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En novembre dernier, le parti communiste s’est doté d’un Plan climat pour répondre à l’urgence climatique. Cause commune a rencontré son coordinateur, Amar Bellal, responsable de la commission nationale Écologie du PCF et rédacteur en chef de la revue Progressistes.

Propos recueillis par Nicolas Tardits

CC : Pourquoi est-il important pour le PCF d’élaborer un « Plan climat pour la France » avec les années 2050 comme perspective ? N’est-ce pasun objectif trop ambitieux de proposer une véritable planification sur le temps long pour atteindre la neutralité carbone ?

Cet objectif nous est imposé par la physique du climat, pour peu qu’on s’intéresse au sujet. Le GIEC a montré que pour contenir le réchauffement global à 1,5 degré, il est essentiel d’atteindre un niveau d’émission nette nulle de gaz à effet de serre (CO2, méthane, etc.), à l’horizon de 2050, avec un rythme soutenu : il ne s’agit pas de se dire par exemple qu’on peut attendre les années 2040 puis faire l’essentiel de l’effort dans la dernière décennie en espérant d’ici là des ruptures technologiques qui pourront changer la donne : c’est le volume global qui sera émis ces vingt-cinq prochaines années qui va compter. On s’est donc basé sur ce constat scientifique, et on s’est projeté à cette échéance en se pliant à cet exercice, comme l’ont fait un certain nombre d’ONG, je pense au ShiftProject, Sauvons le climat, Negawatt mais aussi les scénarios de RTE, de l’ANCRE. Il est vrai que c’est la première fois qu’un parti politique ose faire un tel travail avec une telle ampleur : pas seulement une liste de mesures mais des objectifs chiffrés, année après année. Mais dissipons deux malentendus. D’abord le plan climat Empreintes 2050 s’appuie sur un scénario qui n’est pas une prédiction, mais un ensemble de changements progressifs dans les différents secteurs, qui nous semblent plau­sibles socialement et aussi sur le plan technologique et industriel. Comme nous avons une « obligation de réussite » à l’échéance de 2050 et le devoir d’atteindre la neutralité carbone, on n’utilise que des technologies matures ou quasi matures : on ne peut pas se permettre de lancer un pays de soixante millions d’habitants dans une trajectoire incertaine sur la base d’une hypothétique technologie qui apparaîtrait en cours de route, ce serait irresponsable, et une fuite en avant facile pour ne rien faire. C’est d’ailleurs la stratégie de partis politiques comme le RN pour affirmer qu’il est urgent… d’attendre !

« Le plan climat Empreintes 2050 s’appuie sur un scénario qui n’est pas une prédiction, mais un ensemble de changements dans les différents secteurs, progressifs qui nous semblent plausibles socialement et aussi sur le plan technologique et industriel. »

Les progrès sont lents et le déploiement de telles infrastructures et équipements sur vingt-cinq ans se décide maintenant. Si on veut construire une vingtaine d’EPR d’ici 2050 et réussir les grands chantiers des énergies renouvelables et de la rénovation énergétique, la décarbonation complète de l’industrie et des transports, insistons à nouveau : cela se décide maintenant. Ne pas comprendre cette trivialité, c’est méconnaître complètement le pas de temps industriel et celui des grands changements de société. Par exemple, les réacteurs nucléaires des années 2040 seront sensiblement les mêmes que ceux actuels, ce seront des EPR améliorés sans plus, de même que les éoliennes auront trois pales, un mat et un socle en béton ou un gros flotteur si c’est en mer.
C’est primordial pour renforcer la crédibilité politique du PCF de se projeter ainsi ; il ne s’agit pas de se payer de slogan ou d’intention, il faut démontrer qu’un chemin est possible, que la France peut arriver à la neutralité carbone si elle s’en donne les moyens et anticipe les chantiers à venir.

CC : Comment ont été élaborés ce plan et notamment son chiffrage précis ?

Le plan a été élaboré par une équipe d’ingénieurs venant essentiellement de la revue Progressistes et de la commission Écologie du PCF. Il s’est fait sur la base d’un modèle énergie climat développé par un camarade ingénieur, Victor Lenny : on retiendra que c’est surtout grâce à son immense travail que le PCF a effectué une avancée décisive sur l’écologie. Il a mis son modèle au service d’une politique socialement ambitieuse consistant à assurer la réponse aux besoins fondamentaux : logement, habitation, transport, alimentation, emploi : en somme allier la lutte pour le climat et les jours heureux, tout un programme ! Concernant le chiffrage, dans les différents domaines nous avons creusé les rapports institutionnels, enquêtes sur les modes de vie, rapports scientifiques, statistiques de l’INSEE et de différents organismes comme RTE. Par exemple savoir combien la France consomme de sucre, combien elle en produit sur son territoire, combien elle en importe ou exporte, et la quantité d’énergie nécessaire à cette production et les émissions de CO2 associé, et il faut faire cela pour tous les secteurs de la production ! le verre, l’acier, le ciment, les engrais, etc., cela vous donne une idée de l’ampleur du travail de Victor Lenny. Derrière chaque courbe du plan climat, vous avez des tableaux avec des centaines de lignes et de colonnes…

