Pour dénicher les vrais riches, il faut regarder du côté des études des sociologues Pinçon-Charlot (Les Rothschild. Une famille bien ordonnée, La Dispute, 1998), ou consulter la revue (pour riches) Challenges qui établit depuis vingt-cinq ans le palmarès des plus grosses fortunes françaises.
C’est qui un riche aujourd’hui ? Le voisin qui a une option de plus sur sa voiture ? Le terme en effet est plutôt élastique et les dominants excellent pour entretenir la confusion à ce propos, détourner l’attention des vrais possesseurs de richesses. Cet été, par exemple, la presse posait au sujet de la taxe d’habitation cette question : « Combien doit-on gagner pour faire partie des riches ? » et répondait, en se prévalant de l’INSEE, que « le niveau de vie des plus riches est supérieure à 29 790 euros, soit 2 482,50 euros par mois » (Le Parisien, 16 juillet 2020). Dans une enquête Odoxa, toujours cet été, les sondés estimaient cette fois qu’on était riche avec 500 000 euros de patrimoine et 6 000 euros de revenu mensuel. De son côté, l’Observatoire des inégalités considère qu’on est riche avec 600 000 euros de patrimoine ou 4 800 euros de revenus mensuels pour un couple.
« Trois Français sur quatre estiment que, face à la crise, “il faut demander une contribution spécifique aux plus riches”. »
Alors, pour dénicher les vrais riches, il faut plutôt regarder du côté des études des sociologues Pinçon-Charlot (Les Rothschild. Une famille bien ordonnée), ou consulter la revue (pour riches) Challenges qui établit depuis vingt-cinq ans le palmarès des plus grosses fortunes françaises (n° 662, été 2020). Sont présentées les 500 plus grandes fortunes qui s’échelonnent de 150 millions d’euros (les petits derniers du classement…) à 100 milliards d’euros pour la famille Bernard Arnault, qui caracole en tête.
Les riches n’ont jamais été aussi riches
Premier constat, le plus important, le plus sidérant aussi. L’étude, menée au printemps 2020, qui tient compte de l’actualité (variations boursières suite à la COVID, par exemple), établit que les 500 plus riches ont largement accru leur poids dans l’économie : ils pèsent l’équivalent du tiers du PIB français attendu cette année. « Malgré la crise économique provoquée par le confinement, le patrimoine des 500 premières fortunes de France ne s’est pas effondré. Au contraire. À 730 milliards, il n’a jamais été aussi élevé », note la rédaction. Pour l’économiste Thomas Piketty, « ce classement marque une tendance préoccupante que je n’avais pas réalisée avant de consulter (ces) données : l’extraordinaire creusement des inégalités en France. En dix ans, le montant total des 500 premières fortunes de France est passé d’un total de 210 milliards d’euros à 730 milliards d’euros en 2020. En part du PIB, on serait donc passé de 11 % à 30 %. Un triplement alors que le patrimoine moyen des Français, lui, a progressé à peu près à la vitesse du PIB ! »
« En dix ans, le montant total des 500 premières fortunes de France est passé d’un total de 210 milliards d’euros à 730 milliards d’euros en 2020. »
Autre chiffre (nous n’en abuserons pas) : en 2020, en plein COVID, le patrimoine des 500 progresse globalement de 3 %, alors qu’après la dépression de 2008, autre année de crise, il avait reculé de 27 %.
Une extraordinaire concentration des richesses est donc à l’œuvre, que l’on retrouve symboliquement au niveau de l’immobilier et des « beaux quartiers ». Ainsi la revue, qui identifie les propriétaires de l’avenue des Champs-Élysées, note que la famille Bernard Arnault occupe, sous divers logos, les numéros 50, 52, 62, 68, 70, 72, 101, 104, 127… de la « plus belle avenue du monde ».
Le riche ignore la crise
Second constat. La crise, c’est pour les autres. D’ailleurs, le tableau des 500 fortunes s’accompagne de ce titre : « Une crise, quelle crise ? » Certes, certaines familles semblent moins chanceuses, celles dont l’essentiel des biens sont dans la restauration, le transport, l’hôtellerie ; ils perdent quelques places mais demeurent dans le hit-parade des grands possédants.
Troisième constat : au top du capitalisme français on trouve d’abord les familles Arnault, Hermès, Wertheimer, Bettencourt, Pinault, les rois du luxe ; on a envie d’écrire que ce palmarès montre une certaine futilité, une vanité de ce capitalisme à la française. On remarque ensuite que le secteur de la santé, au sens large, s’avère très profitable. Les actionnaires de Biomérieux, Eurofins ou Moderna Therapeutics s’enrichissent de plusieurs milliards (voir encadré ci-contre) ; on retrouve aussi ici les propriétaires des EHPAD et des résidences seniors, baptisés « les rois de l’or gris » (Domus, Sedna, Emera, Colisée patrimoine, Orpea), qui ont su s’enrichir « d’un business model avantageux », écrit la revue. À signaler en particulier dans cette tribu Jean-François Gobertier, longtemps numéro 2 de DomusVi, qui collectionne restaurants, hôtels, villas, Harley, voitures de luxe, mais aussi enquêtes préliminaires pour corruption, abus de biens sociaux et blanchiment.
Quatrième constat : « Les grandes fortunes n’ont jamais été aussi critiquées », regrette le responsable de la revue dans l’avant-propos de ce numéro spécial. Il fait état d’un sondage où, notamment, trois Français sur quatre estiment que, face à la crise (tiens, le mot revient), « il faut demander une contribution spécifique aux plus riches ».
Cause commune n° 20 • novembre/décembre 2020
La santé au top
Les biotechs sont dopées. Le secteur de la santé profite directement ou indirectement de la crise sanitaire. Les actionnaires de BioMérieux, Eurofins ou Moderna s’enrichissent de plusieurs milliards. Santé et prospérité : ces deux mots s’accordent mieux que jamais. En cette période de pandémie mondiale, les patrimoines du secteur médical se sont dans leur très grande majorité appréciés. « Ces fortunes sont constituées de deux catégories, analyse Hervé Ronin, banquier d’affaires chez Bryan Garnier. D’un côté les descendants de dynasties familiales très établies comme les Mérieux, les Mauvernay (Debiopharm) ou les Chibret (Théa) ; et de l’autre des entrepreneurs plus récents comme Stéphane Bancel (Moderna Therapeutics) ou Jean-Paul Clozel (Idorsia). »
Des représentants de ces deux mondes ont directement bénéficié d’un « effet coronavirus ». À 47 ans, Stéphane Bancel, qui fait irruption pour la première fois dans le classement de Challenges – directement au 66e rang, avec un patrimoine de 1,45 milliard d’euros – a créé sa biotech ex nihilo à Boston (Massachusetts) en 2011. Neuf ans plus tard, Moderna Therapeutics caracole en tête dans la course aux vaccins contre la COVID-19. Et avec pas moins de quinze nouveaux médicaments dans ses tuyaux, tous développés à partir de la technologie révolutionnaire d’ARN Messager, la biotech, dont le fondateur possède 7,5 %, n’en est probablement qu’au début de son ascension.
Extraits de « Fortunes de France », Challenges, n° 662, p. 200.