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Sénateur de Seine-Saint-Denis, Fabien Gay est aussi membre du comité exécutif national du PCF. Pour Cause commune, il évoque la bataille menée par les parlementaires communistes dans une période où la pandémie covid-19 est instrumentalisée pour imposer des restrictions démocratiques. Il apporte également des éléments de réflexion à propos du  « monde d’après »  qui reste à construire et de la manière avec laquelle les communistes peuvent y contribuer.

Propos recueillis par Léo Purguette

Quel regard portez-vous sur la gestion française de la pandémie covid-19 ?
Une crise, c’est un moment soudain, violent et imprévisible. Il faut donc de l’anticipation, de l’adaptation et de la réactivité. Le constat est là, et le sentiment majoritaire est que l’État n’était pas prêt pour gérer cette pandémie mondiale et ses effets sur notre territoire. Beaucoup de questions ont surgi, notamment sur la gestion sanitaire, et devront être posées dès la fin de cette crise.
Pour l’instant, tous les efforts doivent être concentrés pour résoudre cette crise sanitaire, mais aussi ses effets sociaux, économiques et environnementaux. L’une des problématiques centrales aujourd’hui est celle de la temporalité, à savoir quand cette crise prendra fin. Il nous faut à mon avis une grande humilité en cette période, car les scientifiques eux-mêmes ne sont pas nécessairement d’accord ; par exemple, est-ce que le virus covid-19 s’éteindra tout seul ? Deviendra-t-il saisonnier ? Allons-nous être confrontés à une deuxième vague, et à un besoin de reconfinement ? Va-t-il falloir attendre de disposer d’un vaccin, d’ici plusieurs mois, pour sortir complètement de cette crise ? Le virus risque-t-il de muter ou devenir plus résistant ?

« Pour panser nos maux, il faudra sortir des mots et des belles phrases, et mettre des moyens financiers et humains pour répondre par des actes, aux attentes des malades, de nos aînés, des personnels soignants et des personnels des EHPAD. »

L’autre élément essentiel et immédiat, c’est de donner les moyens à nos soignants et à l’hôpital public de soigner tous les malades. Le gouvernement peut se gargariser du fait que notre hôpital a pu gérer pour l’instant le pic épidémique, en doublant les lits de réanimation. Mais à quel prix ? Au prix du dévouement incroyable de l’ensemble des métiers de santé et de sécurité. Pourtant, elles et eux nous alertaient depuis des mois, voire des années, sur le fait que notre hôpital public était en grande souffrance humaine et financière. Quand on sait que nous disposions de 5 000 lits de réanimation avant la crise et que le taux d’occupation était de 90 % à 95 % en temps normal, on se dit légitimement que nous étions déjà au bord de l’implosion de nos hôpitaux publics. Nous l’avions d’ailleurs constaté avec le tour de France des hôpitaux entrepris en 2018-2019 par les parlementaires communistes, en écoutant la grande souffrance des personnels hospitaliers.
Mais le gouvernement n’a jamais voulu entendre ce cri d’alerte. Qui se souvient encore que, le 14 janvier dernier, plus de mille chefs de service ont démissionné de leurs fonctions administratives pour sauver l’hôpital public ? Pas un geste, pas un mot, pas un seul moyen supplémentaire n’a alors été mis sur la table pour répondre à leur cri d’alerte, leur cri de colère, leur cri de désespoir. Pire, lors des débats sur les budgets de la Sécurité sociale, les choix budgétaires d’austérité continuaient. Et lorsque le personnel soignant descendait dans la rue, il n’avait qu’une seule réponse, la répression. Pourtant, ce sont les mêmes qui quelques semaines après sont applaudis tous les soirs aux fenêtres par le peuple français, et salués par le gouvernement pour leur courage et leur dévouement.
Il ne faudra donc rien oublier. Il ne faudra pas oublier, non pas pour faire un « procès » mais bien pour que jamais plus nous ne restions sourds à ces appels. Oui, la santé est notre bien commun et elle doit être sortie du système marchand. La désorganisation de l’hôpital public et la mise en place de critères de rentabilité comme dans n’importe quelle autre entreprise, la réduction du nombre de lits et de personnel auraient pu nous conduire à une situation bien pire encore. Il faudra également regarder de près ce qui vient de se passer dans les EHPAD, la situation des personnes âgées qui y sont prises en charge, leur détresse couplée à celle d’un personnel parfois laissé seul pour gérer cette crise. Là aussi, la question de la dépendance de nos aînés doit être une question prioritaire et de société.
Il nous faudra donc examiner dans le détail tous les choix qui ont été faits et nous ont conduits dans cette situation. Évidemment, des commissions d’enquête ont été évoquées et devraient être initiées au parlement, peut-être d’ici le mois de juin. Mais plus que les errances et les manquements de ce gouvernement, il nous faudra comprendre quels sont les choix politiques qui ont été faits depuis vingt ans, et qui ont eu pour conséquence de mettre l’État à l’os. Par exemple, la gestion des masques et du stock de masques d’État implique les choix des trois derniers gouvernements, depuis le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Pourquoi et comment sommes-nous passés d’un milliard de masques en stock à 145 millions ? Et cela entraîne la question de nos choix en matière de politique industrielle et de souveraineté, sur lesquels je reviendrai.

