Par

Alors que se sont tenues les assises communistes de l’écologie les 4 et 5 mai dernier, dans le cadre de la préparation du congrès extraordinaire du PCF, Hervé Bramy, membre du conseil national chargé de l’écologie, nous présente les enjeux de cette initiative et plus largement, sa réflexion à propos de la place de l’écologie dans le projet communiste.

terre-planete.jpg

Congrès extraordinaire, des assises communistes de l’écologie. De quoi s’agit-il au juste ?
Deux aspects justifient le choix d’organiser un congrès extraordinaire en novembre : la situation politique à l’issue du cycle électoral 2017 et le souhait d’approfondir des sujets jugés prioritaires par les adhérentes et les adhérents dont les enjeux environnementaux et écologiques. Une très forte demande s’est exprimée sur ces thèmes. La décision d’inscrire l’organisation d’assises communistes de l’écologie doit donc conforter la place majeure de cet enjeu dans la visée communiste du XXIe siècle. Ces assises seront articulées autour de trois séquences : un « grand débat » pour préciser et actualiser, si nécessaire, nos partis pris écologiques ; approfondir, sous la forme d’ateliers ouverts sur sept questions d’urgence, nos positionnements ; favoriser le déploiement « décomplexé » des communistes sur le terrain des luttes environnementales. Le lancement de la campagne nationale contre la privatisation des barrages hydrauliques et l’organisation d’une chaîne humaine sur le barrage du Sautet en Isère, le 8 avril dernier, en est un exemple concret.

« La lutte de classe frappe à la porte de l’écologie. »

Est-ce le signe d’une prise en compte nouvelle des questions écologiques par les communistes ?
Je ne dirais pas les choses ainsi. Lors des derniers congrès, nos textes d’orientation ont largement intégré cet enjeu, mais, aujourd’hui, les communistes aspirent à ce que l’écologie devienne un marqueur, à part entière, du projet communiste du XXIe siècle. De très nombreux adhérents et adhérentes se sont engagés de longue date sur le terrain environnemental, souvent avec d’autres, sans être forcément à l’initiative. Là où ils et elles vivent, là où ils et elles travaillent, au cours de leurs voyages, les communistes constatent les dégradations faites à la nature, à la planète et en perçoivent les conséquences : perte de biodiversité, changements climatiques, pollutions, obsolescence programmée, scandales alimentaires, accidents industriels, ainsi que leur incidence sur la santé humaine et la faiblesse des moyens pour la recherche… Les communistes sont comme tous les citoyens, ils et elles formulent leur crainte d’un monde de moins en moins vivable, si rien n’est fait du point de vue des transformations nécessaires de la société. C’est aussi un monde où chacun n’a pas les mêmes moyens de s’en sortir. Aux inégalités sociales s’ajoutent les inégalités environnementales. La lutte de classe frappe à la porte de l’écologie. Le système dominant est mis en cause. On peut dire que les communistes participent, à leur façon, de la conscience écologique mondiale.

Quel sens donnez-vous au mot écologie ? Est-ce une science ? Une doctrine politique ? Un champ de lutte ?
Les trois à la fois. L’écologie est une science, certes jeune, mais une science à part entière. Par exemple, dans le domaine de la biodiversité, les écologues (les chercheurs spécialistes de l’écologie) observent les êtres vivants et leurs écosystèmes, recensent les espèces et en découvrent de nouvelles (de l’ordre de 20 000 par an), lancent des alertes toujours plus pressantes et formulent des préconisations. Je pense également au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) au sein duquel des milliers de scientifiques collaborent. Nombre de scientifiques, de toutes disciplines, conviennent que nous sommes entrés dans une nouvelle époque, celle de l’anthropocène, c’est-à-dire celle « où l’homme est devenu une force telle qu’il modifie la planète » (Catherine Jeandel).

