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Guillaume Roubaud-Quashie a été chargé de coordonner la rédaction du texte de la base commune de discussion adoptée par le conseil national des 2 et 3 juin et intitulée « Le communisme est la question du XXIe siècle ». Pour Cause commune, il détaille les idées-forces autour desquelles ce texte se structure.
Propos recueillis par Léo Purguette

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L'élaboration du texte de congrès s'est fondée cette année sur un travail en « chantiers » après un questionnaire envoyé aux communistes pour qu'ils décident de l'ordre du jour du congrès. Quels enseignements tirez-vous de cette méthode ?
C’est une expérimentation qui s’inscrit dans un des grands défis de la période pour un parti communiste : comment faire le plus efficacement parti, comment faire miel collectif de l’apport de chaque adhérente et adhérent, comment s’assurer que ce sont bien les communistes qui décident, à toutes les étapes. Le questionnaire était un élément dans cet esprit, une tentative. C’est, bien sûr, encore largement perfectible – sur la forme, sur le nombre, sur l’alliance de l’individuel et du collectif… – mais ce coup d’envoi avec quatorze mille questionnaires remplis a donné un élan précieux, le signal d’une juste ambition. On le sait, les ordres du jour sont parfois tirés dans un sens ou dans l’autre : là, la feuille de route a été fixée très collectivement. À nous de nous y tenir.

« Le lancement, à la rentrée, d’une nouvelle structure renouant avec ce qu’avait pu être “l’Université nouvelle”, mais dans les conditions d’aujourd’hui, avec un fort volet numérique : l’Université permanente. »

Pour ce qui est des « chantiers », c’était une manière d’inscrire le congrès dans l’action, dans l’initiative, dans l’essai. Il ne s’agit pas simplement d’arriver au congrès national en disant : nous allons faire ceci, nous allons faire cela. Les chantiers ont été à l’origine de réflexions, de réunions associant des communistes par-delà les seuls cercles dirigeants. Si je prends le cas du chantier « Formation » que je co-anime avec Annie David, c’est son travail qui va permettre le lancement, à la rentrée, d’une nouvelle structure renouant avec ce qu’avait pu être « l’Université nouvelle », mais dans les conditions d’aujourd’hui, une belle pièce d’artillerie dans la bataille idéologique, un grand outil d’éducation populaire avec un fort volet numérique : l’Université permanente. Bien sûr, si les chantiers tentent, c’est le congrès qui décide mais, dans un certain nombre de cas, grâce aux chantiers, il pourra juger sur pièces et décider en connaissance de cause. Démocratie et expérimentations : là sont les voies d’avenir.

Le projet de base commune a été adopté par le conseil national après un vif débat. Sur quels points portaient les principaux désaccords ?
Il faut d’abord souligner le travail fait par le conseil national des 2 et 3 juin : en dépit des difficultés liées au calendrier chargé de ce mois et à la – remarquable – mobilisation des cheminots, nous avons tenu la réunion du conseil national comptant sans doute le plus de membres de toute l’année. La conscience que ce congrès est de lourd enjeu est largement partagée et il faut s’en réjouir.
La discussion a été franche et, parfois, vive. C’est ce dont nous avons besoin pour avancer, avec la fraternité. Chacun doit dire ce qu’il pense.

« Il s’agit que tous les communistes débattent avec tous les éléments et décident avec toutes les cartes en main. »

