En réponse au rapport Delevoye, Olivier Dartigolles membre du CEN, chargé de l’animation du collectif de travail « Retraites/aide à l’autonomie » propose de construire, dans l’unité, une vaste riposte sur la base de contre-propositions, répondant aux défis du XXIe siècle, faisant le choix radical d’une innovation sociale et démocratique.
Comment avez-vous perçu le rapport Delevoye ?
Les préconisations du rapport Delevoye, présenté le 18 juillet, confirment le risque d’une rupture historique. Pour bien comprendre l’ampleur et la gravité de la démolition Macron/Delevoye, il faut d’abord retenir un chiffre : 14 %. Tout le projet macronien sur les retraites, par-delà la communication officielle laissant croire à une réforme pour plus d’équité et de liberté, consiste à bloquer définitivement à 14 % du PIB la part de la richesse nationale consacrée au financement des retraites alors que la population âgée de plus de soixante ans va augmenter. Ce blocage des ressources aurait comme conséquence un nouveau durcissement des conditions pour prendre sa retraite, une baisse généralisée du montant des pensions et une insécurité pour toutes et tous. La réforme Delevoye/Macron consiste à rendre l’avenir incertain, à l’opposé d’Ambroise Croizat qui voulait « mettre définitivement l’homme à l’abri du besoin, en finir avec la souffrance et les angoisses du lendemain ». Face aux défis démographiques, aux nouveaux besoins en lien avec l’accroissement et le vieillissement de la population, le pouvoir propose un recul de civilisation.
« La réforme Delevoye/Macron consiste à rendre l’avenir incertain, à l’opposé d’Ambroise Croizat qui voulait “mettre définitivement l’homme à l’abri du besoin, en finir avec la souffrance et les angoisses du lendemain”. »
La prétendue « liberté » consisterait à devoir choisir entre l’âge de départ et le niveau de pension : travailler plus pour presque rien ou partir plus tôt pour trois fois rien. La grande hypocrisie du rapport Delevoye est de faire croire à un maintien de l’âge légal de départ à 62 ans alors que tout est fait pour reculer l’âge de départ effectif à 64 ans. Les plus belles années à la retraite, celles en bonne santé, sont donc directement menacées par la réforme.
Pourquoi le PCF qui défend, en toutes circonstances, l’idée d’égalité s’oppose-t-il à un système universel par points ?
L’universalité ne pose pas en soi de problème. Pour répondre à l’aspiration très majoritaire à une simplification du système des retraites, on peut très bien mettre en place un régime unique pour faire converger vers le haut les droits à la retraite de l’ensemble de la population tout en prenant en compte les spécificités professionnelles, mais ce n’est pas le cas avec la réforme Macron qui veut en finir avec un système de protection collective, solidaire, universel et égalitaire. Avec les préconisations Delevoye, les pensions de retraite deviennent une simple variable d’ajustement budgétaire.
Quant à un système par points, là encore, le brouillage est total. Un système par points, tout comme un régime par annuités, peut donner le meilleur comme le pire. La seule question est de savoir qui est protégé et sécurisé : les assurés ou les marchés financiers ? Le premier régime par points, celui de l’AGIRC, a été mis en place en 1947 sous la haute autorité d’Ambroise Croizat avec l’ambition d’apporter à chaque travailleur la garantie d’une sécurité. Il ne s’agit pas de cela aujourd’hui, mais d’une opération consistant à en finir avec la répartition au profit de la capitalisation. Ce choix est parfaitement assumé par Jean-Paul Delevoye dans son rapport. Les systèmes par points ou en comptes notionnels mis en place dans les autres pays, avec la même logique d’un blocage des ressources de financement, ont provoqué de très graves défaillances et des régressions sociales. Le nouveau monde fait dans les veilles recettes qui ont échoué.
Considérez-vous que la présentation de ce rapport en plein été indique une certaine fébrilité de l’exécutif sur le sujet ?
