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Une étude de la société Euronext sur les actionnaires du CAC 40 montre, contrairement à une idée reçue, le poids persistant des grandes familles ; elle témoigne aussi de l’opacité du système : on ignore en effet l’identité d’un actionnaire sur deux.

L’opérateur de la Bourse de Paris, Euronext, a procédé, pour les trente ans du CAC 40, à une analyse de l’actionnariat des entreprises concernées. La précédente étude remonte à 2012. Les chiffres dont on dispose aujourd’hui recouvrent donc la période 2012-2016.
Premier enseignement : on ne connaît que 58 % de l’actionnariat du CAC 40. Pour le lien Boursier.com : « 60 % seulement de l’actionnariat du CAC 40 est connu : les propriétaires des 40 % restants, qui pèsent 564 milliards d’euros, sont hors des radars des données collectées. » Euronext, qui est pourtant la structure la mieux qualifiée pour dévoiler les coulisses de la Bourse, avoue ignorer l’origine de près de la moitié des fonds. Les enquêteurs avancent un argumentaire technique, genre « la part relativement faible de l’actionnariat dévoilé par ces sources publiques s’explique notamment par la fragmentation de l’actionnariat, couplé à l’absence d’obligation de publication des positions en dessous du seuil de 5 %, comme requis par l’Autorité des marchés financiers (AMF) ».

« 60 % seulement de l’actionnariat du CAC 40 est connu : les propriétaires des 40 % restants, qui pèsent 564 milliards d’euros, sont hors des radars des données collectées. »

Reste que près de 600 milliards d’euros d’actions du CAC 40, élément phare de la Bourse de Paris, sont d’origine inconnue. Euronext assure avoir étudié les rapports et documents de référence des entreprises du CAC 40, identifiant 34 % des actionnaires. L’opérateur a aussi travaillé avec la base de données de MorningStar (80 000 fonds) et celle de Factset (fonds souverains). Toutes les recherches de ces fins limiers n’ont cependant permis de retrouver que 58 % des détenteurs ! Manquent 42 %, un pourcentage considérable. Et une opacité qui autorise toutes les interprétations : est-ce de l’argent sale, issu de la fraude, du crime organisé, du trafic d’armes ou d’êtres humains, de la drogue ?

Le poids persistant des familles
La répartition des 58 % identifiables n’en demeure pas moins intéressante. Les « familles » que l’on disait dépassées, caduques, définitivement bousculées par la mondialisation, effacées par le tsunami des multinationales et autres fonds de pension, les famil­les demeurent bien présentes.
« Le CAC est aussi une histoire de famille », note Euronext. Les fondateurs et leurs familles détiennent 10 % du capital, soit 136 milliards d’euros. « Des familles et des fondateurs ont été identifiés dans 19 des 40 sociétés du CAC 40 et elles dépassent 20 % de l’actionnariat dans dix sociétés. » La place des familles est même plus importante qu’en 2012 (9,7 % alors). Si l’on rapporte leur poids à l’actionnariat connu, elles pèsent même 17,2 %.
« C’est l’un des grands enseignements de l’étude, note Hervé Rousseau du Figaro Économie (31 janvier 2018). Les multinationales sont encore largement détenues par les familles des fondateurs, soit 60 % de la capitalisation du CAC 40. »
Le premier actionnaire connu du CAC 40 est le groupe familial Arnault avec 43 milliards d’euros, issus pour l’essentiel de sa participation de 46 % au capital Moët Hennessy Louis Vuitton (LVMH). Le seul LVMH représentait à la fin de l’année 2016 3,2 % de l’ensemble du CAC 40 et cette part a dû progresser puisque LVMH a gagné depuis plus de 35 % en Bourse et s’est hissé à la première place du CAC 40 par la capitalisation. « Pour les professionnels, cette forte présence des familles est l’une des grandes forces du CAC 40. C’est une spécificité que la France partage avec l’Allemagne et c’est aussi pour les investisseurs un gage de stabilité et de performance pour les investisseurs. »

