À la veille du 8 mars, Hélène Bidard, membre du comité exécutif national, responsable de la commission nationale féministe du PCF et adjointe à la maire de Paris chargée de l’égalité femmes-hommes, de la jeunesse et de l’éducation populaire fait le point des grandes questions à l’ordre du jour pour une société plus juste mettant fin aux violences patriarcales et aux discriminations de toute sorte.
Propos recueillis par Ségolène Mathieu
Depuis le mouvement #MeToo la parole des femmes se libère, on voit aujourd’hui que celles des victimes d’inceste suivent le même processus. Quel regard portez-vous sur ça ?
La déferlante #MeToo a entraîné un abaissement drastique du seuil de tolérance à l’égard des violences sexistes et sexuelles. Ce moment historique a révélé au grand nombre leur caractère massif, systémique, et la nécessité d’évolutions politiques et législatives d’ampleur, afin d’opérer une véritable transition féministe de notre société. Cela est, en effet, devenu nécessaire pour venir à bout d’inacceptables dysfonctionnements qui subsistent dans la prise en charge des victimes par les autorités publiques, notamment police et justice, et pour opérer un virage culturel global dans la société française.
Le #MetooInceste, la parole de nombreuses féministes, de victimes, mais aussi des procès comme celui des affaires dites « de Pontoise » (2017), et « de Meaux » (2018) ont mobilisé l’opinion sur la question singulière des violences sexistes et sexuelles commises sur des mineures et mineurs en ce qu’ils ont été des révélateurs de l’inadaptation du droit en vigueur : il avait été décidé que deux enfants – en l’occurrence de 11 ans – pouvaient être considérées comme pleinement consentantes à une relation sexuelle avec des majeurs de 28 et 30 ans. L’affaire en cours dite « de Julie » contre vingt pompiers, en est également emblématique à juste titre !
Au vu des effets dévastateurs de ces actes criminels sur les enfants et les jeunes, et des conséquences sur leur vie d’adulte, cette question revêt un caractère de santé publique, et un enjeu crucial pour toute société se prétendant civilisée. Dès lors, seule l’édiction d’une loi-cadre, sur le plan répressif mais aussi préventif, accompagnée d’une hausse considérable des moyens publics alloués à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, permettra d’apporter une réponse suffisante pour endiguer ce phénomène gravissime. Elle devra emprunter une démarche globale en réponse au caractère systémique de ces actes, qu’ils soient commis sur des majeurs ou sur des mineurs. En effet, ils s’inscrivent dans la même logique criminologique, et auraient tout intérêt à être pris en compte dans leur ensemble ; sans pour autant faire l’impasse sur les spécificités de ces violences, lorsqu’elles sont commises à l’encontre de mineurs, notamment dans le cadre intrafamilial. Seule une approche concertée, coordonnée, adoptant une vue d’ensemble, est souhaitable afin d’offrir une réponse d’ampleur à ces violences.
La crise sanitaire entraîne une double peine pour les femmes : premières victimes de la précarité et premières de cordée sur le front depuis le début de l’épidémie. Quelles sont les propositions du PCF pour les sécuriser et les accompagner ?
La crise sanitaire de la covid-19 a rendu visibles les femmes, premières de corvée ; elles sont : 87 % des soignants et infirmiers, 91 % des aides-soignants, 97 % des aides ménagers et aides à domicile, 73 % des agents d’entretien, 76 % des caissiers et vendeurs. La crise a montré la dureté de leur travail, la division sexuée du travail et mis en évidence un paradoxe prégnant : toujours en première ligne sur le front des inégalités au travail et dans la vie, les femmes ont un rôle crucial dans la gestion de cette crise, malgré la réduction drastique des politiques publiques, et pourtant leur travail n’est pas reconnu à sa juste valeur ! Alors qu’elles représentent plus de la moitié de l’humanité et qu’elles sont plus formées dans le cadre scolaire, l’écart salarial reste à ce jour de 26 % entre les hommes et les femmes. Au rythme actuel de rattrapage, il faudra mille ans pour obtenir l’égalité salariale !
