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On s'inquiète à juste titre aujourd'hui de la disparition effective ou de la menace de disparition de nombreuses espèces. Ces phénomènes ont des antécédents, souvent dus aux hommes. Cause commune abordera les questions liées au déclin de la biodiversité dans son dossier de novembre-décembre. Mais il nous a semblé utile de donner ici quelques exemples anciens et instructifs.

La crise Crétacé-Tertiaire (il y a environ 65 millions d'années), causée par la chute d’une météorite géante, a entraîné ou accéléré l’extinction d’un très grand nombre de groupes animaux et végétaux sur l’ensemble de la terre. Parmi ces groupes les plus connus sont les dinosaures et les ammonites. Mais les phénomènes d’extinction ont continué après cette date et, plus près de nous, les formes insulaires ont subi de lourdes pertes lorsque les hommes sont arrivés dans les îles. Ces formes insulaires étaient le plus souvent endémiques, c’est-à-dire qu’elles n’existaient que dans une île donnée, ou dans un archipel donné, mais nulle part ailleurs.

Vie et mort des gros oiseaux
Le vol représente une contrainte importante pour les oiseaux car il demande beaucoup d’énergie. Lorsque ceux-ci n’ont pas besoin de voler pour obtenir leur nourriture, ou pour se reproduire, et lorsqu’ils n’ont pas de prédateurs, ils perdent peu à peu la faculté de voler et dans certains cas ils deviennent géants. Peu à peu leurs ailes s’atrophient et parfois même disparaissent complètement.

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Figure 1. Œuf reconstitué d’un Oiseau-Eléphant, comparé avec un œuf de poule.


Les plus grands de ces oiseaux ont vécu principalement dans les continents de l’hémisphère Sud, à Madagascar, en Australie et en Nouvelle-Zélande. En effet, à cause de la tectonique des plaques et des transgressions marines, certaines masses continentales ont été isolées pendant une grande partie de l’ère tertiaire, et ont pu servir de refuges à des populations d’oiseaux, qui, dans les autres parties du monde, auraient succombé, par suite de changements dans leur habitat dus aux variations climatiques, ou de compétition avec de nouveaux venus mieux adaptés, ou de l’arrivée de nouveaux prédateurs. Lorsque les humains sont arrivés dans ces îles et ont rencontré ces énormes oiseaux, ils les ont chassés pour les manger et les ont fait totalement disparaître, de telle sorte qu’on ne les connaît que par des restes fossiles.

« C’est vorombe titan, de Madagascar, qui, pour le moment, remporte la palme du plus gros oiseau ayant jamais existé. »

Une seule exception est le célèbre « dodo » de l’Île Maurice. Cette île, ainsi que les deux autres îles des Mascareignes, n’avait pas été peuplée avant l’arrivée des Européens. Lorsque ceux-ci y ont débarqué, ils ont trouvé des oiseaux qui n’avaient pas le réflexe de s’enfuir car ils n’avaient jamais rencontré de prédateurs. Ils les ont capturés pour les manger et les ont exterminés jusqu’au dernier. Mais il y a eu des dessins exécutés sur place et quelques exemplaires sont parvenus en Europe et ont été représentés par des peintres, si bien que leur apparence est connue.
à Madagascar, on trouve des oiseaux de la famille des Aepyornithidae, ou oiseaux-éléphants. Ils sont apparentés aux ratites actuels, qui regroupent les autruches, les nandous, les émeus, les casoars et les kiwis. Il en existait au moins six espèces, le plus grand mesurait trois mètres de haut et son poids est estimé en moyenne à environ 650 kg. On en a trouvé des œufs entiers dont la contenance était de neuf litres, ce qui représente l’équivalent de cent cinquante œufs de poule (fig. 1). On ne connaît pas leurs ancêtres et on ne sait pas à quelle date ils sont arrivés à Madagascar. Ils sont connus à partir du Pléistocène, soit il y a environ 2 millions d’années. Les datations radiocarbones les plus récentes correspondent au VIIIe siècle après
J.-C., mais il est possible qu’ils aient survécu jusqu’au XIIIe siècle. Les restes trouvés dans les gisements les plus récents portent des traces de découpe, ce qui indique qu’ils ont été chassés et consommés par les hommes. Les recherches récentes sur l’ADN de ces oiseaux ont montré que leurs plus proches parents étaient les kiwis de Nouvelle-Zélande.
En Australie ont vécu les oiseaux de la famille des Dromornithidae. Les aborigènes d’Australie se souviennent de l’existence de ces oiseaux et les appellent les « mihirungs ». Certains sont représentés dans des peintures rupestres, dans la Terre d’Arnhem, au Nord de l’Australie. Ils sont connus depuis le début du Miocène, soit environ 23 millions d’années. Ils ont pu se développer en Australie car cette île-continent a été isolée et ne comportait pas de grands mammifères carnivores. Ils font partie d’un groupe d’oiseaux très anciens, les Galloanseres, qui incluent actuellement les coqs, faisans, perdrix et apparentés (galliformes) et les cygnes, oies, canards et apparentés (ansériformes). On en a répertorié quatre genres et sept espèces. La plus grande d’entre elles, dromornis stirtoni, qui vivait au Miocène moyen, mesurait environ 2,7 m de haut et pesait environ 500 kg. On en a retrouvé des crânes bien conservés qui montrent qu’ils avaient des becs énormes, avec une arête dorsale très fortement recourbée (fig. 2).

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Figure 2. Comparaison du mihirung dromornis stirtoni, représenté sans plumes, avec un dromadaire pesant de 500 à 600 kg (d’après Murray et Vickers-Rich, 2004).