« Plus que les errances et les manquements de ce gouvernement, il nous faudra comprendre quels sont les choix politiques qui ont été faits depuis vingt ans, et qui ont eu pour conséquence de mettre l’État à l’os. »

Tout doit être interrogé, remis en question. Pour panser nos maux, il faudra sortir des mots et des belles phrases, et mettre des moyens financiers et humains pour répondre par des actes aux attentes des malades, de nos aînés, des personnels soignants et des personnels des EHPAD.
Pour ce qui concerne ce gouvernement en particulier – et même si je pense qu’aucun gouvernement ne pourrait dire qu’il aurait été prêt à cent pour cent – ses choix méritent tout de même d’être interrogés.
Les injonctions contradictoires, les prises de parole intempestives, les manques de masques, de gel hydroalcoolique, de tests – manques qui ne sont toujours pas résolus à l’heure où j’écris ces lignes – noyés dans une communication parfois brutale n’ont jamais rassuré les Françaises et les Français. La perte de confiance dans la parole publique est lourde. Parfois les silences et la modération, lorsque l’on ne sait pas, et l’humilité, devraient s’imposer.

Comment vivez-vous le confinement et comment les parlementaires poursuivent-ils leurs missions ?
Cette crise sanitaire a évidemment bouleversé le quotidien de chaque Française et Français. Le confinement a été pour beaucoup difficile. J’ai une pensée pour celles et ceux qui ont été seuls, nos aînés évidemment, mais aussi les étudiantes et étudiants confinés dans leur petite chambre universitaire. Ce confinement a été une épreuve pour les plus précaires. Il a bouleversé notre vie sociale, et de nombreux drames sociaux, par exemple dans les cas de confinement avec un conjoint violent, ont eu très certainement des effets désastreux dont nous ne mesurons pas encore toutes les conséquences. Je pense également à toutes les familles nombreuses dans des logements exigus et souvent précaires. Le confinement a révélé et a creusé les injustices sociales et économiques. Après deux mois de confinement, les associations caritatives et de nombreuses collectivités nous alertent sur l’explosion de la pauvreté.
Pour ce qui nous concerne, nous som­mes majoritairement en télétravail. Comme l’ensemble de mes collègues, j’ai rapidement pris l’habitude de travailler en visioconférence. Membre de la commission des Affaires économiques, j’ai été chargé de suivre avec deux de mes collègues les effets des mesures économiques sur les TPE-PME, le commerce et l’artisanat. J’ai participé en l’espace de trois semaines à une quarantaine de réunions ou d’auditions en visioconférence. Tout cela, sans oublier les travaux du groupe, de la commission, les travaux avec les autorités de mon département, les réunions de notre parti, etc.
Cette question du télétravail doit d’ailleurs nous interroger sur l’après, non pas pour nous, mais pour les millions de salariés qui, dans ce moment, sont concernés par ce dispositif. Car le télétravail peut présenter des risques, notamment le brouillage des limites entre vie privée et vie professionnelle, puisque l’espace de la maison devient un espace de travail, et avec en plus des millions de Françaises et de Français assumant la garde de leurs enfants. Nous devrons donc, il me semble, poser très rapidement la question de l’encadrement très strict du télétravail et de son organisation, car s’il permet une flexibilité et une rapidité, et dans ce contexte de crise sanitaire, une certaine sécurité, s’il permet potentiellement d’éviter parfois de faire des heures de trajet pour une réunion, il comportera néanmoins de lourds risques pour beaucoup de salariés.