En effet, le pouvoir a la crainte d’un nouvel embrasement social qui peut se cristalliser sur une question, comme cela a été le cas avec l’irruption du mouvement des gilets jaunes. La passion française pour l’égalité ne peut que provoquer une « peur au ventre » au sein de la macronie. Il y a de la fébrilité comme on a pu le constater avec les improbables bidouillages de Delevoye pour présenter le futur régime sous un visage plus avantageux que le régime actuel.
« Le système de retraites est aujourd’hui malade du chômage, de la précarité, de l’internationalisation et de la financiarisation. »
Concernant les retraites, les choses s’étaient jusqu’ici plutôt bien passées pour Emmanuel Macron et son gouvernement. Le candidat a fait campagne sur une promesse d’équité, « un euro cotisé qui donne les mêmes droits à tous », sans toucher à l’âge légal de départ à la retraite. Les sondages d’opinion étaient alors favorables à la réforme. La machine a commencé à se gripper quand, en avril dernier, à l’issue du grand débat, Emmanuel Macron a proposé de « travailler davantage ». Les citoyens ont commencé, à juste titre, à flairer une entourloupe. Puis, le débat a porté sur la possibilité de faire des économies sur les retraites dès 2020 par une réforme paramétrique. Emmanuel Macron s’était engagé à ne pas actionner ce levier pour ne pas créer du trouble vis-à-vis de sa réforme systémique. Une précision : si cette proposition n’a pas été retenue pour le PLFSS 2020, le dossier de presse accompagnant le rapport Delevoye préconise un retour à l’équilibre financier d’ici 2025, date de la mise en œuvre du régime universel par points. Pour aller chercher 10 milliards, le pouvoir renvoie la patate chaude aux partenaires sociaux. On connaît la chanson. C’est la même méthode que pour l’assurance-chômage, dont les décrets d’application ont été publiés fin juillet, le gouvernement fait croire à une concertation, avec des objectifs d’économie, comme lettre de cadrage, pour, dans un second temps, reprendre la main. La spirale autoritaire du macronisme a aussi ses traductions dans le champ de la démocratie sociale.
« La spirale autoritaire du macronisme a aussi ses traductions dans le champ de la démocratie sociale. »
In fine, l’opinion publique a basculé. Pour une majorité de personnes interrogées, la réforme Macron des retraites aura comme conséquence un recul de l’âge du départ à la retraite et une diminution des pensions. Les clivages politiques réapparaissent fortement. Seuls les électeurs du premier tour d’Emmanuel Macron et de François Fillon sont favorables à la réforme. Interrogés sur les inconvénients de cette réforme des retraites, les sondés répondent : « il faudra travailler plus longtemps », « le montant des pensions des retraites va diminuer », « il faudra faire de plus en plus appel à des organismes privés pour préparer sa retraite », « on ne saura qu’au dernier moment le montant de la pension ». On retrouve ici les principaux questionnements qui, naturellement, viennent à l’esprit quand il est question de la retraite. À quel âge je pourrai partir ? Avec quel niveau de pension ? Une autre question va être pointée dans le débat public dans les prochains mois : comment ce niveau de pension évoluera au cours de ma retraite et qui le décidera ? La question démocratique sera centrale.
Comment riposter à Macron ?
Avec quels arguments ? D’abord, il est très important d’affirmer clairement que le statu quo n’est pas possible. On a besoin d’audace, d’un nouvel imaginaire politique. Sur les retraites, la protection sociale dans son ensemble, le projet de société. La panne d’imaginaire n’est-elle pas au cœur de la crise frappant la gauche et l’ensemble des forces de progrès ? Quand le macronisme prétend, à lui seul, incarner le « progressisme » face aux « nationalismes/populismes », on mesure combien il y a urgence à s’attaquer à cette fausse alternative qui peut conduire au pire. La bataille sur l’avenir des retraites ouvre sur des questions essentielles – les cycles de la vie, le travail, la création et la répartition des richesses, la solidarité entre générations – inspirées par une soif de dignité pour nos vies.