Prenez conscience que, comme toute forme de domination, et d’autant plus qu’elle concerne la moitié du genre humain, la domination patriarcale est un puissant frein au développement de l’humanité. Le contexte politique, social et économique international comme national avec la banalisation des idées d’extrême droite, la montée des conservateurs sont des signes inquiétants pour les droits des femmes.
« La place et le travail des femmes dans notre société sont centraux pour ouvrir les chemins d’une nouvelle société humaine émancipée. »
Il est de plus en plus urgent de porter haut notre volonté et nos combats pour l’égalité professionnelle, le droit à disposer de son corps sans qu’il puisse être acheté par qui que ce soit, le juste partage des pouvoirs, en France et dans le monde. Les avancées, réalisées grâce aux luttes et aux mobilisations des militantes et militants féministes, restent fragiles et sont remises en cause régulièrement par les masculinistes et les politiques d’austérité gouvernementales. C’est pourquoi nous nous engageons dans le cadre des mouvements féministes unitaires et dans ces revendications et c’est pourquoi nous serons dans la rue pour :
• réclamer la revalorisation des métiers à prédominance féminine et de réelles hausses de salaire ;
• nous élever contre notre exploitation, pour l’égalité salariale femmes/ hommes et revendiquer un réel partage des tâches domestiques et familiales ;
• réclamer des services publics accessibles à toutes sur l’ensemble du territoire, et notamment des places en crèches ;
• dénoncer et combattre les violences sexistes et sexuelles, y compris incestueuses, ou encore au travail … Nous voulons un milliard pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles ;
• dénoncer les discriminations qui se cumulent et se renforcent : de genre, de classe, de couleur de peau et d’origine, et lesbo,-bi- et transphobes ;
• lutter contre la violence sexuelle, raciste et institutionnelle faite aux femmes migrantes, contre leur exploitation, pour réclamer la liberté de mouvement à travers les frontières et un permis de séjour illimité et sans conditions ;
• pour que l’accès à l’avortement, aux trois méthodes choisies, soit possible partout et même pendant le confinement, pour que le délai légal soit étendu au-delà de douze semaines.
Nous serons en grève ce 8 mars, comme d’autres femmes de par le monde, nous serons dans la rue pour manifester et revendiquer. Sans les femmes, le monde s’arrête ! La place et le travail des femmes dans notre société sont centraux pour ouvrir les chemins d’une nouvelle société humaine émancipée.
On a vu les violences faites aux femmes et aux enfants exploser lors des confinements. Quelles mesures d’urgence doivent être mises en place ? Pouvez-vous nous expliquer les mesures que vous avez prises dans le cadre de votre mandat et de votre délégation à la mairie de Paris en faveur de l’égalité femme-homme ?
Le ministère de l’Intérieur a annoncé une augmentation de 40,5 % des appels d’urgence pour violences intrafamiliales au niveau national depuis le 16 mars et la préfecture de police nous a indiqué une hausse de 21 % des interventions à domicile pour cause de violences conjugales à Paris par rapport à 2019 sur la même période. Beaucoup de dispositifs ont été mis en place, y compris dans le contexte exceptionnel du confinement, mais il faudra encore renforcer notre « arsenal » dans un contexte où le gouvernement communique beaucoup mais n’agit pas réellement, ne finance rien, ne suit même pas l’application de ses décisions. Le triste Grenelle des violences conjugales en est un exemple qui a de quoi nous mettre en colère.