Certains sujets sont au cœur de débats importants parmi nous : si nous sommes toutes et tous pénétrés de l’idée selon laquelle communisme et écologie se pensent ensemble (voir le succès des assises communistes de l’écologie et la place de cet aspect dans le texte), notre rapport à l’énergie nucléaire n’est pas unanime ; si nous sommes toutes et tous farouchement antiracistes, la manière d’aborder ces enjeux fait débat parmi nous ; si nous sommes toutes et tous pleinement engagés dans la lutte contre le patriarcat, l’articulation de ce combat avec le combat de classe peut faire l’objet d’approches différentes. De nouveaux débats émergent également : autour de l’idée de « salaire à vie », de la sécurité emploi formation… Il nous faut continuer, d’ici le congrès, à avancer le plus loin possible, ensemble, sur ces sujets.
Pour dire le fond de ma pensée, je pense cependant, pour ma part, qu’il faudra définir méthode, dates et lieux pour avancer, et « trancher », s’il y a lieu, mais, peut-être, après le congrès car il s’agit que tous les communistes débattent avec tous les éléments et décident avec toutes les cartes en main, ce qui, sur des sujets aussi complexes, n’est vraiment pas évident et demande un travail considérable. En outre, il me semble que, si nous voulons rester fidèles au mandat des communistes concernant l’ordre du jour, nous devons rester concentrés sur la raison d’être de ce congrès, qui n’est pas programmatique : communistes, qui êtes-vous, que voulez-vous, comment procédez-vous ?

« Nous devons rester concentrés sur la raison d’être de ce congrès, qui n’est pas programmatique : communistes, qui êtes-vous, que voulez-vous, comment procédez-vous ? »

Sur ce plan, les discussions se sont concentrées sur les enjeux stratégiques, le bilan, les directions, les nouvelles propositions en la matière… L’actualité de la question communiste stricto sensu a pu également faire l’objet d’appréciations différentes, tout comme la question de classe.
Mais retenir de ce conseil national, comme le fait la question, les seuls désaccords qui persistent au temps t, est très réducteur : le texte a considérablement évolué par rapport à la première mouture ; il a intégré beaucoup des demandes du conseil national et il a finalement été adopté par par près de 60 % des votants – avec, il est vrai, une forte part d’abstention ; beaucoup de travail reste à abattre.

Comment est structuré le projet de base commune ? Pour quelles raisons ?
Le projet de base commune voté par le conseil national suit d’abord les questions mises en avant par les communistes dans la démarche qui a présidé au lancement du processus de congrès. Il est organisé autour de trois grandes parties : la première porte sur notre conception communiste, ses contours, son actualité concrète dans notre monde de furieuse folie capitaliste ; la deuxième, sur les options stratégiques, centrées sur la mise en mouvement populaire consciente ; la troisième sur les changements que cela implique à l’intérieur du Parti communiste lui-même – et il y a là de nombreuses propositions. Je me répète mais je crois que si nous parvenons vraiment à répondre de convaincante façon aux questions « Communistes, qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? Comment procédez-vous ? », nous aurons fait un congrès très utile, permettant d’affronter la période avec force et pertinence.

« Notre unité est un bien extrêmement précieux et il est de la responsabilité collective d’œuvrer à la préserver. »

Au plan formel, il faut dire le souci qui a animé la commission : produire un projet de base commune qui permette effectivement la délibération et la décision des communistes. Nous avons ainsi fait primer la clarté sur l’élégance du style : le texte est structuré en quarante-huit thèses qui affirment, chacune, une position. Le travail d’amendement, de discussion doit s’en trouver facilité. A également été essayé de proposer un texte ramassé, avec ce même objectif de permettre concrètement l’appropriation du texte par le grand nombre des communistes ; au fil des nombreux amendements, nous ne sommes pas parvenus à maintenir jusqu’au bout cette exigence mais le texte reste tout de même un tiers plus court que la moyenne de ses prédécesseurs.
Le fond est là : le Parti communiste a de l’avenir si celui-ci est écrit par le grand nombre des communistes. Tout ce qui permet, à tous niveaux, de mettre dans le congrès le grand nombre de communistes doit être mis en œuvre. C’est le sens de cette base commune dont il faut rappeler que le nom statutaire complet est, précisément, « base commune de discussion ».

