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éditorial par Pierre Laurent, secrétaire national du PCF.

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Il y a eu récemment Comme des lions (Françoise Davisse), Merci patron (François Ruffin), La Villa (Robert Guédiguian), et voilà que Le Jeune Karl Marx (Raoul Peck) et En guerre (Stéphane Brizé) viennent prendre le relais des films autour desquels des organisations du PCF proposent des soirées de réflexion et de discussion. Il y a les initiatives qui s’emparent du bicentenaire de Karl Marx pour interroger sa pensée et son combat, ou celles qui ressortent les affiches de mai-juin 1968. Il y a les fêtes, les festivals, les initiatives culturelles et d'éducation populaire auxquelles les communistes et leurs élus consacrent leur énergie un peu partout en France. Et chaque jour, il y a L’Humanité, l’un des seuls journaux qui fait encore une place à la critique théâtrale et littéraire, quand d’autres se bornent à distribuer des étoiles (1 étoile, 2 étoiles, 3 étoiles…). Autant de traits qui montrent que le PCF a des rapports étroits avec les réalités culturelles et qu’elles constituent l’une des dimensions essentielles de son action politique. Cela tient à des raisons de fond.
La première, c’est que nous avons une haute idée de notre peuple comme acteur de l’histoire. Ce qui signifie qu’à nos yeux, il n’a pas seulement à se défendre contre les mauvais coups d’un adversaire, mais qu’il a, ce faisant, à inventer un cheminement politique inédit et à construire un nouveau monde social. Dire que culture et peuple vont ensemble, c’est affirmer que les forces populaires sont inventives, capables d’innovations, que la création politique et sociale ne leur est pas étrangère. Ce qui revient à prendre le contre-pied de ce qu’affirment depuis des siècles les puissants et les possédants, à savoir que le peuple n’est pas capable de voir plus loin que son échoppe ou son établi, qu’il ne sait que répéter les gestes mécaniques de son labeur, qu’il est tout juste bon pour les émotions et incapable d’avoir des idées générales sur le cours du monde, qu’il est enfermé dans ses intérêts particuliers et inapte à s’élever à l’idée d’un intérêt général et d’un bien commun, qu’il est un perpétuel mineur et qu’il lui faut des élites, des représentants, des gens capables de penser pour lui et de le diriger ; bref, qu’il est incapable d’une vraie culture politique parce qu’il est incapable de culture tout court. On voit que les élites politiciennes et médiatiques autoproclamées qui l’accusent aujourd’hui du terme foncièrement méprisant de populisme n’ont rien inventé.

« Dire que culture et peuple vont ensemble, c’est affirmer que les forces populaires sont inventives, capables d’innovations, que la création politique et sociale ne leur est pas étrangère. »

La deuxième raison de fond qui nous mobilise autour de la culture, c’est que nous avons une haute idée de celles et ceux qui, dans les conditions actuelles de notre pays, contribuent à la porter au plus fort de l’imagination et de l’inventivité : les artistes, les intellectuels, les créateurs. L’histoire de notre parti l’a montré : avant-garde en politique et avant-garde dans les arts ne sont pas identiques, mais ont eu bien souvent partie liée. Le parti s’est résolu au fil du temps à combattre résolument l’ouvriérisme, ce poison qui semait la méfiance à l’égard de tout ce qui n’était pas né ouvrier et donc, en particulier, de tout ce qui était culture et intellectuel. En 1959, il a ainsi soutenu la création du ministère de la Culture parce que c’était reconnaître, dans les institutions, la place et le rôle des artistes et des créateurs dans la vie sociale, même s’il a regretté que ce ministère s’occupe essentiellement des arts et des lettres et laisse hors de son périmètre les sciences et les technologies, ce qui le condamnait à une vue hémiplégique de la culture humaine. Et il a aussi évidemment combattu le fait que ce nouveau ministère dispose d’un budget confetti et que, à peine reconnue dans son apport, la culture soit ainsi condamnée à voir rogner ses ailes tant étaient pingres les limites de ce que Jean Vilar nommait par dérision « la cassette des menus plaisirs ».

« Derrière ces restrictions budgétaires se cache en réalité une vision qui tend à déconsidérer la culture pour lui substituer le commerce et le tout nouveau culte marchand des loisirs. »