« Le confinement a révélé et a creusé les injustices sociales et économiques.  »

Pour revenir sur notre action, si nous avons continué notre mission, assidûment, de contrôle et de suivi de l’action du gouvernement, rien ne remplace le « présentiel ». La politique, c’est le débat, l’échange direct avec la population et la confrontation des idées. Avec le confinement, l’échange avec nos concitoyens est réduit drastiquement et la confrontation des idées par écrans interposés est rendue plus difficile. Rien ne remplacera donc le débat en vis-à-vis, dans la rue, sur le marché ou dans l’hémicycle. C’est un manque et comme beaucoup, j’ai hâte de revenir à une « vie normale », même si nous avons conscience que cela se fera dans un temps long.

Les dogmes libéraux sont sérieusement entamés par la crise sanitaire, ressentez-vous un changement dans vos relations avec le gouvernement ?
Solidarité contre compétition, mise en commun contre accaparement des richesses, biens communs contre privatisations sont des débats que le plus grand nombre s’approprie à présent. La crise sanitaire a donc fait surgir aux yeux de toutes et tous l’inaptitude du capitalisme à répondre aux besoins humains et de notre planète. Il faudra même s’interroger pour savoir si la destruction de la biodiversité n’est pas, directement ou indirectement, à l’origine de cette crise. La destruction des milieux naturels, la déforestation avec l’étalement urbain perturbe, nous le savons, notre écosystème. La protection de notre planète et de l’humanité doit donc être au cœur de nos ré­flexions et de notre projet de société.
Le président de la République et le gouvernement ont eux aussi par les mots, et seulement par les mots, bougé des lignes au début de cette crise. Par exemple, le président de la République a dit, le 12 mars dernier : « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. » Des membres du gouvernement ont également indiqué qu’il fallait se poser la question de la réindustrialisation de notre pays et de la souveraineté, à la fois industrielle dans un certain nombre de domaines, mais aussi alimentaire. Enfin, le président de la République évoque régulièrement « les jours heureux », comme pour faire référence au programme issu du Conseil national de la Résistance, avec la création de la Sécurité sociale et la nationalisation d’un certain nombre d’entreprises stratégiques pour notre pays. Pour l’instant, cependant, tout ceci reste uniquement de l’ordre des mots.
Par exemple, comment comprendre que le gouvernement refuse toujours d’évoquer et de débattre des questions de nationalisation d’un certain nombre d’entreprises stratégiques ? On a souvent cité l’exemple de Luxfer, à l’arrêt depuis plusieurs mois, et qui était la seule entreprise en Europe à fabriquer des bouteilles d’oxygène. Le ministre de l’Économie a dit que « la production serait trop longue à relancer ». Mais, à la sortie de la crise, nous aurons encore besoin de bouteilles d’oxygène. Il faudrait donc prendre la décision dès à présent de relancer cette entreprise pour que nous puissions acquérir une souveraineté dans ce domaine médical pour les années futures.