« Le retard du chantier de Flamanville est surtout un problème de tissu industriel à reconstituer et non pas un problème de faisabilité de cette technologie. »

On essaie alors d’imaginer la société de 2050, tout en ne bousculant pas le mode de vie de la population partout où c’est possible. Pour cela la technologie nous aide beaucoup mais on est en même temps contraint par la limitation des ressources et de notre puits de carbone (la capacité des sols et forêt à retirer du carbone), primordial pour compenser les émissions résiduelles et atteindre des émissions nettes à zéro.
Une fois ce travail fait, nous avons les besoins énergétiques correspondants, essentiellement de l’électricité et on aboutit au doublement de la production électrique d’ici 2050. Il faut mettre en face les moyens de production électrique, nucléaire et renouvelable nécessaires. À ce stade une autre contrainte apparaît : notre capacité industrielle à mener des chantiers en un temps record, en tenant compte des deux décennies où la France a connu un affaiblissement dans le secteur nucléaire par l’absence de chantiers, de perspectives pour toute une filière qui s’est affaiblie et donc une perte considérable du tissu industriel et du savoir-faire. On a alors essayé de maximiser de façon réaliste le nombre de réacteurs que nous avons la capacité de construire, et pour le complément, environ la moitié est réalisée avec des énergies renouvelables.

« Pour engager et réussir tous ces défis industriels, il faut des gens formés, en bonne santé, dont on garantit les revenus même durant leur formation ; il ne faudrait surtout pas que cette période soit synonyme de casse sociale et de restriction. »

La difficulté essentielle de ce plan est de boucler tous les secteurs : on ne peut pas les penser de façon indépendante. Par exemple, on dispose de peu de biomasse car on cherche à préserver les puits de carbone, notamment les forêts dont on prévoit qu’elles vont souffrir du changement climatique. On est obligé de réserver les ressources rares comme le biométhane ou les déchets ­végétaux à des usages abso­­lument essentiels, par exemple l’aviation pour les carburants de synthèse ou certains procédés industriels. Il serait absurde d’utiliser cette ressource limitée qu’est le biométhane pour chauffer des logements, ce serait du gaspillage alors qu’on peut s’en passer dans ce secteur.

CC : Un volet important du plan a trait à la question du réseau d’électricité. Dans ce cadre, il est proposé la construction de vingt nouveaux EPR2. Comment s’articule cet investissement massif dans le nucléaire avec celui à fairedans les énergies renouvelables ? Est-ce possible d’y parvenir dans un marché européen de l’électricité ?

Les EPR2 sont des EPR de conception simplifiée, avec le retour d’expérience de l’EPR de Flamanville, de ses retards et de ses surcoûts. Il y a trois EPR dans le monde qui fonctionnent et donnent pleine satis­­faction : un en Finlande et deux en Chine. Les deux EPR chinois ont été construits en l’espace de sept ans seulement ; la Chine n’a pas arrêté de construire des réacteurs nucléaires dans les dernières décennies ; de ce fait, elle n’a pas les problèmes de désindustrialisation et de main-d’œuvre disponible que nous avons en France. Le retard du chantier de Flamanville est surtout un problème de tissu industriel à reconstituer et non pas un problème de faisabilité de cette technologie. Le marché de l’électricité en Europe et, surtout, le dogme libéral européen affaiblissant les services publics ont désarmé EDF dans sa capacité financière à investir et à lancer de nouveaux projets. Il faudra changer ces règles évidemment.

CC : Pour parvenir aux objectifs fixés, ce plan recommande de mettre, chaque année, 186 milliards d’euros supplémentaires pour financer la transition, soit 7,9 % du PIB. Comment y parvenir ? Faut-il penser à réorienter certaines dépenses publiques ?

Il y a deux grands leviers pour le financement : la fiscalité et la création monétaire par la BCE pour les dépenses sociales et écologiques. En tant que candidat sur la liste des élections européennes conduite par Léon Deffontaines, ce sont deux grands axes des propositions que nous allons défendre. On pourrait aussi citer un troisième levier indirect : la nouvelle logique économique que nous souhaitons impulser en développant l’emploi qualifié, la formation et la recherche devrait aussi augmenter le PIB bien mieux que le fait le système actuel, en lien avec des objectifs sociaux et écologiques, et ce sera aussi une source nouvelle de financement par la richesse supplémentaire produite. C’est ce que nous avons dit lors de la présentation du plan climat pour celles et ceux qui veulent l’entendre bien sûr. Remarquons aussi que derrière ces dépenses, c’est le transport, le logement, l’alimentation qui seront grandement améliorés : on se donne les moyens pour avoir – à la fois – les jours heureux et un climat préservé.

« Il y a deux grands leviers pour le financement : la fiscalité et la création monétaire par la BCE pour les dépenses sociales et écologiques. »

CC : Il est également question dans le plan de transformations profondes des principaux secteurs émetteurs : transport, bâtiment, industrie et agriculture. S’agit-il de bousculer tout notre mode de vie quotidien ?

