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Il est bien des personnes pour penser que le mot « gauche » a un sens identique depuis des siècles et des siècles. Dans ce sens, le lettré et roué François Mitterrand affirmait que la gauche n’avait presque jamais dirigé le pays : quelques mois en 1848, en 1936… Hélas, les historiens sont bien obligés de ne faire qu’une bouchée de ces légendes. Et l’historien du Collège de France, Maurice Agulhon, de commenter la formule mitterrandienne : « assertion insoutenable ! » Et Gambetta ? Et Ferry ? Et le radical Combes ? Eh oui, François Mitterrand confondait là « gauche » et « socialisme »… Ce coup de force dépasse, aujourd’hui encore, les rangs de la défunte mitterrandie pour continuer d’effacer de la photographie familiale Gauche bien des bourgeois libéraux parfaitement hostiles au socialisme mais (presque ?) pas moins hostiles à la longtemps puissante réaction monarchiste et se considérant, se revendiquant absolument de gauche. Dans notre histoire, clivage gauche/droite et clivage de classes ne peuvent être réduits l’un à l’autre : tant pis pour le romantisme… Feu La Revue du projet avait eu l’occasion de se pencher sur cette épineuse question (n° 50, 2015 – http://projet.pcf.fr/75325). Je ne développe pas et y renvoie les curieux.
Toujours est-il qu’une petite plongée dans la vie politique du XIXe siècle montre l’ampleur vertigineuse de la défaite de cette droite – même si on pense celle-ci au pluriel. Imaginez quelque Hibernatus de droite, entré dans un sommeil gelé vers 1850 (ou 1830 ou même 1880, à votre guise) et revenu à la vie consciente ces derniers mois… Cherchant la principale force de droite, il trouve – horreur ! – « Les Républicains ». Voici que la droite qui vomissait tant la République la prend comme étendard ! Cherchant plus à droite, alors, voici le Front national qui ne cesse de parler de « République » (décidément !) et même de « laïcité » (on s’étouffe !). En désespoir de cause, il tourne son regard et voici « Les Patriotes » dont l’écho renvoie si immanquablement à l’odieuse Révolution française. Tout se passe comme si – même si nous n’avons pas la naïveté de croire l’extrême droite sur parole – la gauche du XIXe siècle, dans sa palette de couleurs, recouvrait désormais à elle seule près de 99 % du spectre politique contemporain, rangeant la droite d’alors au rayon des antiquités et des folklores étranges.
Assistons-nous – post mortem serait-on tenté d’ajouter – au même phénomène avec le Parti socialiste ? Tout le monde glose sur son effondrement aussi soudain que massif (et irrémédiable ?). Certes, et ce n’est vraiment pas un détail, mais si on veut bien regarder les étiquettes avec un peu de distance pour se plonger dans les courants politiques profonds, ne faut-il pas voir aussi qu’environ la moitié des électeurs de ce pays se tourne aujourd’hui vers des socialistes d’hier ou d’aujourd’hui ?
Commençons par le plus simple : Jean-Luc Mélenchon. Ce n’est pas une infamie, une calomnie, un mauvais procès polémique de souligner la continuité de sa démarche par-delà son départ du PS. Dans le texte de novembre 2008 qu’il cosigne avec Marc Dolez pour annoncer leur départ du PS, il y souligne la fidélité aux engagements socialistes : « Nous refusons de nous renier […]. Par fidélité à nos engagements, nous prenons donc notre indépendance d’action. Nous quittons le Parti socialiste. Nous allons porter publiquement notre conception du combat républicain et socialiste. » C’est parce qu’il s’estime socialiste et que son parti ne lui semble plus l’être qu’il part. Ou, plus précisément, pour le citer toujours en novembre 2008 : il y aurait « deux lignes dans la social-démocratie : la ligne “démocrate” et la ligne de rupture. Eh bien, c’est la première qui a gagné [au congrès de Reims du PS] ». Ce serait donc par fidélité à l’une des deux lignes sociales-démocrates qu’il partirait. Il ne faut pas écraser toutes les inflexions et nouveautés apportées par Jean-Luc Mélenchon par rapport à cet élan initial qui l’amena à intégrer le PS et à y militer des décennies durant, mais il y a bien une fidélité profonde – et respectable comme telle – au Parti socialiste de François Mitterrand, figure présidentielle toujours citée avec respect et affection.
Continuons dans le même registre avec Benoît Hamon, sans qu’il soit besoin d’argumenter longuement pour percevoir son ancrage dans l’univers idéologique et politique du PS – sans écraser, là encore, les notes et touches personnelles.

