayant fui l’Autriche pour accoucher, Thomas Bernhard, qui ne connaîtra pas son père, est, comme le dit l’une de ses traductrices, Susanne Hommel, « un enfant de l’histoire nazie ». Revenu avec sa mère en Bavière, il est placé à 11 ans dans un internat nazi, dont il connaîtra ainsi très jeune, et détestera, l’idéologie et la discipline.
Surtout connu comme le grand romancier et dramaturge autrichien, dont les pièces sont souvent jouées en France, dénonciateur désespéré et provocant du nazisme, de ses symptômes et survivances en Autriche, il est aussi poète, et ses premiers textes publiés, en 1956 et 1958, sont des recueils de poèmes, à la sombre tonalité. Sombre tonalité qu’expliquent la menace de mort qu’a fait peser sur lui une grave maladie pulmonaire, à 19 ans, les espoirs déçus d’une carrière musicale ou théâtrale, la révolte contre son pays, son environnement, sa famille (sauf un grand-père tendrement aimé). Mais c’est aussi cette rage qui est le ferment de l’écriture, dont il dira que rien d’autre ne l’intéresse, et à laquelle il se consacre rapidement tout entier, après avoir collaboré quelque temps comme chroniqueur à un journal.
Alternant les voyages et les séjours solitaires dans une ancienne ferme autrichienne, il mourra à 58 ans de la maladie pulmonaire dont il aura souffert toute sa vie, et que l’on croit percevoir dans le rythme suffocant de son écriture.
Dans son testament, il interdira qu’aucune de ses œuvres soit représentée ou publiée en Autriche pendant soixante-dix ans, vœu que ne respecteront pas ses héritiers.

Katherine L. Battaiellie

 

Mort et thym

La terre sentait le thym et la mort
le foin et le vent,
du ruisseau montait l’âme de la mère
et passait au-dessus des arbres comme aux temps
du printemps amer sans nuage.
La terre sentait le thym et la mort
et personne ne venait avec un panier
pour les rapporter à la maison.
Le porc était trop précieux,
ils ne rapportaient pas de terre à la maison,
pas la terre, qui sentait la mort et le thym.
Je regardais à travers les chênes
en bas dans le village.
J’entendais les trompettes de la foire
et les fanfares de la salaison,
et j’entendais craquer les saucisses
et les planches des pistes de danse
et les éclats de rire du prêtre.
Sur une pierre
je dormais après mille ans.
Personne ne venait pour un lopin de terre,
qui sentait la mort et le thym.


Personne ne te connaît

Du festin de joie ne resta que la cruche du tourment
Chidiock Tichborne
Personne ne te connaît
et quand tu meurs,
ils se glissent dans les manteaux,
pour t’ensevelir.
N’oublie jamais ça !
Personne n’a besoin de toi
et quand tu meurs,
ils battent le tambour
et tiennent leur langue.
N’oublie jamais ça !
Personne ne t’aime
et quand tu meurs,
ils enfoncent ton mal du pays
et le rentrent dans la terre.
N’oublie jamais ça !
Personne ne te tue,
mais quand tu meurs,
ils te crachent dans ta chope de bière
et tu dois payer.

Sur la terre comme en enfer, traduit par Susanne Hommel, éditions La Différence, 2012

Cause commune n° 9 • janvier/février 2019