« Nous avons fait de nombreuses propositions, notamment pour aider les petits commerçants, les petites entreprises et les indépendants. »

Mais le pire, ce sont les différences entre les paroles et les actes. Par exemple, Bruno Le Maire a demandé que les entreprises qui bénéficieraient de prêts garantis par l’État ou activeraient le chômage partiel ne versent pas de dividendes à leurs actionnaires. Or un certain nombre de groupes, comme Vivendi, Engie, etc., qui en bénéficient, vont malgré tout verser de tels dividendes en pleine crise de covid-19. Le pire reste Sanofi, grande entreprise du médicament qui verse 100 millions d’euros pour les hôpitaux, contre 4 milliards pour ses actionnaires, ou le groupe Korian (qui gère les EHPAD) qui a voulu, avant de renoncer, verser des dizaines de millions de dividendes. Même en pleine crise, ces groupes démontrent qu’ils n’ont pas d’éthique. Business is business  est leur credo. Il aurait donc fallu légiférer, car la loi est le seul moyen de les contraindre. Mais jamais le gouvernement n’a voulu contraindre les grands groupes. Il a préféré faire appel à la charité… Le débat qu’il nous faudrait poser, c’est le besoin d’un pôle public du médicament, et qu’aucun groupe, à aucun moment, ne puisse faire de la spéculation financière et du profit sur nos vies.
Il faut également lister un certain nombre d’entreprises, ou de pans entiers de l’économie, qu’il nous faut sortir du secteur marchand, par exemple les transports ou encore l’énergie. Mais c’est ce gouvernement qui, lors de la loi Pacte, a achevé de privatiser l’entreprise Engie, et s’apprêtait, avec le projet Hercule, à scinder l’entreprise publique EDF en deux. Sont-ils prêts, au-delà du moratoire, à abandonner ce projet et à se poser véritablement la question de quelles entreprises publiques nous avons besoin dans ce domaine pour répondre à un double défi : la nécessaire transition énergétique et, en même temps, l’accès à toutes et tous au bien commun de l’énergie ? Car pour l’instant, 12 millions de personnes se trouvent en situation de précarité énergétique.
Sur tous ces grands débats, la réponse du gouvernement est négative. Et ils traitent parfois celles et ceux qui les posent, tantôt avec mépris ou dédain, tantôt avec indifférence. Je me permets de revenir sur les masques. Au-delà de la gestion du stock et des injonctions contradictoires allant de « Cela ne sert à rien de les porter » à, quelques se­mai­­nes plus tard, pénaliser financièrement celles et ceux qui ne les
porteront pas dans les transports, se pose la question des prix. Avant la crise, le masque coûtait 7 centimes ; aujour­d’hui, il est plafonné à 95 centimes. Pour une famille avec deux adolescents, cela représente une dépense supplémentaire qui peut aller jusqu’à 200 euros. Si c’est la guerre, alors comme dans toute guerre, il y a des profiteurs !
Nous posons avec force que si les masques sont essentiels à la sécurité sanitaire et la santé publique, il faut qu’ils soient gratuits. Même s’il fallait encore le justifier financièrement, ce qui ne devrait pas être le cas, la gratuité pour toutes et tous, loin de nous « coûter », nous rapportera. Si toutes les Françaises et tous les Français sont dotés d’un masque, nous aurons moins de malades, nos hôpitaux et leur personnel seront moins surchargés, et ce sera donc à la fois un bien humain et un bien financier. Mais le gouvernement reste campé sur ses certitudes. Son fétichisme du marché l’empêche d’envisager la santé des Françaises et des Français comme une priorité.
Si des dogmes ont été sérieusement ébranlés, le monde d’après, terme dont je me méfie, est en réalité en train de se construire maintenant. Le gouvernement, la droite et le MEDEF, main dans la main, ont décidé de ne rien changer. Alors que la problématique de la sécurité alimentaire est elle aussi posée, l’Union européenne et le Mexique ont décidé de nouer un énième accord de libre-échange, destructeur pour notre agriculture et nos normes sociales, alimentaires et environnementales.

