Par

Pour Cause commune, Pierre Lacaze, chargé du secteur élections au sein de la direction nationale du PCF, analyse la séquence des élections européennes et la situation politique qui en résulte. Il résume l’orientation que les communistes entendent suivre en vue des municipales et insiste sur les batailles concrètes à mener pour mettre en échec la politique du gouvernement d’ici là, à commencer par le dossier de la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP).

Après une campagne remarquée, le score de la liste conduite par Ian Brossat a déçu. Quelle analyse faites-vous de ce résultat ?
Le PCF, ses candidats et ses militants et de nombreux électeurs, et même des abstentionnistes, sont affectés par un résultat qui n’est pas à la hauteur de ce que nous représentons et de ce que nous avons ressenti comme intérêt et sympathie pour notre liste pendant la campagne. L’absence de députés européens communistes est une mauvaise nouvelle pour le monde du travail et pour les progressistes. Le constat de l’affaiblissement du PCF, de son effacement depuis douze ans a été analysé lors du congrès du PCF en novembre 2018. Les communistes ont décidé de renverser les choses mais cela ne se fait pas en trois mois. Nous réalisons moins de 3 % et 565 000 voix, c’est effectivement en dessous de notre objectif initial. C’était la première fois depuis 2007 que le PCF se présentait sous son nom à une élection où la circonscription était l’ensemble du territoire national. Il est difficile de comparer cette élection, ville par ville, territoire par territoire. Impossible de le faire avec les élections européennes passées, sous l’étiquette Front de gauche, avec des circonscriptions régionales. La référence pourrait être les 1,93 % recueillis par Marie-George Buffet lors de la présidentielle de 20O7 ou les législatives de 2017 avec moins de 3 %. Si l’on analyse les européennes et les législatives de 2017, la sanction est plus lourde pour beaucoup de forces politiques, Les Républicains et la France insoumise perdent plus de la moitié de leurs électeurs et divisent quasiment par deux leurs scores. Le Parti socialiste a perdu plus de 20 % de ses électeurs ; Benoît Hamon, ex-candidat à la présidentielle, n’est qu’à 3 %. La République en marche perd 3 millions de voix et 5 %. Europe écologie les verts et le Rassemblement national connaissent, quant à eux, une forte progression.

« Ces élections européennes s’inscrivent dans un mouvement de recomposition profonde et accélérée du paysage politique de notre pays. »

En Europe, quelles que soient les configurations, les mouvements progressistes ou les partis communistes sont en difficulté ; il y a un contexte mondial. Nous n’avons pas su résister au duel entre LREM et RN, mis en place par le pouvoir et relayé par les média, et faire entendre nos propositions à gauche où une grande partie de l’électorat s’est abstenue, notamment chez les jeunes et les femmes. Un vote s’est déterminé pour EELV dans le cadre des mobilisations climat, de la médiatisation des enjeux écologiques.

Au-delà du score, le constat est positif dans tous les territoires où les communistes ont engagé la discussion. C’est notre capacité à intéresser à nouveau, à susciter un regard positif neuf sur le parti communiste qui a marqué les camarades. Ian Brossat a su incarner avec l’ensemble des candidates et candidats de la liste cette dynamique nouvelle du PCF, décidée au congrès de novembre.
Nous devons mesurer les acquis de cette campagne et la réalité des difficultés du combat politique, pour que le PCF retrouve une place importante dans notre pays. Personne ne nous fera de cadeaux. Nous avons gagné près de 200 000 voix par rapport à 2017 mais nous en avons perdu autant. 40 % de nos concitoyens se déclarant proches du parti n’ont pas voté, d’autres n’identifient plus le vote PCF. Nous avons donc encore beaucoup de travail pour améliorer nos résultats.

Plus largement quels enseignements tirez-vous de ce scrutin ?
D’abord la question de la participation. Des pans entiers de la population ne se sont pas sentis concernés par ce vote, notamment les catégories populaires ou précaires qui ont, pourtant, intérêt à un changement de société. La perte de repères politiques de nombreux électeurs, leur volatilité. Les fractures sociologiques et territoriales de notre pays, un vote opposé entre le rural et l’urbain. Avec une abstention à 49,88 %, ces élections européennes retrouvent un niveau de participation inégalé. Pour la première fois de l’histoire électorale française, un scrutin atteint un niveau de participation supérieur au premier tour des élections législatives le précédant. Il y a donc eu un sursaut de mobilisation, qui n’a pas été en notre faveur. 68 % des 18-24 ans, 70 % des 25-34 ans se sont abstenus, alors que la participation des plus de 65 ans culmine à 69 %. On a constaté une surparticipation des retraités, des cadres, des foyers gagnant plus de 3 000 euros par rapport aux ouvriers, aux chômeurs et aux plus pauvres. 42 % des électeurs se sont décidés dans la semaine précédant le vote, dont 20 % le jour même. Ce taux monte à 69 % pour ceux qui ont déposé un bulletin EELV dans l’urne.

