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Le Parti communiste français s'engage dans la préparation d'un congrès extraordinaire.

Pour Cause commune, Pierre Laurent, secrétaire national, évoque les enjeux de ce temps fort et livre son analyse de la séquence électorale qui vient d'avoir lieu...

 

Cause commune : Quels principaux enseignements tirez-vous de la der­nière séquence électorale ?

Pierre Laurent : Emmanuel Macron dispose à l'issue de ces élections d’une majorité très large pour accélérer la politique libérale du grand capital. C'est une situation dangereuse pour le pays. Mais c'est le résultat d'un paradoxe. Sa victoire a été rendue possible parce que la société française est travaillée par une profonde aspiration au changement. Il ne s’agit pas d’une adhésion majoritaire au libéralisme mais d’une grande volonté de renouveau qu’Emmanuel Macron a su capter à son profit dans un contexte de grande défiance à l’égard de la politique. Ce qui rend possible l’opération de recomposition politique voulue par le président de la République, c'est un grand brouillage des repères politiques sur l'identification des causes de la crise que traverse actuellement le monde et notre société.

Si la situation est difficile, il ne faut donc pas perdre de vue qu'il existe un espace important pour continuer de transformer l’aspiration au changement en projet politique progressiste et en conquêtes démocratiques. Cela reste une grande leçon de la période. Nos idées ont progressé comme en témoigne la percée de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle.

Quant à notre propre force politique, elle apparaît utile aux yeux de nombreux Français, mais vieillie et dépassée. Elle n’est pas identifiée pour ce qu’elle est réellement aujourd’hui. Elle n'est pas perçue comme porteuse d’un message d’avenir au moment où les Français cherchent précisément le renouveau. Pour répondre à ce défi, nous devons changer tout ce qui doit l’être pour nous réinventer.

« Ce qui rend possible l’opération de recomposition politique voulue par le président de la République, c'est un grand brouillage des repères politiques sur l'identification des causes de la crise que traverse actuellement le monde et notre société. »

Cause commune : Pour le PCF, une progression en sièges à l’Assemblée nationale coexiste avec un résultat national historiquement bas. Qu’est-ce que cette situation dit des forces et des faiblesses du PCF en 2017 ?

P.L. : La présence d’un groupe à l’Assemblée nationale n’est pas anecdotique, c’est le témoignage de notre ancrage dans le paysage politique et dans les territoires. J’ajoute qu'une partie des députés de la France insoumise ont été élus dans des circonscriptions où notre présence est très forte. Ils ne l’auraient pas été sans ce que nous représentons dans ces villes. Avec une progression en nombre de sièges, nous résistons à la tornade qui a mis au tapis EELV et le PS mais cela ne peut masquer notre mauvais résultat global: le PCF n’est pas vécu nationalement comme une force alternative crédible. Ce défaut de crédibilité se cristallise dans ces législatives. Il faudra faire le bilan des quinze mois qui ont précédé ce scrutin. Mais c'est un problème de longue date auquel nous avons tenté de nous attaquer à plusieurs reprises. L'évaluation doit être plus globale et nous devons travailler à des transformations qui marquent un changement qualitatif profond.

Cause commune : Le conseil national du 24 juin a décidé d’interroger les communistes en vue du congrès et de confier à l’assemblée nationale des secrétaires de section la responsabilité de proposer un ordre du jour. À congrès extraordinaire, processus extraordinaire ?

P.L. : Nous avons voulu commencer par cette consultation des adhérents car il n’y aura pas de transformation réussie qui ne s'appuie pas sur les communistes. Je les sens partagés sur notre proposition de faire un congrès extraordinaire en 2018. Ils sont conscients que la période appelle à des transformations profondes. En même temps, ils sont sceptiques sur le fait qu’un nouveau congrès suffise à tenir ce pari. Les communistes aspirent à un congrès différent, qui ne fige pas les opinions, et ne consiste pas en un affrontement de textes globaux et généraux. Tout doit être mis entre leurs mains, à commencer par les questions que nous traiterons. À quels chantiers de travail et de transformation nous attaquons-nous ? Avec quelle méthode ? En suivant quelles nouvelles formes de travail collectif ? La réalisation de nos ambitions transformatrices suppose aussi la mise à disposition de nouveaux outils, y compris numériques, pour le travail en commun. Le congrès doit être l' aboutissement de transformations concrètes, pas un moment de plus pour seulement constater ce qui ne fonctionne pas.

« Le PCF n’est pas vécu nationalement comme une force alternative crédible. »

Cause commune : Parmi les préoccupations déjà listées figure la question du rassemblement. La volonté de rassembler la gauche, dans un moment où le total des voix obtenues par les formations de gauche n’a jamais été aussi bas, reste-t-elle un axe stratégique pertinent pour le PCF ?

P.L. : Les questions du rassemblement et de la reconstruction de la gauche demeurent fondamentales. Mais ces questions doivent être profondément repensées. La gauche que nous avons connue durant 40 ans vient de voler en éclats. Beaucoup de ceux pour qui elle était un élément structurant de leur identification politique n’ont plus de repères dans la nouvelle situation. C'est le résultat d'un travail idéologique de sape mené par les dirigeants socialistes eux-mêmes à commencer par François Hollande et Manuel Valls. Il n'y aura pas de retour à la situation antérieure. De nouveaux acteurs politiques vont s'installer. Le chambardement va continuer, il y aura des répliques au niveau local, départemental, régional.