« Poser très rapidement la question de l’encadrement très strict du télétravail et de son organisation. »

Ce qui est en train de se jouer actuellement, c’est surtout de savoir qui va payer la crise. Est-ce que ce seront les peuples, comme après la crise financière de 2008-2009, avec moins de services publics, des plans d’austérité et le détricotage du code du travail ou, alors, ferons-nous payer et contribuer les 1 % les plus riches à la relance économique ? Les parlementaires communistes, au Sénat comme à l’Assemblée nationale, ont fait des propositions de rétablissement de l’ISF, de suppression de la flat-tax, de l’exit-tax, ou encore de faire contribuer les hauts revenus à la crise. Mais pour l’instant, la seule réponse du gouvernement, c’est de détricoter le Code du travail pour « relancer la machine économique ». Un groupe comme la FNAC, qui a obtenu un PGE (prêt garanti par l’Etat) de 500 millions d’euros, a proposé à ses salariés de les payer 100 % au lieu des 84 % au chômage partiel, s’ils acceptaient à la sortie de crise de travailler 43 heures. Cette question doit sortir du seul débat parlementaire et le plus grand nombre doit s’en emparer, sinon nous courons le risque que seuls les salariés, par la sueur, les larmes et le sang, en paient le plus lourd tribut durant la prochaine décennie.

Vous êtes membre de la commission des Affaires économiques, comment jugez-vous les actions économiques qui ont été décidées. Quelles propositions portez-vous pour changer de cap ?
La crise sanitaire est en vérité le révélateur d’une crise économique et sociale d’une ampleur inégalée. Il faut souligner qu’en matière de propositions économiques, le gouvernement a pris des mesures d’urgence « allant dans le bon sens », notamment avec l’instauration du fonds d’urgence pour les TPE-PME, mais aussi avec les Prêts garantis par l’État (PGE), même s’il y a des manques et de nombreux trous dans la raquette, que j’ai pu constater en auditionnant de nombreux acteurs, notamment les TPE-PME, les commerçants et artisans. Nous avons fait de nombreuses propositions pour améliorer le système, pour aider les petits commerçants, les petites entreprises et les indépendants. Il reste encore beaucoup à faire, entre autres pour les travailleurs et travailleuses des plateformes numériques, les intermittents et les professionnels de la culture, ou encore les apprentis et les stagiaires, dont on parle peu.
Concernant les prêts garantis par l’État, les banques, contrairement à ce que raconte le ministre de l’Économie, ne jouent pas le jeu. Si vous êtes une grande entreprise, bien cotée à la Banque de France, vous obtiendrez un prêt garanti par l’État ; mais si vous êtes une TPE, hors cotation Banque de France, cela se complique. En effet, le PGE est garanti à 90 % par l’État, et seulement au bout du troisième mois. Donc, les banques prêtent sur les 10 % restant, parfois à des taux élevés, et souvent en demandant des projections financières impossibles ou même des cautions personnelles. Enfin, beaucoup de petites entreprises nous font remonter qu’elles n’ont obtenu que la moitié, voire moins, du prêt qu’elles demandaient. Si vous avez besoin de 100 000 euros, et que l’on vous en prête 50 000, vous restez en difficulté.
Une des propositions que nous avons faites est que soit l’État se porte caution à 100 % pour les prêts de ces petites entreprises, soit que la BPI, chargée de garantir tous les prêts de l’État, prête elle-même directement aux entreprises.


« Comment comprendre que le gouvernement refuse toujours d’évoquer et de débattre des questions de nationalisation d’un certain nombre d’entreprises stratégiques ? »

