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Désigné chef de file du PCF pour les élections européennes avant l’été, Ian Brossat est entré en campagne. Rencontres, meetings, présence dans les média, il multiplie les initiatives pour faire entendre une voix singulière dans un débat européen dominé par les libéraux et les nationalistes. Pour la revue Cause commune, il expose l’ambition de rassemblement du Parti communiste français et ses grands axes de bataille.

Propos recueillis par Léo Purguette

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Vous avez lancé votre campagne à la Fête de l’Humanité. Avez-vous renoncé à un rassemblement des forces de progrès ?
Nous ne renoncerons jamais au rassemblement des forces progressistes. C’est dans notre ADN de communistes. Mais une force qui s’efface elle-même ne peut pas être utile au rassemblement. Pour unir, il faut d’abord exister. Faire entendre nos idées. Défendre notre programme. Montrer que le PCF, c’est aussi de nouveaux visages et que nous avons des propositions. L’idée de partir tôt en campagne, c’est justement de rappeler que le PCF est une force sur laquelle il faut compter et qu’elle est indispensable au rassemblement de tous ceux qui, à gauche, veulent rompre avec cette Europe soumise à la finance.

« L’élection européenne est celle qui détermine des orientations politiques de très long terme.»

En quoi les élections européennes concernent-elles les Français, singulièrement ceux qui appartiennent aux catégories populaires ?
On a souvent l’impression que les élections européennes sont inutiles, et qu’elles concernent des sujets lointains et incompréhensibles. Elles permettent d’élire nos représentants au Parlement européen mais on ne sait pas très bien de quoi il s’occupe et quel est son pouvoir. Pourtant, les sujets concernés par les élections européennes sont des sujets 100 % concrets, au cœur de la vie quotidienne : l’alimentation, la qualité de vie, les transports, les normes de fabrication, etc. Et ce sont aussi des sujets fondamentaux et très politiques : la politique économique, la monnaie, l’austérité budgétaire, les politiques migratoires, le réchauffement climatique… Bref, en réalité, l’élection européenne est d’une certaine manière la reine des élections, celle qui détermine des orientations politiques de très long terme. D’où la nécessité de s’y engager pleinement. Ce n’est pas un hasard si plus de dix mille organisations sont enregistrées à Bruxelles sur le registre officiel des groupes de pression de l’Union européenne, et si près de trente mille « lobbyistes » sont présents dans la capitale européenne. Les multinationales capitalistes savent que c’est ici que ça se passe. Si on veut ne pas les laisser dicter leur loi, il faut envoyer des députés européens capables de leur faire face, et de défendre les intérêts du plus grand nombre. Face au lobby de l’argent, nous voulons être le lobby des gens.

Emmanuel Macron estime qu’elles seront l’occasion d’un affrontement entre les nationalistes et le camp « progressiste » dans lequel il se range. Quelle est votre vision de l’état des forces ?
La vision de Macron est mensongère et simpliste. Il utilise l’extrême droite pour se ripoliner à peu de frais en progressiste, lui qui pratique en réalité une politique de fermeture des frontières assez semblable à celles de l’Italie ou de l’Autriche. Cette hypocrisie ne trompera pas grand monde. Le choix des peuples européens ne peut pas être limité à l’alternative entre les libéraux et les nationalistes. Nous, nous défendons une Europe du progrès social et de l’ouverture. C’est ce choix-là que nous allons proposer aux Français.

« Le PCF est une force sur laquelle il faut compter et qui est indispensable au rassemblement de tous ceux qui, à gauche, veulent rompre avec cette Europe soumise à la finance.»