C’est dans ce contexte que nous devons repenser un processus de rassemblement populaire majoritaire. La gauche reste un système de pensée pour l’égalité contre les injustices, pour la majorité des exploités contre la minorité des exploiteurs, mais l'incarnation politique de ces combats va changer, et je l'ai dit, les repères sont brouillés. Il faudra donc politiser les luttes et les consciences, pour permettre de nouvelles constructions politiques.

Pour commencer, la reconstruction ne passera pas principalement par des projets d’alliances, même quand elles resteront nécessaires, mais par une politisation et un dialogue populaires à grande échelle avec tous les militants de la gauche sociale, syndicale, intellectuelle.

« Le congrès doit être l' aboutissement de transformations concrètes, pas un moment de plus pour seulement constater ce qui ne fonctionne pas. »

Cause commune : Le Front de gauche, dont le PCF s’est revendiqué dans la dernière période est-il définitivement enterré ? Qu’en reste-t-il ?

P.L. : Il reste du Front de gauche une expérience de coopération politique entre des millions de citoyens. Il est toujours dans les consciences, beaucoup s’y réfèrent encore. Force est de constater que la structure nationale qui reposait sur le PCF, le PG, Ensemble et d’autres forces a été détruite par la volonté des dirigeants de la France insoumise de lui substituer leur nouvelle construction politique. Je ne crois pas que le Front de gauche a échoué parce qu’il était un cartel de partis comme certains l’ont dit, mais parce qu’il était traversé par différentes conceptions du rapport au rassemblement, à la gauche, aux élections… Nous ne sommes pas parvenus à les trancher publiquement et dans la clarté. Mais ces questions n'ont pas disparu, au contraire...

Cause commune : Comment bâtir à l’avenir des convergences avec la France insoumise qui n’a eu de cesse d’affirmer une volonté hégémonique ?

P.L. : La France insoumise se pense comme un processus unique chargé d’occuper l’ensemble de l’espace de la gauche de transformation sociale, je crois que c’est une erreur. L’espace politique que nous avons à rassembler est politiquement divers, traversé de courants d’idées qui ont besoin de confrontations pour progresser ensemble. Par exemple, les communistes ont un rapport fondamentalement différent à l’intervention citoyenne dans les processus de transformation sociale. Nous ne croyons pas dans la durée à des processus de délégations très fortes sur des modes populistes.

Ces débats doivent progresser et se dépasser dans l’action. La diversité de nos forces est une richesse pour bâtir à l’avenir une nouvelle expérience de coopération entre forces de transformation sociale. Il faut respecter cette diversité, ce qui reste à l’évidence un sujet de débat entre nous.

Si la France insoumise maintient sa volonté de s’affirmer en processus unique dans l’espace de la gauche, ce sera un obstacle à la construction d’une nouvelle ambition majoritaire. L’originalité communiste a beaucoup à apporter au rassemblement. Nous la ferons respecter non pas dans l’agressivité et le conflit mais dans la coopération avec la France insoumise et les différentes composantes de la gauche en reconstruction.

Cause commune : Dans la résolution adoptée par le conseil national, il est aussi question de « réidentifier » le PCF à l’heure où pour beaucoup, le capitalisme semble être un horizon indépassable. Quels seraient pour vous les marqueurs du combat communiste d’aujourd’hui et du projet communiste pour le XXIe siècle ? Qu’entendez-vous par « parti des communs » ?

P.L. : Je n’ai pas toutes les réponses à ces questions. Nous allons précisément y travailler collectivement dans la perspective du congrès. Moi, je crois que nous devons être le parti qui met concrètement et immédiatement à l’ordre du jour dans la société des transformations concrètes de dépassement des logiques capitalistes. Nous voulons un nouveau modèle de développement productif. C'est maintenant que la question se pose, partout dans la société, dans les entreprises, dans les choix de consommation. 

Nous construisons tout de suite des nouvelles solidarités. Nous voulons faire progresser concrètement une nouvelle appropriation sociale des productions, des savoirs, des pouvoirs, par de nouveaux droits à l'émancipation, contre la reproduction des logiques capitalistes. Nous ne reportons pas ces questions après la prise du pouvoir. Nous devons donc changer notre organisation pour construire les fronts de luttes et de conquêtes nécessaires, pour être le parti de la conquête citoyenne.

Au fond, c'est cela que j'appelle le parti des communs, une force qui serait identifiée pour favoriser l’intervention démocratique pour la protection des biens communs de l’Humanité. Nous ne voulons pas représenter le peuple mais lui permettre de conquérir en toutes circonstances des droits à la décision politique. Il y a une grande souffrance dans la société provoquée par le niveau de confiscation insupportable des leviers de décisions par les intérêts capitalistes, masqués par la technostructure.

Notre parti doit être celui de la reconquête démocratique.