C’est à cette seule condition que nous ne verrons pas dans les prochaines semaines des milliers d’entreprises fermer et des milliers d’emplois détruits.
Nous avons également porté, avec le groupe CRCE au Sénat, et notamment Pascal Savoldelli, notre collègue du Val-de-Marne, la proposition de reconnaître comme salariés les travailleurs des plateformes numériques, conformément aux décisions prises par la justice, pour sécuriser leurs revenus mais aussi pour leur permettre d’accéder à une protection sociale, à laquelle ils de­vraient avoir droit. Enfin, nous avons avec le groupe œuvré pour que les indépendants, les entreprises de 11 à 20 salariés, les travailleurs non salariés, les conjoints collaborateurs, qui étaient exclus au départ des dispositifs du fonds d’urgence, puissent y accéder.
Ensuite, ce qui manque pour l’instant dans les budgets rectificatifs, outre le volet sur l’hôpital public, c’est tout ce qui concerne le volet de l’urgence sociale. Il faut décréter l’urgence sociale, et nous avons fait valoir avec le groupe un certain nombre de propositions dans ce domaine. Par exemple, le déconfinement va débuter le 11 mai, mais personne ne sait s’il ne sera pas nécessaire de nous reconfiner dans le cas où nous devrions faire face à une seconde vague. Il est donc impératif que nous prolongions la trêve des expulsions locatives durant au moins toute l’année 2020, et non pas uniquement jusqu’en juillet, comme l’a décidé le gouvernement. Il nous faut également prévoir une aide pour les plus précaires. Pour cette raison, nous demandons le doublement de la prime de 150 euros, afin de pouvoir faire face aux factures d’hébergement, d’énergie mais aussi et surtout aux dépenses de nourriture, qui ont explosé dans la dernière période. Enfin, nous avons soumis la proposition d’élargir le chèque énergie à l’ensemble de celles et ceux qui sont actuellement au chômage partiel. En effet, le confinement a eu pour effet une augmentation de fait des factures d’électricité, avec l’ensemble des repas pris à domicile et la surutilisation des appareils électroménagers. Évidemment, la question de l’augmentation des salaires est posée. On l’a vu pendant la crise, les premiers de cordée sont en réalité les premiers de corvée. Le salaire des infirmiers, des caissiers, des éboueurs et de tant d’autres doit être sans attendre revu à la hausse. Malheureusement, pour l’instant, ces mesures d’urgence sociale n’ont pas été acceptées par le gouvernement.

« Passer d’un modèle de compétition internationale qui se traduit par la désindustrialisation de notre pays à un modèle de souveraineté coopérante. »

Enfin, nous devrions envisager un grand plan de relance de 50 milliards d’euros, notamment en matière industrielle pour amorcer la transition écologique et sécuriser nos vies. Cela permettrait de relancer l’économie, mais aussi de soutenir la consommation. Pour cela, il est impératif de changer l’orientation de la Banque centrale européenne pour qu’elle prête directement aux États. Le grand risque au sortir de cette crise sanitaire, c’est une crise sociale avec des millions de chômeurs et une récession qui continue. Il faut donc dès maintenant planifier la relance qui doit être verte et sociale.

La période comporte de nombreux risques, craignez-vous un écrasement supplémentaire du rôle du parlement ?
L’écrasement du parlement est déjà là, malheureusement. L’hyper-présidentialisation avec le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral font que le parlement n’est vu par l’exécutif que comme « une chambre d’enregistrement », alors qu’il est le cœur battant de notre démocratie. Il est évidemment temps de remettre sur l’établi le chantier de la VIe République.
Dans la période que nous traversons, le choix du gouvernement de nous proposer un état d’urgence sanitaire pour deux mois, chose inédite, que nous venons de prolonger cette semaine pour deux mois, n’est pas la bonne solution. Le parlement, et la démocratie, n’est pas un frein, mais bien une des solutions de sortie de la crise sanitaire. Sans comparer avec d’autres moments de notre histoire, car nous ne sommes pas dans la même période, ni dans la même situation, n’oublions pas que les « Jours heureux » ont été conçus dans la clandestinité et la résistance. Pourquoi, alors que nous traversons une crise sanitaire inédite, le parlement ne pourrait-il pas jouer son rôle ?
Le gouvernement a demandé au Sénat une sorte de vote de confiance sur son plan de déconfinement, un vote non contraignant, sans aucune possibilité de réel débat, de co-construction, sans possibilité d’amendement. C’était à prendre ou à laisser. Nous avons donc laissé, car nous pensons que le déconfinement est extrêmement complexe et mérite qu’on y associe les élus locaux, les parlementaires, les syndicats de salariés et patronaux, les directions d’écoles, les enseignants, les parents d’élèves pour envisager ensemble la reprise du travail, de l’école, etc.
Enfin, on note une forme de mépris de plus en plus prononcé envers le parlement, et couplé à une communication qui court-circuite les débats politiques. Nous l’avons vu, ou plutôt subi, lors des discussions sur les aides que l’État accorderait pour les entreprises. Le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a refusé de donner aux sénatrices et aux sénateurs une liste des entreprises concernées lors des débats. Vingt-quatre heures après, il annonçait au journal télévisé de TF1 la mise sur la table de 7 milliards pour Air France, et de 5 milliards pour Renault – notons d’ailleurs que 2 milliards d’euros ont en revanche été refusés à la SNCF. Ce n’est pas sérieux ! Pourquoi ne veulent-ils pas de débat sur cette question ? L’urgence sanitaire leur donne tous les droits, mais ce n’est pas comme cela que l’on redonnera de la confiance aux Français.