« Avec des mesures concrètes il s’agirait de ne plus reléguer les personnes LGBTQI+ à un statut de citoyennes et citoyens de seconde zone mais de les traiter comme de véritables citoyennes et citoyens français, disposant des mêmes droits que les couples hétérosexuels. »
Sous le mandat précédent, notre collectivité a augmenté de 93 % les subventions aux associations de lutte contre les violences, dans un contexte qui était plutôt à la réduction de la dépense publique. Cela mérite d’être rappelé. Je pense qu’il faut encore renforcer le soutien aux associations qui tiennent bon malgré des difficultés financières structurelles. Le réseau associatif est très riche à Paris, heureusement qu’il est là, il faut continuer de le soutenir et le valoriser. Il faut considérablement améliorer le parcours des victimes dans tous ses aspects. Deux vœux ont été adoptés sous la précédente mandature pour la création d’un lieu de prise en charge globale des femmes et des enfants victimes. Nous devons avancer dans cette mandature pour mobiliser l’État, car nous avons besoin de lui si l’on veut que chacune puisse bénéficier d’un guichet unique où porter plainte, accéder à une unité médico-judiciaire, à des consultations psychologiques, à un réseau d’associations et de services publics permettant leur mise à l’abri et leur suivi. Un projet se dessine du côté de l’APHP, nous allons voir comment le partenariat avec la ville pourrait se concrétiser. Nous devrons réfléchir à la combinaison avec les dispositifs comme la mesure d’accompagnement protégé (MAP) et le téléphone grave danger (TGD).
Deuxième point chaud : la mise en sécurité des victimes. Trois chantiers sont en cours pour des lieux d’hébergement dédiés aux femmes et enfants victimes de violences dans les 10e, 12e et 20e arrondissements. Cela représentera environ cent quarante nouvelles places. Il en faudra plus, nous le savons. Je vais demander l’inscription d’un nouveau centre spécialisé dans le programme d’investissement de la mandature (PIM). Je souhaite que nous améliorions également la prise en charge et la responsabilisation des auteurs de violences conjugales, tant pour favoriser la décohabitation réelle que pour prévenir la récidive (le taux de récidive est aujourd’hui de presque 50 %).
Je vais travailler avec Dominique Versini (adjointe chargée des droits de l’enfant et de la protection de l’enfance) à la mise en place d’un dispositif spécifique pour la prise en charge des enfants covictimes des violences conjugales ou victimes de violences intrafamiliales. Je souhaite que nous travaillions un plan de formation visant la montée en compétences sur la prévention, la détection et l’orientation des femmes victimes de violences au sein du foyer comme dans l’espace public.
Ce 8 mars ne doit pas être seulement un événement parmi d’autres, mais un point de départ pour déployer une large campagne d’éducation à l’égalité, qui toucherait chaque jeune Parisienne et Parisien. Elle porterait une approche égalitaire de l’apprentissage des règles du vivre-ensemble (le respect des autres, la conscience d’autrui) qui guiderait les jeunes dans leur construction comportementale vis-à-vis du reste de la société, et de leurs pairs. Cela, afin d’assurer leur plein épanouissement, et un devenir inclusif à notre belle ville.
« La crise sanitaire de la covid-19 a rendu visibles les femmes, premières de corvée ; elles sont : 87 % des soignants et infirmiers, 91 % des aides-soignants, 97 % des aides ménagers et aides à domicile, 73 % des agents d’entretien, 76 % des caissiers et vendeurs. »
L’égalité femme/homme de demain doit être construite avec les jeunes, tous les jeunes. Il s’agira d’évoquer positivement ce qui est sain, bon, enrichissant, émancipateur dans les relations affectives, en s’attachant à combattre au plus tôt les stéréotypes de genre et tout ce qui demeure dans notre culture vecteur d’inégalités et de violences, pour les adultes en devenir. Ce travail de déconstruction du patriarcat, qui assigne des rôles et des comportements genrés, binaires et prédéterminés, s’adresse tant aux filles qu’aux garçons. L’idée serait donc de faire de l’éducation à l’égalité le fil conducteur d’un certain nombre de politiques publiques au cours des prochaines années. Aussi, après avoir consacré le 25 novembre 2020 aux violences patriarcales à l’encontre des jeunes et des enfants, nous avons donc choisi de dédier le 8 mars prochain à la thématique suivante : « L’éducation à l’égalité dans la vie affective ».
On observe des difficultés à adopter pour les couples homoparentaux. Récemment le Sénat, dans le cadre de la loi bioéthique, a rejeté l’extension de la PMA à toutes les femmes. Comment analysez-vous cette situation ?