« La préservation du climat est la mère de toutes les batailles. »

Chacun pressent bien que l’avenir de l’humanité se joue, en très grande partie, sur le rapport activités humaines/nature. Par leur comportement court-termiste, le capitalisme et ses promoteurs exploitent et dégradent, dans un même mouvement, les conditions de vie des êtres humains et la nature. Depuis les années 1970, les citoyens ont investi le champ politique environnemental : création d’associations les plus diverses ou bien de formations politiques. Ces dernières satisfont, en priorité, les couches intermédiaires de la société. Depuis, les partis politiques « historiques » ont tous, peu ou prou, intégré cette problématique. De façon majeure à gauche – devenant ainsi un axe central de réflexion sur la société – mais également à droite, voire à l’extrême droite, de façon nettement moins structurante et plus éparpillée. Aujourd’hui, toutes les couches de la société, y compris les couches populaires, sont concernées par les périls que fait peser le capitalisme mondialisé et financiarisé. L’écologie politique a fait preuve de son utilité mais elle n’est l’apanage d’aucune formation en particulier. Pour ce qui nous concerne, nous prenons à cœur de combattre, avec la même force, les inégalités sociales et environnementales que subissent les familles des quartiers populaires. Dès lors, qui peut nier que l’écologie ne soit pas porteuse de sens politique ?
Face au mode d’exploitation libéral, l’écologie est devenue un terrain de luttes de classes considérable. Le mot d’ordre « agir local, penser global » concentre, à lui seul, toute l’étendue du défi à relever. C’est un combat de tous les instants pour que chacun d’entre nous accorde, le mieux possible, ses actes avec ses convictions. C’est surtout un combat collectif et de convergences solidaires afin d’imposer auprès des autorités les politiques publiques conformes aux préoccupations des peuples.

« Le climat est un commun au sens où cette ressource doit être gérée par la communauté humaine mondiale afin de pérenniser ses bienfaits pour le présent et le futur. »

Quel premier bilan tirez-vous de l’action de Nicolas Hulot au gouvernement ?
Ce qu’il pouvait redouter est en train de se produire. Son aura écologiste est malmenée et sans doute est-il pétri, dans son action quotidienne de ministre, de contradictions. Rester ou ne pas rester ? Telle est la question à laquelle il doit répondre en permanence car le bilan, au regard de ses convictions affichées, est faible. Comment peut-il en être autrement dans un gouvernement qui se dit, avant tout, pragmatique, ni de droite ni de gauche ? En réalité, il est de droite et de droite sous pression du Mouvement des entreprises de France (Medef) et des lobbies des grands groupes industriels et financiers. Le sentiment qui domine, c’est qu’il ne peut aller au bout de ses convictions, contraint à des reculs – comme pour les perturbateurs endocriniens, le glyphosate ou encore l’énergie… Jusqu’où peut-il aller sans manger totalement son chapeau au risque de nier ce qui a fait de lui un des hommes engagés le plus apprécié des citoyens ? Sa prise de position pour la réforme de la SNCF est en contradiction totale avec la lutte contre les dérèglements climatiques. Est-il seulement au gouvernement pour utiliser son prestige sur les sujets de l’écologie de proximité – questions qui font partie du champ d’action des communistes et de leurs élus – mais sans considérer les problèmes profonds ? Face à la technocratie libérale du gouvernement Macron, l’ambition des nécessaires réformes de progrès sociaux et écologiques n’a pas de place.

Comment analysez-vous la multiplication des zones à défendre (ZAD) ? Crise du modèle de développement ou crise démocratique ?
C’est peut-être aller un peu vite que de parler de multiplication des ZAD. Certes, c’est une des formes d’opposition nouvelles à des projets d’aménagement, qui se caractérise par l’occupation d’espaces qui leur sont dédiés. Ces opposants disent inventer des formes de vie alternatives au système. Les luttes des zadistes empruntent, il est vrai, des formes peu usuelles. Pour autant leurs motivations sont très diverses. Si je prends l’exemple de Notre-Dame-des-Landes, on peut effectivement considérer que leur lutte a contribué à l’abandon du projet. Cependant, on ne saurait leur attribuer la totalité de ce qu’ils considèrent comme une victoire. En tout état de cause, rien ne justifie leur évacuation par la force.
Alors crise de développement ? Crise d’un certain développement, c’est clair. À partir du moment où l’État a abandonné toute ambition d’être aménageur du territoire en laissant le marché et les grands groupes industriels et financiers agir à sa place, cela provoque des clashs. Il ne convient pas de décider d’en haut mais de faire partager, avec la population, les raisons et les buts d’un projet. Lorsque les intérêts privés s’en mêlent, tout prête à croire que les citoyens, les usagers et les contribuables seront les dindons de la farce. Le privé n’est pas philanthrope, malgré tous les efforts qu’il produit pour prouver sa bonne foi environnementale.