Un poids des média et des sondages toujours considérable, qui a pris un tournant : les sondages imposent les règles du débat médiatique ; l’équité et l’égalité vis-à-vis des candidats sont volontairement bafouées. Le PCF va d’ailleurs mesurer concrètement ce poids des média. C’est seulement après le débat d’avril sur France 2 – obtenu grâce au soutien militant – au cours duquel Ian Brossat se révèle que nous arrivons à mettre en campagne la grande majorité des communistes et au-delà de nos rangs ; nous sommes alors à 4 % dans les sondages. Quatre mois de campagne, c’est trop court face au mépris des média pour une formation comme la nôtre qui doit reconquérir un espace politique. La dernière semaine sera flagrante, on nous range avec les petits candidats et même sur le temps de parole officiel nous sommes maltraités.
Sur les thèmes de campagne nous n’avons pas su convaincre les ouvriers et les employés qui s’abstiennent très majoritairement et qui ne votent plus pour nous. Il y a là un véritable enjeu ; nous devons mieux cibler une partie du corps électoral, ce monde du travail dans sa diversité pour qui nous devons incarner une perspective d’avenir. Si quantitativement nous ne sommes pas à la hauteur, qualitativement nous avons renoué les liens avec de nombreux syndicalistes. Ces élections européennes s’inscrivent dans un mouvement de recomposition profonde et accélérée du paysage politique de notre pays. Paysage dans lequel le PCF s’est réinscrit et est repéré, même affaibli, comme un des acteurs de la reconstruction à gauche.

Comment le PCF compte-t-il agir dans la période ? Il s’engage sur de multiples sujets (retraite, école, ADP...). Quels sont ses objectifs prioritaires ?
Nous voulons discuter de la mise en échec des politiques du gouvernement avec toutes les forces de gauche. Nous voulons construire des luttes qui gagnent, passer de la résistance aux victoires. C’est dans ce cadre que nous travaillons partout au rassemblement le plus large. Nous voulons débattre d’un projet de société sur la question de la retraite et de l’assurance chômage. Et nous proposons d’aborder ces réformes en défendant l’objectif d’une Sécurité sociale du XXIe siècle, d’un autre système de retraites, solidaire et juste.

« Nous en appelons à l’implication de toutes et de tous dans une démarche populaire de l’union. »

La mise en échec du projet de privatisation d’Aéroports de Paris est l’enjeu du moment, qui soulève la question de tous les biens communs. Nos groupes parlementaires au Sénat et à l’Assemblée nationale ont été à l’initiative d’un premier meeting national qui s’est tenu à Saint-Denis. Nous voulons cet été porter le débat au-delà de la région parisienne en lien avec d’autres batailles locales, avec au cœur de nos propositions la maîtrise publique pour répondre aux besoins sociaux et écologiques.
Sur la santé, l’école, contre les licenciements et la vie chère, en lien avec les enjeux de la transition écologique, nous voulons être de toutes les luttes pour ne rien lâcher durant cet été et à la rentrée avec notre université d’été et la fête de l’Humanité.

Que signifie « l’union populaire » pour laquelle vous lancez un appel ?
Nous considérons que la situation imposait une initiative politique. Il est pour nous impensable que les forces politiques de gauche se regardent le nombril, s’occupent de leurs propres problèmes sans mesurer le danger qui nous menace tous. Notre appel est, premièrement, le constat que toute la gauche est aujourd’hui en grande difficulté, dans l’incapacité d’offrir une alternative ou ne serait-ce que de reprendre l’initiative face à Macron, ou encore d’empêcher le Rassemblement national de capter l’exaspération populaire. Nous ne voulons pas nous contenter des discussions de sommet, mais construire dans la proximité, et poser la question de l’alternative politique, au-delà des forces politiques de gauche et écologistes, aux forces syndicales et associatives. Sur la question des luttes, il est possible de constituer localement des assemblées populaires pour permettre aux citoyens de s’en mêler. Une démarche qui vise à porter ensemble des propositions. Nous avons les nôtres, élaborées lors du mouvement des gilets jaunes : « Dix propositions pour la France ». Nous en appelons à l’implication de toutes et de tous dans une démarche populaire de l’union. Notre objectif est de faire émerger un projet partagé issu des luttes, porteur d’initiatives et favorisant le rassemblement.