Le système des retraites actuel est défaillant, jugé beaucoup trop complexe et inégalitaire par une majorité de personnes. La confiance n’est plus là, notamment pour les plus jeunes qui ont intégré l’idée selon laquelle « la retraite, on ne l’aura pas, faut pas rêver ». Cela est la conséquence directe des effets cumulés des différentes réformes régressives des trois dernières décennies. Chaque réforme concernant le système des retraites a été l’occasion de mettre en œuvre la promesse de Denis Kessler : « Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance. » Croizat avait vu juste : « Le patronat ne désarme jamais. »
Je crois essentiel de ne pas être dans une bataille défensive sur les « acquis sociaux » mais de faire le choix radical d’une innovation sociale et démocratique. Oui, il faut aujourd’hui une réforme des retraites et cette réforme doit dire la société que nous voulons et celle dont on ne veut pas. Le débat à venir sera donc éminemment politique dans le sens où nous sommes face à un véritable enjeu de civilisation. C’est à ce niveau-là, et pas en deçà, qu’il faut riposter.
« La bataille sur l’avenir des retraites ouvre sur des questions essentielles – les cycles de la vie, le travail, la création et la répartition des richesses, la solidarité entre générations – inspirées par une soif de dignité pour nos vies.»
Les postures, les masques, les fables, les hypocrisies et les enfumages tomberont au fur et à mesure que nous avancerons dans un travail méthodique sur les dits et les non-dits de la réforme Delevoye/Macron. Nous proposons une campagne de décryptage, de révélation, de vérité, à la dimension de ce que nous avons été capable de produire, dès 2003, sur le Traité constitutionnel européen. Le pouvoir entretient la complexité sur ce dossier des retraites pour justement éviter que les citoyens ne s’en mêlent. « Âge d’équilibre » ou « pivot », « points », « taux de rendement », « durée de cotisation »... tout cela peut très vite devenir nébuleux d’autant plus que les préconisations du rapport Delevoye se gardent bien d’apporter des réponses claires à des questions précises qui ne sont pas encore tranchées.
Nous proposons un autre axe qui est déterminant pour bien se faire comprendre. Commençons par éclairer et mettre en débat partout dans le pays les défis auxquels notre système de retraites doit faire face. Ce système est aujourd’hui malade du chômage, de la précarité, de l’internationalisation et de la financiarisation. Le rapport Delevoye passe totalement sous silence l’analyse de la situation des actifs aujourd’hui, ou encore les évolutions du monde du travail qui provoquent de plus en plus d’inégalités. Nous avons devant nous un immense chantier d’analyse, et d’anticipation sur ces questions.
Quel pourrait être ce troisième temps dans les cycles de la vie ? Quel épanouissement durant les années de retraite ? « Je l’aime tant, le temps qui reste » chantait Reggiani. Mais à la question « Combien de temps, combien de temps encore ? », c’est aujourd’hui l’angoisse qui domine sur la possibilité de pouvoir vivre les dernières années dans la dignité. Combien de personnes âgées, de familles, vivent avec cette épée de Damoclès ? Nos propositions sur l’aide à l’autonomie peuvent être davantage portées. Comment « prendre soin » ? Avec quelle ambition en matière de politique publique ? Là encore, le macronisme va au pire avec une marchandisation accélérée de la « dépendance ».
Quelle vision des retraites au XXIe siècle portez-vous ?
Nous portons un projet de solidarité et de progrès social. Rien – et surtout pas les évolutions démographiques prévisibles — ne justifie l’entreprise de démolition proposée par Emmanuel Macron et sa majorité. Chaque travailleur crée bien plus de richesses qu’en 1945 et en créera encore plus au cours des prochaines décennies. On peut parfaitement garantir des niveaux de pensions permettant d’assurer la continuité du meilleur niveau de vie de carrière. On peut en finir avec la coupure des cycles de vie (formation/travail/retraite) en développant la formation à tous les âges de la vie et en transformant les conditions de transition de l’emploi à la retraite. On peut réaliser pour de vrai l’égalité entre femmes et hommes en matière de retraites et donc de salaires.
