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Peire Vidal est un troubadour de la fin du XIIe siècle, dont on perd définitivement la trace à Malte en 1205.

Peire Vidal est un troubadour de la fin du XIIe siècle, dont on perd définitivement la trace à Malte en 1205. Sa langue était celle du pays d’Oc, ce provençal à la fois si guttural et chantant. Sa vie n’a été, si l’on en croit les folles histoires qui courent à son sujet, qu’amour et politique ; sans qu’il sût raison garder ni dans l’un ni dans l’autre. Il se serait ainsi vêtu d’une peau de loup pour séduire une dame qu’on surnommait la Louve, avant d’être battu par des bergers effrayés, puis soigné par la dame et le seigneur hilares et attendris. On dit aussi qu’il aurait revendiqué le trône de Constantinople suite à un mariage avec une Chypriote qui se vantait de descendre de la famille impériale, avec pour armée les seuls yeux de sa femme. Toujours amoureux, souvent trompé, tombant, toujours se relevant aussi joyeux.
Tel est Peire Vidal, telle est aussi sa poésie : « Pareil suis au naufragé / Qui sur les eaux se balance / Qui de vie n’a réconfort / Et souffre d’un si grand mal / Que peur lui ôte la raison ; / Et puis qui arrive à bon port / [...] Ainsi ai-je bonne raison / De faire nouvelle chanson. »
Francis Combes écrit : « Peire Vidal, c’est la vitalité du désir jointe à l’extravagance du comportement [...], homme comme nous imparfait, vantard fantasque et impénitent chasseur, ayant toujours en tête la quête et la conquête du bonheur. » Vantard il l’est, et de méridionale façon : « En toutes choses je me montre bon cavalier ; / Et je le suis, et sais d’amour tout le métier / Et aussi tout ce qu’un amant doit savoir / Jamais en chambre on en vit si plaisant. »
Mais surtout, et c’est la marque d’un vrai poète, il est sûr de son chant : « Ajuster et lasser / Les mots et les sons si bien je sais / [...] Nul homme ne m’arrive au talon / Quand j’ai un bon sujet. » Le bon sujet c’est l’amour, et le troubadour, en représentant du fin’amor, se doit de chanter les dames. Mais déjà chez Peire Vidal s’amorce, encore légère, une critique de la louange mécanique de la poésie médiévale : « En la louant je l’ai grandie / Mais trop louer est menterie. »
Chez Peire Vidal l’art du trobar (mot d’où vient « troubadour » et qui signifie écrire un poème, trouver et tisser des vers) arrive à un point d’équilibre éclatant entre le formalisme et la facilité. Comme l’explique Francis Combes, Peire Vidal n’est ni à ranger parmi les troubadours du trobar clus (trobar fermé), tenant d’une poésie complexe et hermétique, comme celle d’Arnaut Daniel, ni parmi ceux du trobar leu (trobar léger) qui privilégient la simplicité prosodique. « Mais son art est riche et il peut sans difficulté être apparenté au style nouveau, en son temps, du trobar ric. Ses comparaisons, si elles empruntent à l’imagier commun des troubadours [...] sont claires et fortes, parfois audacieuses. De plus, il joue avec aisance des contraintes prosodiques, pratiquant par exemple souvent la “canso unisonans” dont les rythmes et les rimes sont identiques d’un couplet à l’autre. »

Victor Blanc

En respirant je hume l’air

En respirant je hume l’air
Que je sens venir de Provence
Tout ce qui vient de là me plaît
Si j’en entends dire du bien
Alors j’écoute en souriant
Et j’en demande pour un mot cent
Tant j’aime entendre en bien parler

Il n’est de plus douce contrée
Que celle entre le Rhône et Vence
Enclose entre mer et Durance
Ni où s’éclaire si pure joie
Aussi parmi ces nobles gens
Ai-je laissé mon cœur joyeux
Auprès de celle qui fait rire les tristes.

On ne peut mal aimer le jour
Où d’elle on a la souvenance
En elle la joie naît et commence.
Celui qui en ferait l’éloge
Disant du bien ne mentirait
Elle est la meilleure, sans conteste,
La plus noble qui se voit au monde.

Et si je sais rien dire ou faire
C’est bien à elle que je le dois
M’a donné science et connaissance
Par elle je suis gai et chanteur
Et tout ce que fais d’avenant
Me vient de son beau corps plaisant
Même quand de bon cœur je songe.

Peire Vidal, Le Loup amoureux, traduction de Francis Combes, Fédérop, 2014

Cause commune • janvier/février 2022