Comment abordez-vous l’échéance municipale dans les mairies dirigées par des communistes ou apparentés ?
Les milliers d’élues et d’élus communistes constituent un apport considérable pour les populations. Près de trois millions d’hommes et de femmes vivent dans les centaines de mairies dirigées par un ou une maire communiste. Et, au-delà des mairies d’union de la gauche ou de rassemblement citoyen où notre parti est majoritaire, nous occupons des postes de responsabilité, de gestion commune, dans des milliers d’autres villes ou villages. Dans d’autres communes, nos élus sont dans l’opposition et agissent avec les populations. Nos élus ont un savoir-faire, une expérience, un rôle moteur depuis toujours dans la démocratie municipale. Ils sont reconnus dans leurs actions pour retisser du lien social et culturel avec les associations, pour lutter contre toutes les discriminations et développer l’égalité des droits, pour construire avec les habitants les innovations sociales, écologiques et démocratiques.
C’est dans une démarche citoyenne, dans un dialogue fort avec les populations, à partir du projet, que nous voulons dans nos villes reconduire des majorités de progrès. Nous devons intégrer le bouleversement politique en milieu rural et urbain, la capacité de conquête du RN, et dans les grandes villes la volonté d’Emmanuel Macron de marquer des points. Il faudra créer les conditions de les battre. Il s’agit de donner tout son sens au projet municipal, adossé à l’affirmation de valeurs, pour rassembler le plus grand nombre d’hommes et de femmes engagés dans l’intérêt général.
Nous voulons construire partout, notamment dans les grandes villes où le contexte national pèsera plus, nos listes en portant le clivage gauche/droite sur la base d’un projet, d’un bilan, de candidats ancrés dans les luttes et la vie des quartiers.

Quels sont les enjeux ?
Le premier enjeu est la commune elle-même et la démocratie municipale. Celle-ci est attaquée institutionnellement. De profonds bouleversements sont en cours autour des villes nouvelles, des intercommunalités et du transfert des compétences, de l’asphyxie budgétaire par la contractualisation et le désengagement de l’État. Nous de­vons faire face à une aggravation de la remise en cause de la commune et de sa libre administration avec, en arrière-plan, la volonté d’empêcher toute politique solidaire de progrès social et de développement des services publics. Nous allons partout mener campagne pour soutenir la commune comme pivot de la République. La commune, c’est le cœur battant de la vie démocratique de notre pays.

« Nous devons mesurer les acquis de cette campagne et la réalité des difficultés du combat politique, pour que le PCF retrouve une place importante dans notre pays. »

Nous ne négligeons pas pour autant le projet intercommunal ou le fait métropolitain. Nous préparons les municipales et nous travaillons en même temps la question de l’intercommunalité dans les projets et sur les enjeux de pouvoirs et de responsabilités à occuper. Nous devons prendre toute notre place dans les métropoles et les intercommunalités pour défendre une conception de projets choisis, de développement de tous les territoires a contrario de la recentralisation forcée imposée par l’État et des fractures territoriales qui s’installent.

Comment articuler message communiste et rassemblement ?
Partout dans le pays, les communistes et leurs élus ont d’ores et déjà initié de premiers rassemblements citoyens. Rencontres thématiques et coopératives pour l’élaboration collective de projets avec les habitantes et les habitants, collectifs de campagne ouverts, candidatures à l’image de la diversité de nos communes, observatoire des engagements sont autant d’outils pour engager cette démar­che. Il n’y a pas d’antagonisme, comme l’ont décidé les communistes lors de leur congrès, à conjuguer identité communiste et rassemblement. C’est même dans l’ADN des communistes que de construire des rassemblements, notamment aux municipales. Nous ne dissocions pas la question de rassemblement citoyen de l’identité du PCF.

Quelles sont les perspectives de gagne ?
Nous voulons gagner des élus partout, dans tous les territoires, notamment dans le milieu rural, où nous devons faire face au découragement des possibles candidats et candidates face aux con­train­tes liées à la fonction d’élu, compte tenu des difficultés grandissantes des populations. Le moment particulier que nous vivons appelle un sursaut démocratique de notre part. Ces élections municipales sont déterminantes pour nous. Elles vont précéder d’un an les élections départementales et régionales, de quelques mois les élections sénatoriales dans la moitié des départements et la précampagne présidentielle. Il faut donc s’en mêler avec détermination et ambition.
Dans nos villes, les échos sont bons. Cela s’explique par le bilan et l’appréciation de nos élus, mais nous sommes en danger si le plus grand nombre ne s’en mêle pas. Il faut déployer notre force militante car une élection n’est jamais gagnée d’avance. Il y aura des bouleversements certainement d’ici neuf mois, peut-être de nombreuses triangulaires ou quadrangulaires. La division de la droite peut aider à reconquérir certaines villes et nous invitons les forces politiques de gauche à y travailler plutôt que de chercher à s’affronter.
Les victoires de demain se décident aujourd’hui, dans les trois à cinq mois qui viennent. Tous les dirigeants du parti, nos élus dans l’ANECR qui tiendra son congrès en octobre, travaillent à gagner de nouveaux points d’appui pour notre peuple.

Cause commune n° 12 • juillet/août 2019