Cause commune : Les questions du « modèle d’organisation » et du rôle des directions sont également sur la table. Beaucoup a été dit sur les mouvements En marche! ou France insoumise. En quoi, dans les faits, diffèrent-ils du fonctionnement d’un parti politique ? Quelles pistes d’amélioration pour le PCF ?

P.L. : Dans l’idée de mouvement, il y a quelque chose qui intéresse fondamentalement le Parti communiste. Le monde se transforme sous nos yeux, à grande vitesse. Les forces sociales qui ont besoin d'émancipation peuvent y trouver leur compte, en prenant en main ces changements. La société française cherche à se mettre en mouvement vers de nouveaux progrès. Elle a plus ou moins conscience que c’est le système actuel qui bloque tout. Face à cela, il faut que la forme d’organisation évolue sans cesse pour s’adapter, être en phase avec les gens qui aspirent à des organisations politiques beaucoup plus réactives, plus utiles. À notre corps défendant nous apparaissons comme figés face à cette aspiration. Notre organisation doit être plus décentralisée, tournée vers l’action concrète et durable. Ce qui pose problème avec En marche! ou la France insoumise, c’est que le modèle d’organisation reste paradoxalement extrêmement centralisé et descendant. En vérité, il reste tourné vers la conquête du pouvoir présidentiel. Il est facile d’y entrer d’un clic mais le fonctionnement reste incontestablement pyramidal. Nous avons à inventer un nouveau modèle qui utilise les outils numériques de la décentralisation mais pour gagner en capacité d’initiative, en pouvoir d’intervention.

« L’espace politique que nous avons à rassembler est politiquement divers, traversé de courants d’idées qui ont besoin de confrontations pour progresser ensemble. »

Cause commune : Le gouvernement veut aller vite pour mettre en œuvre ses projets. Comment allier réflexion et action ?

P.L. : Je crois profondément que nous irons plus vite pour réfléchir en étant en même temps dans l’action. Nous allons nous mobiliser très fortement contre les ordonnances Macron, pour les droits des migrants, les libertés publiques, l'emploi, l’écologie, avec l’ambition de constituer des fronts durables pour gagner des batailles tout en pensant de nouveaux rapports au monde. En effet, la lutte pour le travail et l’emploi, les questions migratoires et la bataille pour la préservation de la planète sont toutes liées. Les luttes les plus concrètes posent aujourd'hui toutes les question d'avenir de nos sociétés. Nous y inventerons les nouveaux chemins de transformation de la société. Et nous avons à construire de nouvelles convergences internationales sur ces sujets.

Cause commune : Les élections sénatoriales auront bientôt lieu. Dans quel état d’esprit le PCF, les aborde-t-il ? Quel sera son message aux grands électeurs ? Serez-vous candidat à votre succession ?

P.L. : Oui je suis candidat à Paris dans des conditions nouvelles. Nous figurions en 2011 sur une liste de toute la gauche. Cette fois grâce au travail mené pour renforcer les positions communistes parisiennes, nous sommes en situation de construire une liste que je conduirai. Globalement, il s'agit pour le Sénat de maintenir la présence d’un groupe, car nous serons la seule force d’opposition à gauche. Le groupe des Verts vient de disparaître, un groupe LREM a quant à lui été créé par un des principaux responsables du groupe socialiste. Il est d’autant plus important dans ce contexte que nous puissions former un groupe qui travaillera avec le groupe GDR et celui de la FI à l’Assemblée nationale. Ce n’est pas acquis. La quasi totalité de nos sièges sont renouvelables et seuls quatre ou cinq ont leur élection acquise. Nous menons la bataille auprès des élus locaux et des grands électeurs pour la défense des services publics en milieu rural, dans les zones périphériques, sur la démocratie locale, l'avenir des communes…

Nous menons des campagnes très conquérantes et qui ont de l’écho chez des centaines de grands électeurs qui s’inquiètent pour leur territoire.

« Nous avons à inventer un nouveau modèle qui utilise les outils numériques de la décentralisation mais pour gagner en capacité d’initiative, en pouvoir d’intervention. »

Cause commune : Enfin, comment mieux inscrire la réflexion et l’action du PCF dans le cadre européen et international, l’Europe et la mondialisation libérales étant identifiées comme des obstacles majeurs à la transformation sociale ?

P.L. : La dimension internationaliste de notre combat est une force. Elle doit être revalorisée dans le nouveau parti communiste que nous voulons impulser. Le moment est venu, dans la perspective de 2019, de faire franchir une étape nouvelle dans nos batailles communes avec le Parti de la gauche européenne. Nous avons fait des progrès mais il faut beaucoup plus de dialogue avec des forces extérieures au PGE pour aller vers un forum permanent des forces progressistes européennes. Le forum que nous tiendrons à Marseille en novembre sera une étape importante pour le construire. Plus largement, l’enjeu de la paix mondiale doit devenir une marque forte du combat communiste du XXIe siècle. Elle est à la croisée des enjeux, sociaux, économiques, écologiques, de migration, de développement et de justice. La paix du XXIe siècle ne pourra qu’être sociale et écologique. l