Résultat de l’augmentation des violences envers les personnes LGBTQI+ constatées depuis quelques années et dans la suite du débat autour du mariage pour toutes et tous, la France a perdu onze places en 2019 dans le classement Spartacus des pays les plus LGBT-friendly dans le monde (17e contre 6e en 2018). Plus que jamais, il nous faut mener les combats universels contre la lesbophobie, l’homophobie, la biphobie, la transphobie et afficher une tolérance zéro contre les actes LGBTphobes en continuant de ne pas tolérer la moindre insulte jetée à la volée, inscrite sur un mur ou au sol. Mais il nous faut aussi dénoncer l’indifférence vis-à-vis de ces actes et les promesses encore non tenues pour l’égalité des droits. Ces discriminations se ressentent ainsi dans l’accès à la citoyenneté, plus particulièrement dans le droit à l’adoption.
L’adoption est légalement possible pour les couples de même sexe mariés, depuis l’ouverture du mariage civil à ces derniers en 2013. Deux femmes ou deux hommes peuvent donc théoriquement adopter un enfant, avec une autorité parentale partagée. La réalité est néanmoins tout autre. Les témoignages anonymes de discriminations dans les processus d’adoption se multiplient, les couples de même sexe décrivant la manière dont ils sont déboutés ou découragés par les structures donnant l’accord final, les contraignant à se tourner vers l’étranger. Il est intolérable que l’adoption par les couples de même sexe rencontre autant de barrières, lorsque l’on sait que ces refus les poussent pour certains vers la GPA (gestation pour autrui). La connaissance ou le soupçon du fait que les couples de même sexe sont discriminés dissuadent ceux-ci d’entamer la procédure d’adoption. Or la GPA est une pratique qui repose sur l’exploitation et l’instrumentalisation du corps des femmes, principalement des plus pauvres : en réalité, il ne peut pas y avoir de GPA éthique, c’est une chimère. Nous ne pouvons pas cautionner cette pratique car elle procède d’une démarche conservatrice qui porte atteinte aux droits et à la dignité des femmes et les enferme dans le rôle de procréatrice que leur assignent les sociétés patriarcales.
« Ce 8 mars ne doit pas être seulement un événement parmi d’autres, mais un point de départ pour déployer une large campagne d’éducation à l’égalité. »
Aujourd’hui, la PMA est seulement autorisée aux femmes en couple avec un homme. D’après un sondage BVA publié récemment, les deux tiers des Français sont favorables à son extension aux couples de femmes. Les femmes qui en ont les moyens partent à l’étranger pour effectuer des PMA, et celles qui ne le peuvent pas pratiquent des PMA « artisanales », prenant des risques concernant leur santé et celle de leur(s) enfant(s). Nous demandons au gouvernement français de prendre de véritables mesures en faveur de la parentalité et d’un accès à l’adoption pour les couples homosexuels. Le secrétaire d’État chargé de la Protection de l’enfance a lui-même reconnu le 18 avril que ces derniers font face à des pratiques discriminatoires. Avec des mesures concrètes, il s’agirait de ne plus reléguer les personnes LGBTQI+ à un statut de citoyennes et citoyens de seconde zone mais de les traiter comme de véritables citoyennes et citoyens français, disposant des mêmes droits que les couples hétérosexuels :
• anonymisation des requérants lors des conseils de famille ;
• diversification des conseils de famille en y intégrant, lors de leur renouvellement, des associations et des personnalités qualifiées représentant des structures familiales moins hétéronormées, parmi elles des associations soutenant les droits des personnes LGBTQI+ ;
• inspections nationales régulières des conseils de famille ;
• ouverture de la PMA à toutes les femmes en tant qu’application du principe de non-discrimination et d’égalité des droits devant le projet parental.
Nous sommes résolues à poursuivre et à accélérer cette transition féministe de la société. Nous ne nous résignerons pas. Le temps est à l’action, et il incombe désormais aux responsables politiques nationaux l’immense responsabilité d’en finir avec l’impunité et la loi du silence qui entourent les violences patriarcales, ainsi qu’avec les discriminations qui n’ont que trop duré en France.
Cause commune n° 22 • mars/avril 2021