« Alors que le Parti socialiste est dans une situation pour le moins critique, la vie politique, de Mélenchon à Macron – spectre qui n’est tout de même pas négligeable –, a des faux airs de bataille de tendances dans un congrès du Parti socialiste. »

Finissons par le plus dur mais sans doute pas le moins important : Emmanuel Macron. S’il a, bien sûr, entraîné avec lui plusieurs personnalités issues de partis de droite et mène une politique qui a plus en commun avec Nicolas Sarkozy qu’avec Jean Jaurès, le président « et de gauche et de droite » n’a été membre que d’un parti politique avant de fonder LREM : le Parti socialiste, de 2006 à 2009. Sur le fond, la ligne politique qu’il promeut est-elle absolument étrangère à celle que promouvaient Dominique Strauss-Kahn, voire, à quelques égards, Michel Rocard ou Jacques Delors avant lui, autant de figures dont on ne peut nier l’ancrage durable et profond au sein du PS ? Qu’on le veuille ou non, le PS, depuis des décennies, c’est aussi eux. Ajoutons que si l’écho et l’entourage macroniens se renforcent à droite, combien de socialistes trouve-t-on au côté de Jupiter, du très proche Gérard Collomb, homme fort du PS s’il en fut, aux plus tard venus, façon Olivier Dussopt (qui s’essaye au rôle du jeune et ravi fossoyeur de la fonction publique) ? Il semble bien qu’Emmanuel Macron avait tout pour être un chef de tendance du PS, même s’il préféra un projet plus audacieux à cette accessible et douce destinée solférinienne.
Résumons-nous : alors que le Parti socialiste est dans une situation pour le moins critique, la vie politique, de Mélenchon à Macron – spectre qui n’est tout de même pas négligeable –, a des faux airs de bataille de tendances dans un congrès du Parti socialiste. Comme si ces tendances étaient simplement devenues autant de partis et mouvements distincts. Comme Zeus, issu d’Ouranos et le terrassant. De présidentielle en législatives, ces dirigeants politiques qui furent (ou auraient pu être) des chefs de tendances socialistes occupent, à eux tous, une place dans la vie politique jamais occupée jusqu’ici par les socialistes ! S’employant à marginaliser toutes les autres forces à gauche, mettant en difficulté bien des forces à droite, la grande famille socialiste (recomposée) semble avoir acquis une hégémonie historique que ne saurait dissimuler la vente symbolique de l’hôtel particulier de la rue Solférino.

Renouons les fils : se passe-t-il sous nos yeux le phénomène par lequel nous avons commencé ? Comme les divers courants de la gauche du XIXe siècle ont fini par presque tout écarter et tout recouvrir à la fois, la social-démocratie, dans les contours qu’elle a pris dans le dernier quart du XXe siècle et qu’on annonce moribonde, serait-elle, en fait, en train de tout écraser et de tout recouvrir ? L’hypothèse vaut d’être examinée et a quelques faits saillants pour elle. Pourtant, ce n’est pas notre conviction et, comme communistes, nous ne nous sentons pas comme des chouans à qui l’Histoire échappe sans qu’ils en puissent mais. Au fond, pourquoi la droite du XIXe siècle a presque tout perdu ? (Les embrassades du résiduel de Villiers avec Macron formant le dernier épisode de ce qui n’est vraiment plus qu’une farce.) Pour mille raisons, bien sûr, mais l’agonie du féodalisme terrassé par un jeune, fougueux et fringant capitalisme n’y est vraiment pas étrangère. Monarchistes et réactionnaires ne pouvaient infiniment courir comme des canards sans tête. Notre capitalisme sadique et sénile – malgré la révolution numérique qui est plus qu’une chirurgie esthétique sur un front crevassé et des membres avachis – pousse-t-il si fort dans le sens de la mort des positions étrangères à la social-démocratie ? Rien n’est moins sûr : le péril fascisant, dans les contradictions actuelles, peut avoir les joues roses, on ne le sait que trop ; l’option communiste qui, seule, conteste frontalement et fondamentalement ce mode de production, peut, quant à elle, entrer dans la force de la jeunesse. Il n’y a ni boulevard ni autoroute naturellement offerts mais rien ne condamne le communisme à la ruelle ou à l’impasse. Il y a des contradictions à l’œuvre dans notre monde qui appellent puissamment le dépassement de ce capitalisme désormais vraiment incapable de répondre aux défis que l’humanité a devant elle. Mais il n’y a rien de mécanique et ces logiques profondes appellent un travail et un investissement politiques d’ampleur. Les communistes ont décidé de consacrer presque toute l’année 2018, dans la réflexion et dans l’action, à la réussite de leur congrès extraordinaire. Ce ne sera pas de trop ; les mois filent vite et la mer monte…
Nous en avons bien besoin et cela tient aussi, beaucoup, à nous. l

Guillaume Roubaud-Quashie, directeur de Cause commune.

Cause commune n° 4 - mars/avril 2018