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Albane Gellé est née à Guérande en 1971, et vit aujourd’hui dans une petite commune à côté de Saumur. Elle se définit comme une personne « qui vit entre la Loire et la forêt, en compagnie des chevaux », et souvent « handicapée de la parole ».
Après des études de lettres modernes, elle cofonde à Saumur en 2006 l’association Littérature et poétiques, devenue Maison des littératures. Elle organise dans ce cadre et d’autres des événements autour de la poésie. Elle anime pendant plusieurs années des ateliers d’écriture auprès de publics variés. Elle intervient aujourd’hui pour des lectures, formations et manifestations autour de la poésie. Elle a publié une vingtaine de recueils et reçu en 2003 le prix des Découvreurs pour L’Air libre (Le Dé bleu, 2002). Des publications récentes, comme Cher animal (La Rumeur libre, 2019) témoignent de son intérêt passionné pour les animaux, les chevaux en particulier, qu’elle élève et dont elle vit aussi.
Sa poésie est nourrie de souvenirs d’enfance et de petits morceaux de vie captés autour d’elle avec l’exigence, précise-t-elle, de « tenir l’équilibre entre l’intime et l’universel ». Dans une prose apparemment simple et spontanée, en fait celle d’une « spontanéité savante », selon un autre poète, Ludovic Degroote, elle nous fait part d’un étonnement inquiet devant la vie et ses accidents. Elle dit de manière retenue, sans apitoiement, la difficulté de se confronter aux autres, à leur bruit, d’y trouver sa place avec ses mots, de survivre et « tenir debout », dans cet espace mouvant, incertain, qui nous entoure, contre la tentation d’abandonner, de courber l’échine. Tenir debout aussi à braver passé et présent pour en faire de la poésie.

Katherine L. Battaiellie

 

le fleuve une fracture impossible pour la
terre de cicatriser il faudrait tout vider et
les hommes leurs blessures ça recommencerait
quelque chose dans l’immobilité des
choses contre quoi on vient buter heu
reusement parce que ce serait un beau
désordre si tout se mettait à bouger ça
suffit bien
on voudrait être efficace ne pas perdre le
nord ni son temps que les enfants pous
sent bien qu’il arrête de pleuvoir et notre
confusion des sentiments on en fait quoi

Aucun silence bien sûr, Le Dé bleu , 2002

 

trop de visages de bruit dans les visages
trop de bouches ouvertes à en crever trop
de regards au dehors trop de musique de
gestes trop de fumée dans les voix trop de
visages oui trop de corps trop
Il y en a ils ne relèvent pas la tête ils per
dent l’habitude de rire ils se recroque
villent tout petit on a beau dire on a beau
faire ils laissent tomber leurs yeux par terre

L’Air libre, Le Dé bleu, 2002

 

Tenir en respect monstres
épines malgré nos tailles
minuscules boiteries pan-
sements chaque coin de rue
les jambes en attendant debout.
Tenir chapelle de nos secrets
nos embarras à tout bout
de champ armoires en bois
et poids massifs à trim-
baller courbés debout.
Tenir la mer bâbord tribord
de plein fouet les deux côtés
de l’horizon font plusieurs
vagues dans le ventre terres
disparues bateau huis clos
entre des hommes sans leurs
mères vigilants seuls pas
consolés de dos debout.

Si je suis de ce monde, Cheyne, 2012

Cause commune n° 18 • juillet/août 2020