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La crise sanitaire n’a pas épargné la culture et la communication : liquidation des filiales régionales de Presstalis, annulation des festivals, menaces qui pèsent sur nombre de structures culturelles…
Pour Cause commune, Pierre Dharréville, député des Bouches-du-Rhône et chargé de la culture au sein de la direction du PCF, analyse la situation et trace des pistes alternatives.

Propos recueillis par Léo Purguette

Les filiales régionales de Presstalis, l’entreprise chargée de la distribution de la presse, ont été liquidées sans solution de continuation de l’activité. Le gouvernement souhaite-t-il faire table rase dans le secteur ?

Pierre Dharréville :Le pluralisme et la liberté de la presse comme le droit à l’information sont indispensables à notre démocratie. Il ne peut y avoir de démocratie ni de pluralisme véritable sans des journaux disponibles sur l’ensemble du territoire. Ce sont ces principes que défend la loi Bichet du 2 avril 1947 en garantissant une diffusion libre et impartiale de la presse, et qui sont aujourd’hui mis à mal en raison de la situation préoccupante dans laquelle se trouve Presstalis. L’entreprise est fragilisée et dépouillée de ses filiales qui assurent la distribution de niveau 2, liquidées purement et simplement le 15 mai, laissant plus de cinq cents salariés sur le carreau avec des territoires entiers et des kiosquiers sans journaux. La mutualisation est agonisante en raison de différends sur la gestion de flux financiers, de décisions organisant la concurrence et de la tentation du dumping. Une situation qui n’est pas nouvelle et à propos de laquelle le gouvernement a été alerté à plusieurs reprises. En réalité, le gouvernement s’attache à déconstruire les systèmes solidaires et mutualisés qui ont fait leurs preuves et qui ont été mis en place pour défendre l’intérêt général. Sa réponse est toujours la même : il s’en remet au marché. La modernisation de la loi Bichet, votée au mois d’octobre 2019, prévoit l’ouverture d’ici à janvier 2023 du marché de la distribution de la presse, détenue par des coopératives d’éditeurs, à de nouveaux acteurs. Cette mise en concurrence, une aberration écologique et économique, va gravement porter atteinte au pluralisme. Le démon du dumping social s’est allié à l’égoïsme de certains éditeurs. L’information ne doit pas subir cette marchandisation dévastatrice. Toute la filière est fragilisée ; elle doit être soutenue. Et la solution ne réside pas dans la concentration des titres dans les mains de quelques grands propriétaires, déjà bien entamée, avec le formatage que cela implique.

« Le gouvernement s’attache à déconstruire les systèmes solidaires et mutualisés qui ont fait leurs preuves et qui ont été mis en place pour défendre l’intérêt général. »

Quelles sont les alternatives ?

Pierre Dharréville : Pour le niveau 2, la proposition de société coopérative d’intérêt collectif faite par les salariés pour continuer l’activité en rassemblant l’ensemble des acteurs de la filière, avec leur mobilisation, est bien ajustée. Elle peut imposer une autre voie. Ce d’autant que les alternatives sérieuses ne sont pas au rendez-vous. Les éditeurs doivent assumer leurs responsabilités mais, compte tenu des multiples rebondissements de ces dernières années, l’État doit s’imposer pour contribuer à défendre l’intérêt général. C’est une question de santé pour la république ! Il est urgent de refuser le glissement de l’information dans le champ d’un marché sans règles et sans horizon. Il faut, au contraire, agir pour garder un écosystème mutuel et solidaire indispensable tant économiquement qu’écologiquement, socialement et démocratiquement parlant. Je crois qu’à cette mobilisation des acteurs directement concernés, il faut aussi que se joigne celle des citoyens. Le combat des salariés de la Société d’agence et de diffusion (SAD), c’est aussi celui de la défense d’un des soubassements essentiels de notre démocratie : notre droit à l’information. Ce combat doit être commun à toutes celles et tous ceux qui sont attachés à la démocratie

« Le démon du dumping social s’est allié à l’égoïsme de certains éditeurs. »

Les professions artistiques sont laissées pour compte après la période de confinement. Comment éviter que la crise sanitaire emporte avec elle les compagnies, festivals et autres structures culturelles ?

