Par

Après son élection lors du congrès extraordinaire du PCF à Ivry-sur-Seine, Fabien Roussel, nouveau secrétaire national, revient pour Cause commune sur son parcours. Il livre son analyse des débats du congrès mais aussi son opinion sur le mouvement des « gilets jaunes » qui secoue le pays et ébranle la macronie. Il trace des pers­pec­tives pour les élections européennes, avec Ian Brossat comme tête de liste de ras­semblement populaire, et explicite sa conception du communisme du XXIe siècle.

fabien-roussel.jpg

En quelques mots pouvez présenter votre parcours ? Qu’est-ce qui est à la racine de votre engagement communiste ?
J’ai grandi dans le bassin minier, à Béthune, dans une famille de militants communistes et syndicaux. Mon premier engagement date du lycée, quand j’ai adhéré à la Jeunesse communiste pour la libération de Nelson Mandela et contre l’apartheid en Afrique du Sud. Aujourd’hui, tout le monde se réclame de Mandela, mais à l’époque, il y avait peu de monde pour mener ce combat. Je me souviens des initiatives extraordinaires que nous menions. On a envahi l’ambassade d’Afrique du Sud à Paris et le Quai d’Orsay. Nous avons organisé de grandes manifestations en sensibilisant beaucoup de jeunes. C’est à la même époque, que nous avons mené la bataille contre la sélection à l’université – déjà ! – en mobilisant contre la loi Devaquet. Et on a gagné ! Cette période a été très formatrice.

« La révolution écologique dont nous avons besoin ne pourra pas exister sans révolution sociale.»

J’ai également beaucoup appris auprès d’élus comme Michelle Demessine, quand elle était ministre puis sénatrice. Ou encore auprès d’Alain Bocquet, avec qui j’ai travaillé dans le Nord. J’ai aussi eu la chance de côtoyer des résistants qui m’ont relaté leur engagement et le rôle du PCF durant la guerre. Ce sont des moments que je n’oublierai jamais, qui m’ont structuré. Ces dernières années, avec mes camarades du Nord, nous nous sommes aussi démenés pour l’emploi, pour le pouvoir d’achat, pour défendre nos services publics et notre industrie. C’est tout cela qui enracine mon engagement.

Que retenez-vous du congrès du PCF ? Les observateurs prédisaient des déchirements. Pourquoi n’en a-t-il rien été ?
Les communistes voulaient un congrès exceptionnel : c’est réussi ! Nous avons fait la démonstration que le PCF est plus vivant que jamais. Nous sortons de ce congrès soudés, riches des multiples contributions qui ont donné à notre projet une cohérence et une force rarement atteintes.
Nous avions des débats à mener. Mais quand on est communiste, on sait qu’on partage l’essentiel : la volonté résolue de se battre pour en finir avec un système capitaliste qui détruit les hommes et la planète. La camaraderie forgée dans un combat d’une telle ampleur résiste aux débats, même les plus durs !
Pendant des mois, dans les sections et les fédérations, les communistes ont travaillé. La commission du texte a examiné plus de sept mille amendements. C’est comme ça, par le travail, qu’on construit des positions partagées. Cet exercice démocratique incroyable nous a permis de sortir du congrès rassemblés, avec un texte voté à 87 % : les orientations adoptées sont bien le fruit du travail de toutes et tous les communistes. Il s’agit maintenant de les faire vivre, de porter notre projet, d’être toujours plus dans les luttes.

« Taxer les carburants, demander à ceux qui n’ont d’autre choix que de prendre leur voiture pour aller travailler de se serrer encore un peu plus la ceinture, et en même temps supprimer des lignes de train et brader la SNCF, ce n’est sûrement pas une politique écologique ! »

Le congrès a affirmé l’ambition d’un parti plus visible, plus combatif. C’est dans cette perspective que nous avons décidé d’une campagne sur le pouvoir d’achat, en lien avec les mobilisations en cours. Elle doit être un temps fort de notre campagne permanente sur le coût du capital. Nous voulons montrer qu’il est possible de prendre le pouvoir sur l’argent, d’augmenter les salaires et de développer nos services publics. Nous voulons pointer la responsabilité des banques qui ne prêtent qu’aux riches et étranglent nos PME, nos collectivités. Quand on écoute la colère portée par les « gilets jaunes », le contenu revendicatif, notamment en matière de pouvoir d’achat et de justice fiscale, on se dit qu’il y a une attente, un espace pour porter nos propositions pour une plus juste répartition des richesses.