« Au total, les ressources consacrées chaque année au financement des retraites pourraient être augmentées de 70 à 90 milliards au bout de cinq ans. »
À l’opposé du projet Macron, nous proposons un système de retraites à prestations définies, avec un âge de départ connu, garantissant la solidarité entre salariés, notamment en matière de pénibilité et de durée de carrière. Chacun peut ainsi connaître les droits dont il disposera à 60 ans, sans vivre dans la crainte d’une réduction de la valeur du « point retraite » au moment de la liquidation de la pension et sans être mis sous pression pour accumuler des points au cours de sa vie professionnelle, en compétition avec les autres salariés. Le retour à une retraite pleine et entière à 60 ans, garantissant au minimum 75 % du meilleur revenu d’activité, répond aux enjeux de la période, à la révolution numérique, à la nécessité d’en finir avec l’immense gâchis d’une jeunesse qui arrive sur le marché du travail dans des conditions de précarité de plus en plus insoutenables.
Il est nécessaire de consacrer plus de richesses aux pensions versées à un nombre croissant de retraités et aux dépenses visant à préserver la santé et l’autonomie des personnes âgées. Entre 1960 et aujourd’hui, la part du PIB consacrée au financement des retraites est passée de 5 % à 13,8 soit une augmentation de 176 % ! C’est sans commune mesure avec le niveau à atteindre aujourd’hui.
Il faut se préparer à une bataille politique et idéologique sur le financement et donc sur le coût du capital, sur la création et la répartition des richesses. Aujourd’hui, cette répartition se fait au détriment des salaires et de la protection sociale avec d’immenses gâchis en termes de capacités humaines et une perte d’efficacité économique. Mettons en débat un prélèvement sur les revenus financiers des entreprises et des banques, une modulation des cotisations sociales patronales selon les comportements des entreprises sur l’emploi, les salaires et la formation, idem pour l’impôt sur les sociétés, les aides fiscales et sociales dont bénéficient les entreprises, une réorientation du crédit bancaire et de la politique monétaire. Au total, les ressources consacrées chaque année au financement des retraites pourraient être augmentées de 70 à 90 milliards au bout de cinq ans.
Comment construire un large front de riposte à la réforme Delevoye/Macron ?
Le rapport Delevoye va servir de base au projet de loi qui sera présenté en conseil des ministres d’ici la fin de l’année. L’exécutif a revu son calendrier initial. L’examen au parlement a été repoussé après les élections municipales de mars 2020. C’est la même stratégie que pour le CETA, voté à l’Assemblée nationale après les élections européennes.
Sur la réforme des retraites, le potentiel de rassemblement est considérable. Le PCF, sa direction, les groupes parlementaires, nos organisations, vont bien évidemment nourrir le débat avec des propositions précises et argumentées. N’est-il pas possible, sur cette bataille, d’aller rapidement vers des convergences essentielles, identifiées comme telles auprès du plus grand nombre, avec un arc de forces sociales et politiques progressistes le plus large possible ? La question ne va donc pas être de « faire la différence » en pointant les limites ou les faiblesses des uns et des autres mais de s’unir sur une plate-forme pour un système des retraites du XXIe siècle. C’est le sens de l’appel du secrétaire national du PCF en réaction à la publication du rapport Delevoye.
Notre université d’été de la fin août propose une table ronde avec des syndicalistes et des responsables politiques. La prochaine fête de L’Huma permettra de très nombreuses rencontres et des échanges pour, en lien avec le mouvement social et citoyen, construire une belle unité de riposte et de contre-propositions pour répondre à un triple défi : l’augmentation de la part des plus de 60 ans dans la population, l’allongement de la durée de vie et l’aspiration à une autre vie. Pour le macronisme, tout cela est un problème. Nous y voyons au contraire une formidable invitation à faire autrement, à imaginer nos jours heureux dans les conditions de notre époque.
Cause commune n° 13 • septembre/octobre 2019