Des encarts « En débat » ont été introduits dans le texte. Que signifient-ils concrètement pour l’organisation des débats des communistes ?
Le texte que le congrès national adoptera ne contiendra pas d’encarts « En débat » mais la position, sous forme de thèse, qui sera celle des communistes. Ces encarts ont été créés dans le cadre de la discussion du conseil national. Nous le savons, une des grandes forces du Parti communiste, c’est le nombre : notre unité est un bien extrêmement précieux et il est de la responsabilité collective d’œuvrer à la préserver. Or, sur trois points en particulier, le projet de base commune avance des propositions qui, en l’état, ne rallient pas l’ensemble des membres du conseil national : le bilan (thèse 29), l’option stratégique « Vers un nouveau front social et politique » (thèse 32) et la question des directions (thèse 48). Il s’agissait ainsi de travailler concrètement à l’unité du PCF en prenant en compte les arguments des camarades qui pourraient envisager, à partir de ces désaccords, de proposer des textes alternatifs. Sans sombrer dans les improbables « synthèses » à la façon de François Hollande au PS, l’objectif était à la fois de développer une position (les thèses telles qu’actuellement rédigées) et de donner à lire d’autres manières d’envisager le même problème parmi les communistes, de sorte que ceux développant une version différente ne soient pas « obligés » de produire un texte alternatif.

« L’humanité et notre planète n’ont pas les moyens de tenir un ou deux siècles sous la férule de l’étroite classe possédante qui saccage tout, toutes et tous. »

On reste aussi pleinement dans l’esprit de démocratie de ce congrès : les communistes doivent décider en ayant toutes les cartes en mains. C’est ce à quoi contribuent ces encarts qui indiquent la palette d’arguments en présence qui peuvent être développés et aboutir à d’autres conclusions. Nous avons rejeté l’option de proposer des « thèses alternatives » qui réduisaient les communistes à choisir entre des positions déjà établies sans leur intervention, à la façon de « motions » chères à d’autres partis politiques.
Aux communistes de débattre et d’élaborer, en toute souveraineté créatrice.

« Le libre développement de la personne humaine, dans toutes ses dimensions, est à l’ordre du jour. »

En quelques mots, quel sens le texte donne-t-il au rôle du PCF et au combat communiste d’aujourd’hui ?
Le texte dit haut l’actualité, l’urgence du dépassement du capitalisme. De ce point de vue, le titre est clair : « Le communisme est la question du XXIe siècle ». Vu de loin, pour certains, il pourra prêter à sourire. Bien sûr, il ne s’agit pas de dire que le communisme est, en tant que tel et selon cette terminologie, la préoccupation première et obsessionnelle de dizaines de millions de Français, de milliards d’habitants sur la Terre. Il ne s’agit pas davantage de dire que, mécaniquement et spontanément, le communisme s’apprête à triompher d’un capitalisme sur le point de s’effondrer. Non. En revanche, il s’agit d’ouvrir grand les yeux sur la dynamique actuelle du capitalisme et de notre monde : l’humanité et notre planète n’ont pas les moyens de tenir un ou deux siècles sous la férule de l’étroite classe possédante qui saccage tout, toutes et tous – avec des moyens chaque jour plus redoutables – pour son profit égoïste. Il faut mesurer l’accélération des phénomènes à l’œuvre. Le caractère de frein au développement et de danger vital pour l’humanité et la planète que revêt le capitalisme prend une dimension tout à fait neuve. Changer de cap et changer de pilote deviennent des enjeux de première urgence et il serait erroné de sous-estimer la large conscience de l’impasse, les recher­ches tâtonnantes d’alternatives. Le libre développement de la personne humaine, dans toutes ses dimensions, est à l’ordre du jour. Les forces et les savoirs acquis par l’humanité le permettent comme jamais. Ils le permettent mais ils ne l’impliquent pas mécaniquement : capitalistes et réaction­naires de toute farine se déchaînent au contraire pour maintenir leur domination – Emmanuel Macron ne jouant pas les seconds couteaux dans ces basses œuvres.Si les communistes se gardent des postures et enfourchent ce congrès avec esprit d’audace, de sérieux et de fraternité, ils peuvent contribuer puissamment à relever le défi communiste, le défi du siècle. l

Cause commune n° 6 - juillet/août 2018