Gilets_jaunes_Dec_201820180031.jpg© Patrice Leclerc - photothèque.org

Le mouvement des « gilets jaunes » secoue toute la France. Que dit-il de l’état du pays et des consciences ?
Avant de nous renseigner sur l’état des consciences, le mouvement des « gilets jaunes » nous parle de l’état des porte-monnaie ! « D’abord la bouffe, ensuite la morale », comme l’écrivait Brecht. Qu’ils aient un gilet jaune ou non, de plus en plus de Françaises et de Français ont du mal à remplir le frigo ou à payer le loyer. Depuis des années, les gouvernements successifs leur demandent de se serrer la ceinture en leur expliquant qu’il n’y a plus d’argent : la France est en train de devenir un pays de travailleurs et de travailleuses – surtout de travailleuses ! – pauvres.

« Pour préserver la planète et relever le défi climatique, c’est la façon de produire qu’il faut changer. »

Ce n’est pas un hasard si les femmes sont si nombreuses sur les ronds-points : moins bien payées que les hommes, elles subissent plus souvent la précarité et les temps partiels imposés ; elles se retrouvent plus souvent seules à devoir élever des enfants. Elles subissent de plein fouet la dégradation des conditions de travail et la baisse du pouvoir d’achat.
Depuis que ce mouvement existe, il a affiné ses revendications et, nous avons largement participé à les alimenter. Elles posent la question fondamentale de la répartition des richesses, du coût exorbitant du capital pour notre société. Les mots d’ordre sont clairs : hausse du SMIC et des salaires, hausse des retraites, justice fiscale avec le rétablissement de l’ISF et une lutte plus efficace contre l’évasion fiscale. Ils exigent aussi de meilleurs services publics, notamment dans la ruralité.
Ce mouvement exprime une profonde colère de ne pas être écouté, mettant aussi en cause les partis politiques et les syndicats, et demandant la démission du président de la République qui catalyse toute la colère. Il faut entendre tout cela.

« La lutte des classes est plus que jamais d’actualité – le mouvement des “gilets jaunes” en fait la démonstration !»

À nous de montrer, sur le terrain, que les politiques ne sont pas « tous les mêmes ». Les communistes sont des Françaises et des Français comme les autres, qui ont aussi du mal à boucler les fins de mois. Beaucoup d’entre eux sont de fait impliqués dans le mouvement : ils sont à l’aise sur les ronds-points et dans les défilés. De leur côté, les élus communistes se sont aussi engagés pour apporter localement leur soutien. Les sénateurs et les députés ont, pour leur part, relayé les revendications pour plus de justice fiscale et plus de justice sociale. Les communistes sont résolument aux côtés des travailleuses et des travailleurs, des retraités, des lycéens et des étudiants, qu’ils portent ou non un gilet jaune.

Le gouvernement se retranche derrière la transition écologique pour justifier ses choix antisociaux. Vous, qui vous revendiquez écolo-coco, quel est votre point de vue sur la question ?
Ce n’est pas pour la transition écologique que le gouvernement cherche de l’argent : c’est pour combler les trous béants laissés, dans le budget de la France, par les cadeaux faits aux plus riches. Taxer les carburants, demander à ceux qui n’ont d’autre choix que de prendre leur voiture pour aller travailler de se serrer encore un peu plus la ceinture, et en même temps supprimer des lignes de train et brader la SNCF, ce n’est sûrement pas une politique écologique ! C’est juste une politique au service de la finance et des marchés. Utiliser l’argument écologique pour justifier sa politique antisociale, et opposer ainsi les besoins des hommes et ceux de la planète, est irresponsable. Avec ce genre de discours, on transforme l’écologie en luxe réservé aux populations urbaines aisées, alors que la planète est menacée.

« Pour préserver la planète et relever le défi climatique, c’est la façon de produire qu’il faut changer.»

Au contraire, la révolution écologique dont nous avons besoin ne pourra pas exister sans révolution sociale. Se dire communiste et écologiste, c’est simplement reconnaître cette nécessité : pour répondre à l’urgence climatique et aux défis environnementaux, il faut remettre en cause le système capitaliste.
Aujourd’hui, le principal responsable de la crise écologique, ce n’est pas le consommateur. Cela suffit de culpabiliser les hommes et les femmes qui n’ont pas de quoi acheter « bio », alors qu’un Français sur cinq ne peut pas faire trois repas par jour ! Pour préserver la planète et relever le défi climatique, c’est la façon de produire qu’il faut changer. C’est aux puissances de l’argent qu’il faut oser s’attaquer. Tant que les entreprises n’auront pas d’autre objectif que de faire toujours plus de profit, notre planète sera menacée.
Une politique de progrès doit répondre en même temps aux besoins sociaux, à l’urgence écologique et à la crise démocratique : donner des pouvoirs nouveaux aux travailleurs dans les entreprises pour promouvoir d’autres critères de gestion que la rentabilité ; refonder la banque centrale européenne (BCE) pour qu’elle prête à taux zéro aux États pour leurs investissements écologiques ; favoriser la gratuité des transports collectifs, au moins pour celles et ceux qui en ont le plus besoin, en donnant plus de moyens aux collectivités et en baissant la TVA à 5,5 % pour les transports en commun… Voilà des recettes nouvelles qui permettraient d’engager rapidement cette révolution écologique que nous appelons de nos vœux. À travers ces mesures, il s’agit d’inventer un nouveau modèle économique, social et démocratique, pour sortir de ce capitalisme prédateur pour l’être humain et la planète.