« Les recherches sur l’ADN ont également montré que certaines des espèces de moas présentaient un dimorphisme sexuel inverse, c’est-à-dire que les femelles étaient beaucoup plus grosses que les mâles, et ceci à un point extrême. »

En Nouvelle-Zélande, les premiers hommes arrivés sur place, les Maoris, ont trouvé une très grande variété d’oiseaux géants, appelés « moas », nom d’origine polynésienne désignant les coqs et les poules. Ces oiseaux, les Dinornithiformes, comportaient trois familles distinctes, avec en tout six genres et neuf espèces. Avant l’arrivée des humains, la Nouvelle-Zélande avait été complètement isolée et ne comportait aucun mammifère terrestre. Les restes de moas les plus anciens connus datent d’environ 16 millions d’années, mais il est probable qu’ils étaient présents bien avant. Après leur arrivée sur l’île, ils ont évolué sur place, se sont diversifiés, sont devenus géants et leurs ailes ont même totalement disparu, ce qui est unique dans l’histoire des oiseaux. Les recherches sur l’ADN ont montré qu’ils étaient apparentés, non pas aux kiwis, présents aussi en Nouvelle-Zélande, mais aux tinamous, oiseaux de la taille d’une perdrix ou d’une pintade, capables de voler, et vivant uniquement en Amérique du Sud. Les recherches sur l’ADN ont également montré que certaines des espèces de moas présentaient un dimorphisme sexuel inverse, c’est-à-dire que les femelles étaient beaucoup plus grosses que les mâles, et ceci à un point extrême. Dans l’espèce dinornis novaezealandiae, les mâles pesaient en effet de 34 à 85 kg et les femelles de 76 à 242 kg. Les plus grandes femelles atteignaient 150 % de la taille et 280 % du poids des plus grands mâles. Ces trois groupes d’oiseaux avaient des membres massifs, devaient se déplacer lentement et étaient herbivores.

« Les plus grands de ces oiseaux ont vécu principalement dans les continents de l’hémisphère Sud, à Madagascar, en Australie et en Nouvelle-Zélande.»

Quel est le plus gros oiseau ayant jamais existé ?
Il est possible d’évaluer le poids des oiseaux disparus à partir de la circonférence minimale de la diaphyse du fémur ou du tibiotarse, en utilisant des équations basées sur des espèces actuelles dont le poids est connu. Chez les dromornithidae d’Australie, la plus grande forme connue est dromornis stirtoni, du Miocène moyen (entre 16 et 12 millions d'années). Cette forme présente un dimorphisme sexuel classique, les mâles étant plus grands que les femelles, contrairement aux dinornis novaezealandiae. Les poids évalués à partir des fémurs sont en moyenne de 584 kg pour les mâles, et 441 kg pour les femelles mais, chez les mâles, le poids maximum atteint 728 kg. Ces dromornis stirtoni avaient donc été considérés comme les plus gros oiseaux connus. Toutefois, récemment, une équipe de paléontologues anglais a revu tous les restes d’aepyornithidae conservés dans les musées, et a obtenu, pour la plus grande espèce, vorombe titan, toujours à partir des fémurs, un poids allant de 536 à 732 kg, et même, à partir d’un fémur incomplet, un poids de 860 kg. C’est donc vorombe titan, de Madagascar, qui, pour le moment, remporte la palme du plus gros oiseau ayant jamais existé. Rappelons pour comparaison qu’une autruche mâle actuelle pèse 100 à 130 kg (fig. 3) et qu'un bœuf charolais pèse entre 700 et 770 kg.

« À cause de la tectonique des plaques et des transgressions marines, certaines masses continentales ont été isolées pendant une grande partie de l’ère tertiaire, et ont pu servir de refuges à des populations d’oiseaux. »

Autres espèces disparues
Les extinctions d’oiseaux insulaires ne se limitent pas aux exemples signalés ici. Il y a eu aussi des aigles géants, des chouettes géantes, des hiboux géants, etc. Cependant il y avait aussi des oiseaux qui étaient de taille normale, certains avaient perdu la capacité de voler, d’autres volaient parfaitement bien. Tous ces oiseaux ont disparu en partie à cause de la prédation par l’homme, mais aussi en raison de l’introduction de prédateurs, serpents, rats, chats, ou par suite de la modification de leur habitat, défrichement des forêts, mise en culture des terrains. Certains aussi ont été victimes d’épidémies. Les oiseaux n’ont pas été les seules victimes de ces extinctions insulaires. Les tortues terrestres géantes de Madagascar et des Mascareignes ont totalement disparu, et la tortue éléphantine des Seychelles a été sauvée in extremis. Il y a eu même deux espèces humaines éteintes découvertes récemment dans des îles, Homo floresiensis, l’Homme de Florès, en Indonésie, décrit en 2004, et Homo luzonensis, l’Homme de Luçon, aux Philippines, décrit en 2019.

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Figure 3. Le poids du plus grand des oiseaux-éléphants correspond au poids de sept autruches mâles actuelles.

« En Nouvelle-Zélande, les premiers hommes arrivés sur place, les Maoris, ont trouvé une très grande variété d’oiseaux géants, appelés “moas”, nom d’origine polynésienne désignant les coqs et les poules. »

Le nombre total d’espèces d’oiseaux insulaires récemment éteintes n’est pas connu car beaucoup d’îles n’ont pas encore livré de restes d’animaux fossiles susceptibles de comprendre des oiseaux. Mais au fur et à mesure que des recher­ches sont effectuées dans ces îles, le nombre d’espèces disparues connues s’accroît.

Cécile Mourer-Chauviré est paléontologue. Elle est directrice honoraire au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

Cause commune n° 24 • juillet/août 2021