Vous êtes élu de la Seine-Saint-Denis, un département régulièrement stigmatisé. Quelle est la réalité vécue par les habitants de ce département durant le confinement ?
La Seine-Saint-Denis a été très régulièrement pointée du doigt durant le confinement, tantôt par l’extrême droite, tantôt par une partie de la droite, tantôt par une partie des éditorialistes qui n’ont jamais franchi le périphérique. Ils ont pris appui sur les chiffres de verbalisation plus nombreux que dans les autres départements. Mais le ministre de l’Intérieur a lui-même expliqué que les habitants de la Seine-Saint-Denis ont été 2,5 fois plus contrôlés que ceux des autres départements. Il est donc logique d’avoir davantage de personnes verbalisées.

« La crise sanitaire a fait surgir aux yeux de toutes et tous l’inaptitude du capitalisme à répondre aux besoins humains et de notre planète. »

Il est plus difficile de vivre le confinement dans des logements insalubres ou exigus que dans une résidence secondaire par exemple. Nous ne sommes pas égaux face au confinement, et les inégalités que nous dénoncions depuis plusieurs années se sont accrues pendant le confinement. Le Premier ministre a reconnu il y a quelques mois, lors d’une conférence de presse à la préfecture de Bobigny, que notre département était hors normes, en particulier en raison de sa jeunesse, et qu’il était frappé d’inégalité. À population égale, la Seine-Saint-Denis a moins de policiers, moins de juges, moins de professeurs, moins de personnel soignant, moins de services publics. C’est une discrimination territoriale qui a des effets dévastateurs, alors que notre département compte deux fois plus de personnes en situation de grande précarité que la moyen­ne nationale.
La surmortalité que nous avons connue à la fin mars, par rapport aux autres départements, y compris franciliens, vient du fait que nos hôpitaux publics sont en difficulté plus qu’ailleurs. Comme dans les départements ruraux ou d’outre-mer, nous connaissons la désertification de la médecine de ville. Enfin, il faut rajouter ce qu’a révélé une étude du Monde : il y a aussi une inégalité sociale et territoriale qui a éclaté au grand jour. En effet, si les cadres étaient pour moitié en télétravail, moins de 5% des ouvriers l’étaient. Et donc, plus qu’ailleurs, les habitants de la Seine-Saint-Denis ont été en première ligne face à cette crise. Aides-soignants, infirmiers, éboueurs, caissiers, agents d’entretien et de sécurité, beaucoup de celles et ceux que l’on nomme les « invisibles » habitent notre département et prennent, très tôt ou très tard, les transports en commun. Bref, ils ont tenu le cap pendant cette crise, et ils ont été exposés plus que les autres. Par exemple, nous avons à déplorer la mort d’Aïcha Issadounène, caissière à Saint-Denis, ou d’Alain Siekappen Kemayou, agent de sécurité à Aulnay-sous-Bois.

« Jamais le gouvernement n’a voulu contraindre les grands groupes. Il a préféré faire appel à la charité… »

Enfin, l’extrême pauvreté s’est accrue. Nous n’avons cessé d’alerter sur la situation des familles les plus précaires, mais aussi sur les foyers de migrants, les sans-abri. Si bien que le préfet a même évoqué une possible « émeute de la faim » touchant plus de vingt mille personnes dans notre département. Il faut donc rendre hommage aux nombreuses associations, mais aussi aux jeunes de nombreux quartiers populaires qui se sont mobilisés pour livrer des repas aux plus anciens et faire vivre la solidarité, mais également à de nombreuses collectivités territoriales qui ont joué leur rôle dans cette solidarité active. L’État doit aider plus activement encore ces associations qui sont en première ligne. Comme souvent dans ces moments de crise, la solidarité et la fraternité ont été au rendez-vous dans notre département.