Quelles propositions fortes le PCF porte-t-il dans le débat ? Est-il possible de changer de politique à traités constants ?
Non, le PCF ne propose pas d’agir dans le cadre des traités européens existants. Nous voulons rompre avec eux. C’est si vrai que nous n’en avons voté aucun ! Les propositions fortes que nous souhaitons lancer concernent d’abord la question du travail et du pouvoir d’achat. Depuis dix ans, le produit intérieur brut des pays de l’Union européenne est passé de 15 000 milliards à 17 000 milliards d’euros, alors que le pourcentage de travailleurs pauvres est passé de 7 à 10 %. L’Union européenne a cette particularité inouïe d’être un regroupement de pays dont le but principal est de se faire la guerre économique entre eux. C’est une union régionale qui ne vise pas à la coopération, mais qui organise au contraire une concurrence impitoyable entre ses membres. Tout l’enjeu devient de piquer des parts de marché au voisin en baissant toujours plus les salaires, les droits sociaux et les niveaux d’imposition… C’est avec cela qu’il faut rompre. En interdisant les délocalisations à l’intérieur de l’Europe. En empêchant le dumping social et donc le recours aux travailleurs détachés : toute personne qui travaille en France doit le faire avec un contrat français. En s’attaquant également au fléau de la fraude fiscale : 1 000 milliards d’euros fuient tous les ans l’Union européenne dans les paradis fiscaux. Les multinationales qui opèrent en France implantent leur filiale de facturation en Irlande, où le taux d’impôt sur les sociétés est trois fois inférieur. Résultat, une entreprise comme Airbnb qui réalise 90 millions d’euros de bénéfices en France ne paie que 100 000 euros d’impôts… Notre proposition c’est donc que tout bénéfice réalisé dans un pays donné soit fiscalisé dans ce pays.

« Quarante mille migrants, cinq cent onze millions d’habitants, on ne pourrait pas s’organiser ensemble pour mettre un terme à la crise de l’accueil ?»

Quels enseignements tirez-vous de la crise autour de l’Aquarius ?
La crise de l’Aquarius montre le blocage total de l’Europe actuelle. Quelle est la situation ? Depuis le début de l’année, quarante mille migrants qui fuient la guerre ou la misère ont gagné l’Europe. Et on va nous expliquer qu’avec cinq cent onze millions d’habitants, on ne peut pas s’organiser ensemble pour mettre un terme à la crise de l’accueil ? C’est absurde. Il a fallu des réunions au sommet pendant quarante-huit heures pour décider que la France soi-disant progressiste et humaniste accepterait une poignée d’individus. Ce n’est pas à la hauteur des enjeux. Depuis 2000, les pays européens ont dépensé 15 milliards d’euros pour bétonner leurs frontières. En pure perte : les migrants viennent quand même, et ils continueront à le faire parce que le capitalisme engendre des déséquilibres massifs. Dès lors, la position réaliste et raisonnable, c’est d’ouvrir des voies légales pour permettre à celles et ceux qui le souhaitent de venir en Europe. De s’organiser en créant les conditions d’une bonne gestion de ces arrivées, avec centres de premier accueil et structures d’hébergement. Et pour cela de décider d’une clé de répartition européenne, pour que tous les pays prennent leur part à la solidarité internationale. On ne peut pas laisser les pays de premier accueil comme l’Italie, la Grèce, Chypre, Malte, qui sont souvent les plus en difficulté, gérer seuls la situation. Se relever les manches ensemble pour traiter collectivement le problème, est-ce que ça ne devrait pas être le principe même de la politique européenne ?

« Tout bénéfice réalisé dans un pays donné devrait être fiscalisé dans ce pays. »

Sur quels partenaires européens pouvez-vous compter pour faire émerger une Europe des nations et des peuples, souverains, libres et associés ?
Nos partenaires sont nombreux. Les partis progressistes rassemblés dans le Parti de la gauche européenne (PGE), et les élus qui travaillent au Parlement européen dans le groupe de la Gauche unitaire européenne (GUE). Ils ont obtenu plusieurs victoires importantes dans la mandature qui s’achève. Elles devront être consolidées et amplifiées pour que notre projet d’une Europe solidaire puisse devenir réalisable. Ma conviction, c’est que notre principal réservoir de soutiens pour changer l’Europe, ce sont les citoyens des peuples européens eux-mêmes. Chacun sait que la situation actuelle ne peut pas durer. Il nous appartient de faire grandir le projet d’une Europe transformée au service des peuples.

Cause commune n°8 • novembre/décembre 2018