Pierre Dharréville : Notre tissu artistique et culturel, en péril gravissime du fait de la pandémie, était déjà placé par les pouvoirs successifs en situation d’extrême fragilité. Il est urgent d’agir non seulement pour les milliers de travailleuses et de travailleurs qui le font vivre au quotidien mais aussi parce que cela affaiblit la capacité créative de notre pays, l’empêchant ainsi d’imaginer, d’inventer un autre avenir que celui dicté par la loi du marché. Dans les annonces du président, il y a eu une victoire : l’année blanche pour les intermittents (c’est-à-dire la prolongation d’un an de leurs droits au chômage), dont les conditions restent à préciser. Et beaucoup de flou. Au cœur des préoccupations du gouvernement, on trouve plutôt la rentabilité et la compéti­tivité. Au contraire, un vrai plan de relance doit mettre en dynamique un service public de la culture refondé, se préoccupant de toutes les disciplines artistiques et culturelles du spectacle vivant et des arts visuels, du cinéma, du livre, des auteurs, des éditeurs et des librairies, des artistes plasticiens comme des formes artistiques émergeant partout. Il devrait financer l’acte de création, le processus plus que le produit, sortant ainsi l’art et la culture des ornières d’une marchandisation outrancière et lui permettant de faire face aujourd’hui au rétrécissement des débouchés. Pour retrouver le goût de la rencontre, nous avons besoin d’art et de culture partout. Ce plan de relance doit être conçu dans des états généraux de la culture, pour lui donner l’ampleur et la force nécessaires.

« Il est urgent de refuser le glissement de l’information dans le champ d’un marché sans règles et sans horizon. »

L’intervention télévisée d’Emmanuel Macron sur la culture en temps de crise a laissé un goût amer aux acteurs du monde de la culture. Comment définiriez-vous le macronisme culturel ?

Pierre Dharréville : Le président de la République s’est mis en scène dans une conférence gesticulée pour édifier de ses conseils le monde de la culture. Mais ce n’est pas sur les planches qu’il est attendu. Cette prestation singulière s’est déroulée sous les yeux du ministre de la Culture, assis sur un strapontin, prenant des notes. Tout un symbole ! Celui d’un ministre, et donc d’un gouvernement, agissant sous la dictée et qui n’est plus responsable devant le parlement. C’est une nouvelle illustration de la dérive de notre république avec un président qui détient seul tous les pouvoirs et qui décide seul. Où est la culture ? La politique menée par ce gouvernement la relègue en toile de fond, au rang d’ornement. Le pouvoir macronien semble n’avoir pas besoin de la culture puisqu’il n’a pas besoin de sens. Il puise dans la technocratie libérale l’essentiel de son inspiration et se satisfait du culte de la vénalité comme horizon ; cela suffit aux « premiers de cordée ». C’est en cela qu’on pourrait évoquer quelque chose comme une vulgarité éclairée. Cette vulgarité, celle d’une politique qui confond les fins et les moyens, celle d’un discours qui se paye de mots pour mieux les dévitaliser, et qui porte atteinte au sens. Elle promeut une idéologie de la réussite individuelle, défait mécaniquement les dynamiques du commun, abîme les liens, fragmente, fracture, divise. Mais la mécanique ne lui suffit pas. Il lui faut aller plus loin et c’est pour cela que le pouvoir, aidé de forces réactionnaires toujours vivaces, s’est employé à alimenter l’affrontement identitaire. Et le racisme a continué de se banaliser. Avec Macron, nous voici sans horizon. Son seul projet est l’humain productif, rentable, compétitif. En quelque sorte, nous voici réduits au rang de hamsters dans une roue. Les références culturelles, le discours lyrique à chaque occasion, tout cela n’est qu’illusion, vide libéral, stuc.

« Il faut entretenir précieusement cette flamme qui nous a fait entrevoir un “monde d’après”. »

Selon vous, en quoi la crise sanitaire peut-elle permettre une prise de conscience de l’impasse représentée par le libéralisme ? Quels enseignements pour le monde de la culture ?

Pierre Dharréville : Le virus a passé la société au révélateur : c’est le libéralisme qui nous a placés dans cet état de vulnérabilité avancée. Et ce ralentissement a été l’occasion de multiples questionnements, sur tout ce dont nous avons manqué, sur tout ce qui nous a été essentiel. Nous nous sommes vus embarqués dans cette course effrénée et insensée. Et nous avons redécouvert ce qui nous fait humains. Mais il ne faut rien attendre de mécanique. C’est un point d’appui pour ouvrir d’autres possibles. Il faut entretenir précieusement cette flamme qui nous a fait entrevoir un « monde d’après ». C’est là qu’il y a besoin de la culture, car c’est un terrain privilégié de nos rencontres, de nos partages, de nos rêves, de nos fêtes. Mais le monde de la culture est en souffrance, il est fragilisé. Il est aussi au cœur de profonds questionnements face aux défis qui sont les siens et bien souvent aussi ceux de la société tout entière. Dans ce moment, il y a des choses à inventer : les politiques publiques doivent protéger nos capacités culturelles, et tous ceux et toutes celles qui vivent de la culture et la font vivre. Beaucoup reste à faire pour que les logiques de domination passent leur chemin. L’heure est à démarchandiser la culture, à en faire vraiment une expression de liberté et de partage. Et c’est l’affaire de toutes et de tous.

Cause commune n° 18 • juillet/août 2020