Quoi qu’il en soit, ne pas agir c’est l’assurance d’avoir un bouleversement dans nos modes de vie mais dans un sens très négatif puisque nous subirons un réchauffement dramatique. On s’illusionne grandement en s’imaginant que tout peut continuer comme maintenant et ne rien changer. Enfin comme l’a dit Fabien Roussel lors de la présentation du plan le 6 novembre : il ne peut y avoir d’écologie sans une politique sociale, et il ne peut y avoir de politique sociale sans écologie. En effet, pour engager et réussir tous ces défis industriels, il faut des gens formés, en bonne santé, dont on garantit les revenus, même durant leur formation : il ne faudrait surtout pas que cette période soit synonyme de casse sociale et de restriction. à l’inverse, si on mène des politiques sociales mais qu’on subit un réchauffement climatique dramatique qui menace notre santé, notre sécurité alimentaire et toutes les infrastructures de notre société, ce sera vain. Il faut faire les deux.
Dans le plan climat, il y aura du changement en 2050 mais qui ne sera pas de la restriction. Prendre le train plutôt que la voiture, pourvu qu’on développe un service public ferroviaire à la hauteur tout en assurant des tarifs attractifs, c’est un changement acceptable, on continue de voyager et de se déplacer. Interdire les SUV électriques et promouvoir de petites voitures électriques accessibles à tout le monde n’est pas non plus un changement brutal. Nous avons à chaque fois privilégié la réponse aux besoins, par d’autres voies garantissant la décarbonation du secteur, en jouant sur les leviers technologiques et en combattant les excès (SUV, jet privé, yacht, etc.). Parfois, nous avons dû, pour des raisons de disponibilité des ressources, agir sur une modération de certains usages ; on pense à l’aviation, où le trafic devra être réduit car nous n’avons pas la capacité de produire suffisamment de carburant de synthèse zéro carbone avec de l’électricité (il nous faudrait construire l’équivalent de dix EPR supplémentaires rien que pour cela !). En 2050 on continuera de prendre l’avion, de découvrir le monde, mais le tourisme compulsif de quelques-uns et l’usage de l’avion lorsque d’autres choix existent sera à proscrire. C ’est l’exception qui confirme la règle du plan.

CC : Une grande place est laissée aux services publics dans le plan climat, notamment celui de la formation (de l’école primaire à l’université). Pourquoi est-il si important de prendre cet enjeu en considération dans un document dont on aurait pu penser qu’il ne traite que de notre mode de production ?

Il est évident que ce qui fait la qualité de la production, ce sont les salariés, qui doivent être formés, éduqués et en bonne santé. C’est la condition d’une productivité de qualité. C’est d’ailleurs pour cela que de nombreuses entreprises s’installent en France : pour la qualité des services publics.
Et, surtout, beaucoup reposera sur une nouvelle génération mieux éduquée, plus émancipée. Par exemple, réintroduire des cours de musique au collège, c’est bon pour le climat ! En effet, on aura de futurs citoyens qui se détourneront de la société de consommation et se réaliseront personnellement autrement que par la possession d’objets divers et variés souvent inutiles, mais par une pratique artistique. Donc agir pour des politiques d’éducation culturelle, sportive, tout ce qui peut favoriser l’éveil va dans le sens du plan.

« Il faut démontrer qu’un chemin est possible, que la France peut arriver à la neutralité carbone si elle s’en donne les moyens et anticipe les chantiers à venir. »

CC : Dans quelles mesures ce travail peut-il être mobilisé par les militantes et militants communistes dans leur section ou leur fédération notamment dans le cadre des prochaines élections européennes ?

Déjà près de soixante-dix initiatives ont eu lieu ou sont programmées partout en France, c’est inédit dans l’histoire récente du PCF car c’est spontané, ce n’est pas une campagne thématique impulsée d’en haut. Partout des sections, des fédé­rations demandent à pouvoir présenter le plan climat Empreintes 2050. L’équipe du plan climat et de la revue Progressistes ont eu à gérer ce succès, et ont dû s’organiser pour vite former partout en France des camarades capables de présenter le plan. Près de cent vingt camarades ont participé aux séances de trois heures qui ont lieu chaque premier samedi du mois en visio expliquant le plan en détail. De nombreux documents ont été produits, modèles de tract, diaporama, pour aider. Bien sûr ces initiatives sont maintenant conçues en lien avec la campagne électorale : ce que nous proposons pour la France avec Empreinte 2050 est aussi sur de nombreux aspects ce que nous souhaitons pour le reste de l’Europe.

CC : Maintenant que ce document de cent vingt pages a été présenté publiquement, les communistes peuvent-ils encore y contribuer ?

Nous avons ouvert une phase de concertation, à l’intérieur du PCF mais aussi en direction de tous les acteurs extérieurs. Nous rencontrons une à une les commissions thématiques du PCF, auditionnons des syndicats, des personnalités, mais nous recevons également des contributions de camarades, parfois des textes collectifs. C’est bien mis en évidence dans le document, il suffit d’écrire à [email protected]. Ce document sera révisé chaque année en fonction de nouveaux objectifs, d’éventuels progrès technologiques inattendus. La version deux est prévue pour décembre 2024.

Cause commune n° 38 • mars/avril/mai 2024