« Le premier actionnaire du CAC 40 est le groupe familial Arnault avec 43 milliards d’euros. »

Pour Emmanuel Chapuis, responsable de la gestion Large Caps chez Oddo BHF AM, « les sociétés familiales développent des stratégies de longue haleine, elles sont farouchement attachées à leur indépendance et évitent les prises de risques excessives. Elles souhaitent valoriser leur patrimoine dans le temps ». Le groupe familial Arnault est suivi par la famille Bettencourt Meyers (L’Oréal) puis par la famille Pinault (Kering).
Les « gestionnaires d’actifs », avec 350 milliards d’euros investis, représentent 25,9 % du poids de l’indice. Par rapport à la précédente enquête (2014), ces gestionnaires gagnent quatre points. Les plus importants s’intitulent BlackRock, Vanguard, Amundi, Capital Group, Natixis.
« L’appauvrissement » de l’État français est net. Sa part a fortement diminué entre 2012 et 2016, passant de 6 % à 3,7 %, du fait notamment de la sortie d’EDF. Le journal Les Échos parle d’une tendance au désengagement de l’État actionnaire depuis plusieurs années déjà (Engie, Safran…), politique « qui devrait se poursuivre ces prochaines années » avec Emmanuel Macron.
Résultat : « Les États étrangers sont presque aussi présents que la France, en direct ou au travers des fonds souverains. » La Norvège, par exemple, est présente dans trente-neuf entreprises sur quarante.

 

CAC 40, le jackpot de 2017

« 2017, année faste pour les entreprises du CAC 40. Les grands groupes français sont en excellente forme. Les entreprises auront dégagé collectivement plus de 94 milliards d’euros de profits en 2017. C’est 20 % de plus qu’en 2016 qui fut déjà un excellent millésime. Le record de 2007, avec près de 95 milliards d’euros de bénéfices, est égalé. Les ténors français ont matière à se féliciter. Entre l’arrivée à la Maison-Blanche de Donald Trump, qui s’est montré tout aussi imprévisible dans l’exercice du pouvoir que lors de sa campagne, un agenda politique particulièrement chargé en Europe, le formidable rebond du prix des matières premières ou encore l’envolée de l’euro, les sociétés ont évolué en terrain miné en 2017. Les champions français ont visiblement su déjouer la plupart de ces pièges. [...] Sur les 39 entreprises du CAC 40 qui ont dévoilé leurs comptes, 31 affichent des résultats en hausse. La palme du plus fort bénéfice revient à Sanofi (8,4 milliards d’euros). La palme de la plus forte progression revient quant à elle à STMicroelectronics, nouveau venu au sein du CAC 40 et dont le bénéfice a été multiplié par près de 5 ! Le fournisseur d’Apple surfe sur la demande sans cesse croissante de produits high-tech. […] Les bénéfices (+20 %) progressent à un rythme bien plus soutenu que les ventes (+5,8 %). Total en offre un exemple frappant. Pour faire face à l’effondrement des cours du pétrole entre 2014 et 2016, le géant français qui menait grand train a sabré dans ses dépenses et ses investissements. Résultat aujourd’hui, il gagne pratiquement autant d’argent avec un baril proche de 65 dollars qu’avec un cours supérieur à 100 dollars quelques années en arrière. Son bénéfice net a fait un bond de près de 40 % l’an dernier à 7,2 milliards d’euros. Le secteur financier « qui pèse également très lourd dans le CAC 40 a aussi très bien mené sa barque en 2017 ». BNP Paribas a engrangé un résultat net de plus de 7,75 milliards d’euros et dans le secteur voisin de l’assurance AXA affiche quant à lui le plus fort bénéfice de son histoire (6,2 milliards d’euros).

Hervé Rousseau, Le Figaro Économie, 5 mars 2018

Cause commune n° 6 - juillet/août 2018