Les élections européennes approchent, le PCF propose Ian Brossat comme tête de liste de large rassemblement. Où en sont les discussions avec vos éventuels partenaires ? Sur quels sujets comptez-vous faire campagne ?
Nous portons depuis plusieurs mois l’objectif de construire une liste de large rassemblement. À ce jour, les seules discussions poussées ont lieu avec le mouvement Génération·S. Elles se poursuivent. La France insoumise vient de présenter sa liste ; EELV est déjà en campagne et le PS paraît hésiter entre le soutien à une liste conduite par Ségolène Royal et un partenariat avec le nouveau regroupement « Place pub­lique ». Cette diversité est aussi le signe que, sur la question européenne, les différentes forces de gauche ont des points de vue différents. Depuis Maastricht, cela a toujours été le cas ! Le Parti communiste français a toujours fait entendre sa voix lors de cette élection pour dénoncer ces traités européens qui n’ont rien apporté de bon aux peuples d’Europe et pour appeler à une autre construction européenne, respectueuse des peuples et des nations.

« Il s’agit d’inventer un nouveau modèle économique, social et démocratique.»

Le rassemblement, nous voulons le construire à la base, dans les entreprises, dans les quartiers et les villages. Notre liste sera à l’image de la France qui travaille et qui se bat. Avec Marie-Hélène Bourlard, nous voulons faire entrer la première ouvrière au parlement européen. Nous ouvrons aussi notre liste aux « gilets jaunes » et à toute cette France qui lutte : aux robes noires de la justice, aux blouses blanches de la santé, aux cols-bleus de la sidérurgie, aux cheminots, aux douaniers, aux enseignants… C’est à ce rassemblement que nous consacrons l’essentiel de notre énergie, avec l’objectif d’adopter lors de notre conseil national du 26 janvier une liste qui devra être à l’image de la France qui se bat pour faire respecter sa dignité.
Ian Brossat a fait une belle entrée en campagne. Nous sommes à cent cinquante jours de l’élection. C’est beaucoup et peu à la fois pour rassembler, convaincre et s’adresser notamment à toutes celles et à tous ceux qui pensent s’abstenir. Il est décisif de construire l’utilité du vote communiste et du vote tout court. Les positions successives du PCF au cours de l’histoire de la construction européenne, notre opposition historique aux traités, pour une autre Europe, sont plus que jamais à valoriser. Notre constance dans le combat depuis Maastricht, nos propositions pour rompre avec les dogmes des traités européens font notre originalité dans cette campagne. Nos campagnes pour le pouvoir d’achat, pour les services publics, sur le coût du capital, pour des droits nouveaux, contre le racisme et les discriminations, font écho dans l’Europe d’aujourd’hui, marquée par les politiques d’austérité et la montée des extrêmes droites.

Quelle est votre conception du communisme au XXIe siècle ?
La lutte des classes est plus que jamais d’actualité – le mouvement des « gilets jaunes » en fait la démonstration ! Partout dans le monde, les mouvements pour l’égalité et l’émancipation se multiplient : combat féministe, solidarité avec les migrants… Et ils doivent affronter une réaction toujours plus violente, la montée des intégrismes et des conservatismes. Être communiste au XXIe siècle, c’est mener de front tous ces combats.
On a voulu nous faire croire que le communisme était dépassé… Mais aujourd’hui, on voit bien que c’est le capitalisme qui est dépassé. Les inégalités qui explosent, la planète menacée, et il n’y a jamais eu autant de guerres… L’humanité ne peut pas continuer comme cela ! Sortir du capitalisme est une urgence. Et les communistes français, avec leur histoire ont un rôle à jouer, avec d’autres, pour bâtir un nouveau modèle économique et social, plus juste pour l’être humain et plus respectueux de la planète. Notre projet de société, qui place l’être humain au cœur de tous les choix, n’a jamais été autant d’actualité.

Cause commune n° 9 • janvier/février 2019