Comment imaginez-vous la contribution des élus et des militants communistes au débat sur le monde d’après ?
Depuis un certain temps, les critiques sur le capitalisme s’exacerbent partout sur la planète. Si ces remises en question et ces conflits ont parfois pris après une étincelle qui peut sembler anecdotique (hausse du prix du métro au Chili, taxe sur les appels WhatsApp au Liban), ils sont révélateurs d’un malaise social beaucoup plus profond et prennent racine dans un terreau d’inégalités économiques.
En France, la mobilisation des gilets jaunes contre la vie chère au départ, ou la bataille syndicale sur les retraites ont montré que des résistances étaient à l’œuvre. Il est bon de rappeler que les grévistes ont eu raison de manifester. Imaginons que la réforme Macron de la retraite par points ait été adoptée. Rappelons que le point devait être calculé sur la conjoncture économique du pays, couplée avec le fait que les dépenses liées aux retraites ne devaient pas excéder 13,8 % du PIB et descendre sur quinze ans à 12,5 %. Avec huit points de récession actuellement, et certainement davantage au sortir de la crise, les pensions de retraite auraient été fortement touchées. Il faut donc que ce projet mortifère soit définitivement abandonné.

« Nous demandons le doublement de la prime de 150 euros, afin de pouvoir faire face aux factures d’hébergement, d’énergie mais aussi et surtout aux dépenses de nourriture, qui ont explosé dans la période. »

Au fond, la question qui nous est posée est la suivante : comment passer d’une contestation du capitalisme à l’adhésion à un projet politique cohérent, dans lequel on met au centre l’humain et la planète ? C’est tout un défi. Je crois qu’il faut éviter deux pièges. D’abord, celui du donneur de leçons, ou du redresseur de torts : « Nous l’avions bien dit… Si on nous avait écoutés… », qui ne serait audible par personne. Le deuxième piège à éviter, c’est d’apparaître comme des gens pleins de certitudes : « Si nous faisons cela, ça va aller mieux… »
Je pense que notre parti n‘est jamais aussi fort que lorsqu’il est utile et auprès des gens. Comment se rendre utile dans la prochaine période ? En organisant la solidarité évidemment, mais aussi en menant des campagnes politiques au plus près des préoccupations populaires : celle des masques gratuits lancée par L’Humanité ; la bataille du parti et de nombreux élus communistes pour que la rentrée scolaire de septembre se passe dans les meilleures conditions, en commençant par refuser les fermetures de classe…

« Qui va payer la crise ? Est-ce que ce seront les peuples, avec moins de services publics, des plans d’austérité et le détricotage du code du travail ou, alors, ferons-nous payer et contribuer les 1 % les plus riches à la relance économique ? »

Enfin, il nous faut évidemment une grande bataille politique autour de l’idée de protéger ou sécuriser nos vies et la planète. Cela nécessite de changer le paradigme qui prévaut aujour­d’hui où tout est « marché », mais aussi les dogmes de dérégulation, déréglementation, et privatisation. Par exemple, la relance française et européenne peut et doit se faire en ayant pour préalable la question suivante : « Est-ce bon pour la planète et l’humain ? ». Cette relance pourrait s’effectuer autour de trois domaines qui sont les plus émetteurs de gaz à effets de serre : la question des transports, en ayant pour objectif de porter la part du transport de marchandises par fret à 25 % sur dix ans. La question de la rénovation thermique des logements, car, à l’allure où nous rénovons les bâtiments les plus précaires, il faudra cent quarante ans. Enfin, la question de l’énergie avec le double objectif énoncé plus haut. Nous proposerions de passer d’un modèle de compétition internationale qui se traduit par la désindustrialisation de notre pays à un modèle de souveraineté coopérante. Voici quelques pistes de réflexion qu’il nous faut mettre en débat avec le plus grand nombre.

Cause commune n°17 -mars/avril 2020