Les temps ont bien changé depuis lors et les collectivités territoriales ont apporté à la culture beaucoup de ressources nouvelles, mais demeure puissant ce tropisme des milieux dirigeants qui consiste à tailler en premier dans le budget de ces activités quand, à leurs yeux, « l’austérité » s’impose, comme on le voit aujourd’hui. C’est que derrière ces restrictions budgétaires se cache en réalité une vision qui tend à déconsidérer la culture pour lui substituer le commerce et le tout nouveau culte marchand des loisirs. Culture-loisirs : si les deux sont nécessaires, on voit bien la différence. La première relève d’une responsabilité publique qui vise à permettre son accès à égalité pour chacun et pour tous, quand les seconds relèvent du marché et de la consommation individuelle, avec ses inégalités béantes. Et l’on voit bien comment tout est fait pour qu’ils se contredisent aujourd’hui puisque les uns sont présentés comme visant à « faire oublier la vie et ses difficultés », quand l’autre vise à nous élargir l’horizon par l’imaginaire et à nous ouvrir les yeux sur la possibilité d’une autre vie (celle que le poète Arthur Rimbaud appelait « la vraie vie »). On comprend qu’il n’y a là, au fond, qu’une adaptation par le cynisme contemporain de la maxime des empereurs romains : ce qu’il faut au peuple c’est du pain et des jeux (c'est-à-dire, d’un côté, la satisfaction a minima des besoins les plus pressants, et, de l’autre, du divertissement et des fêtes pour oublier ce « minima » et nous rendre satisfait d’être en vie !). On comprend que ce nouveau numéro de Cause commune et la convention nationale pour l'art, la culture et l'éducation populaire que notre parti organise les 28 et 29 septembre en prélude à notre congrès extraordinaire, aient là-dessus beaucoup à dire et à proposer.
J’ai évoqué deux raisons de fond qui unissent notre parti à la culture. Il en est une troisième qui prend un relief singulier après les leçons que nous tirons de nos combats passés, des avancées obtenues comme des échecs, des impasses et des drames du communisme au XXe siècle, des leçons aussi de nos expériences politiques plus récentes. Elle tient à ce que nous savons désormais qu’il ne suffit pas de décréter la fin de l’exploitation capitaliste – ce que la révolution d’Octobre a tenté en supprimant la propriété privée des moyens de production et d’échange – pour émanciper les individus et transformer en profondeur la vie sociale. Elle tient à ce que nous avons appris que tout miser sur la conquête du pouvoir et l’exercice de l’appareil d’État conduit à tarir les initiatives des individus et à museler la dynamique sociale qui sont les éléments vitaux du communisme. Il ne s’agit donc pas pour nous aujourd’hui d’agir pour une transformation sociale à l’ancienne, mais pour un dépassement communiste du capitalisme dans le sens de l’émancipation humaine, avec pour boussole et comme moteur la volonté de construire une société fondée sur le plein épanouissement de l’humanité en chaque individu. J’entends par là un « révolutionnement » des rapports sociaux qui n’échappe pas à la maîtrise de celles et de ceux qui l’accomplissent, mais qui leur permette au contraire d’en être – individuellement et collectivement – les acteurs et les décideurs, de façon à ce qu’ils se réapproprient les conditions de leur travail et de leur vie, dont ils sont précisément séparés dans une société de classe. Bien entendu, l’évocation d’une telle perspective et la nécessité d’une telle mobilisation populaire supposeront de plus en plus d’audace dans la pensée, et de fortes capacités d’invention, d’information, de délibération, de conviction pour être pleinement démocratique.

« La culture c’est ce qui vous sort de votre village et de votre quartier, bouleverse votre rapport au temps et à l’espace, ce qui vous rend partie prenante de toute l’humanité et vous ouvre l’esprit à la dimension du monde. »

On mesure alors l’exigeante ambition que nous mettons au cœur de notre combat et la place marquante et croissante que ne peut manquer d’y tenir la culture. Peut-être faut-il d’ailleurs ici remarquer que la culture ce n’est pas seulement l’énumération d’activités qui seraient dites « culturelles » et dont la responsabilité incomberait exclusivement à la collectivité. Après tout, la culture, c’est aussi pour chacun une question de volonté et de choix personnel en faveur d’un élan qui vous élève au-dessus de soi, au-dessus du lieu où l’on est né, de l’époque où l’on vit, du point où l’on est. C’est ce qui vous sort de votre village et de votre quartier, bouleverse votre rapport au temps et à l’espace, ce qui vous rend partie prenante de toute l’humanité et vous ouvre l’esprit à la dimension du monde. Comment les individus du communisme pourraient-ils l’oublier, le négliger et s’en passer ?
N'oublions pas ce que disait Antoine Casanova, grand intellectuel communiste disparu l'an dernier, à propos des œuvres artistiques : elles ont « une immense et subtile capacité de résonances symboliques directes et indirectes, conscientes et inconscientes, qui sont tout à la fois historiquement situables et historiquement mouvantes et inépuisables. […] L'accès à ces œuvres et aux pratiques qui s'y rattachent est ainsi source d'irremplaçables possibilités dans l'exercice de toutes les formes d'activité de mémoire et de pensée comme dans la perception la plus fine des multiples relations entre les différents niveaux du réel. L'appropriation des dimensions esthétiques de la culture constitue ainsi une richesse dont l'absence est mutilante pour les citoyens ».

Pierre Laurent, secrétaire national du PCF.
Cause commune n° 6 - juillet/août 2018