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Oous avez peut-être lu ces mots (ici un peu adoucis par les rondeurs du français par rapport à la version originale écrite, comme il se doit, en anglais) : « Félicitations, Elon Musk, d’avoir accepté ce grand défi ! J’ai hâte de partager avec vous les meilleures pratiques pour faire face à la bureaucratie, couper dans la paperasserie et repenser les organisations publiques afin d’améliorer l’Efficacité des fonctionnaires. » Ce message relayait une déclaration de Donald Trump annonçant la nomination de Musk à la tête d’un ministère de l’efficacité gouvernementale destiné à démanteler la bureaucratie, éradiquer les régulations excessives, etc., rien moins qu’un nouveau « projet Manhattan », selon la comparaison faite par le président des États-Unis. Claude Allègre, ancien ministre français de l'Éducaton nationale, qui voulait « dégraisser le mammouth » fait soudain petit bras quand Musk et Trump veulent carrément atomiser la fonction publique.

« On flétrit le travailleur immigré pour mieux donner une chope au premier galonné venu, dès lors qu’il a la force pour lui et sait bien fouetter les peuples. »

Voilà donc ce qu’applaudit avec chaleur Guillaume Kasbarian, ministre de la Fonction publique d’un gouvernement de la République française dirigé par Michel Barnier, lequel se définit comme « gaulliste social ». Qu’on ne s’attende pas à trouver ici un éloge enthousiaste de l’homme de Charonne (Papon, préfet, n’était pas un électron libre) et des matraques de 68 mais si les mots ont un sens, gaullisme veut quand même dire recherche d’indépendance nationale plutôt qu’aplatissement servile et satisfait devant l’oncle Sam ; quant à « social », on peine à voir où cette dimension se nicherait dans les propos – et, hélas, au-delà, dans les œuvres – de G. Kasbarian.
À l’heure où ces lignes sont écrites, le tweet est toujours en ligne et son auteur toujours ministre.

Nous en sommes donc là. La galaxie Bolloré qui ne cesse de donner des leçons d’identité nationale à tout le monde s’extasie devant Donald Trump et semble toute prête à s’en faire le relais enthousiaste. (Au moins, dans cette famille idéologique, certaines tendances sont stables : le nationalisme agressif se marie vite avec l’alignement sur la grande puissance du moment. On flétrit le travailleur immigré pour mieux donner une chope au premier galonné venu, dès lors qu’il a la force pour lui et sait bien fouetter les peuples.) La droite qui, la veille des seconds tours, jure ses grands dieux qu'elle sera un rempart contre l’extrême droite applaudit maintenant les délires ultralibéraux à la Musk-Milei, depuis l’ancienne candidate LR à la présidentielle (et son « comité de la hache » !) jusqu’à G. Kasbarian, macroniste pur jus.

On se souvient peut-être que, prenant un air profond, les stratèges du hollandisme expliquaient volontiers, du temps de leur superbe, qu’il fallait bien sûr « trianguler », c’est-à-dire, à l’occasion, parler et agir avec la droite pour la déstabiliser et rafler la mise. (Certains semblent toujours y croire : voyez Kamala Harris fière de s’afficher partout avec l’ultraconservatrice Liz Cheney.) On a vu le résultat sur le plan électoral mais, sur le plan politique, les conséquences sont toujours là et se mêlent aux dynamiques précédentes : brouillard, brouillard, brouillard…

« La droite qui, la veille des seconds tours, jure ses grands dieux qu'elle sera un rempart contre l’extrême droite applaudit maintenant les délires ultralibéraux à la Musk-Milei, depuis l’ancienne candidate LR à la présidentielle jusqu’à G. Kasbarian, macroniste pur jus. »

Je passe sur le macronisme, son « en même temps », son « aile gauche » qui fait la retraite à 64 ans, la panthéonisation de Manouchian concomitante au vote de la loi Immigration, la situation cafouilleuse dans laquelle nous nous trouvons actuellement sur le plan institutionnel, un RN qui se dit premier opposant mais qui rejette avec Macron-Barnier le budget amendé à l’Assemblée dans un sens favorable aux intérêts populaires… Autant d’éléments qui, à tout le moins, n’aident pas à voir bien clair.

Comment comprendre quoi que ce soit à notre vie politique quand tant de repères sont brouillés, à l’heure de la comm’ généralisée, de la misère idéologique de bien des formations politiques (ce qui n’empêche pas que se mène aussi une rude bataille idéologique) et, dans le fond, de l’acceptation tous azimuts du capitalisme et de son ordre ? 

« Il faudra bien avancer dans cette purée de pois dans laquelle évoluent d’inquiétantes salamandres. C’est le sens de la conférence nationale du PCF qui se tient  en cette fin d’année : quelles voies d’efficacité communiste par temps de brouillard historique ?  »

Que cela rende notre tâche plus difficile, c’est l’évidence. Pourtant, il faudra bien avancer dans cette purée de pois dans laquelle évoluent d’inquiétantes salamandres. C’est le sens de la conférence nationale du PCF qui se tient en cette fin d’année : quelles voies d’efficacité communiste par temps de brouillard historique ? La question est urgente.

Guillaume Roubaud-Quashie, directeur de Cause commune.

Cause commune n° 41 • novembre/décembre 2024