« L’heure est à bâtir un nouveau mode de développement, de production et de consommation, débarrassé des oripeaux du consumérisme, vanté par nos pervers et géniaux publicitaires, et du productivisme effréné qui nous conduit à l’abîme. »

Crise démocratique, c’est évident ! Réaliser des projets d’aménagement qui ne correspondent pas aux besoins avérés des populations est une gageure. C’est le cas en région parisienne avec le projet Europacity. Les populations directement concernées n’ont pas été associées. D’une manière générale, les procédures de consultation et de concertation sont devenues obsolètes. La codécision et la coconstruction sont complètement absentes. Or c’est cette voie qu’il faut favoriser. Pour cela, il est incontournable de revisiter l’ensemble des processus de décision et les procédures de réalisation.

Diriez-vous que le climat est un « commun » ?
La préservation du climat est la mère de toutes les batailles. Si, comme on le constate, la température de l’atmosphère continue de s’emballer, alors on peut craindre le pire pour l’humanité. Cet enjeu ne peut être laissé entre les mains des dirigeants de la planète, même de celles et de ceux les mieux intentionnés. La démonstration a été faite lors de la COP 21 à Paris. Les peuples doivent s’en mêler car c’est l’affaire de tous, du petit agriculteur des Andes comme du citoyen urbain en Europe… Le climat est un « commun » au sens où cette ressource doit être gérée par la communauté humaine mondiale afin de pérenniser ses bienfaits pour le présent et le futur. Les sociétés doivent se décarbonner, principalement leurs économies et leurs industries. Cela veut dire réduire de façon conséquente, et le plus rapidement possible, toutes les énergies carbonées (gaz, charbon, pétrole) et organiser des mix énergétiques composés de ressources les moins productrices de gaz à effet de serre. Développer également le rail au détriment du camion ou du bus, rénover thermiquement les logements, penser un mode agricole économe en intrants chimiques… tout cela peut prendre du temps. C’est pourquoi il n’y a plus de temps à perdre pour décider en relation permanente avec les citoyens.

Comment relever les défis écologiques dans un monde dominé par le capitalisme financier et rythmé par la recherche de rentabilité immédiate ?
Le droit au développement reste une exigence moderne. Toutefois, celui-ci doit s’envisager avec la contrainte des limites de la planète et surtout accorder la priorité à l’humain. Face à sa propre crise, le capitalisme vend au peuple son système économique dit « vert ». Or les tenants du libéralisme, en récupérant le concept de développement durable, sont à mille lieues des urgences humaines, sociales et environnementales. En aucun cas, le profit ne peut être le but à atteindre. Aux critères du CAC 40 nous préférons nous doter d’indices de développement humains (IDH) qui mesurent le niveau de santé, d’éducation et de culture, bref le bien-être des femmes, des hommes et des enfants. L’heure est à bâtir un nouveau mode de développement, de production et de consommation, débarrassé des oripeaux du consumérisme, vanté par nos pervers et géniaux publicitaires, et du productivisme effréné qui nous conduit à l’abîme. C’est pourquoi nous faisons nôtre le concept de « développement humain durable ». C’est ce qu’il faut construire, au jour le jour, dans les consciences, dans les luttes et les rassemblements, jusqu’à rendre incompatibles les logiques libérales et financières et ainsi imposer d’autres modes de vie respectueux des êtres humains et de la planète.

Cause commune n° 5 - mai/juin 2018