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Entretien avec Jean-Marc Tellier

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Nouveau député du Pas-de-Calais, Jean-Marc Tellier, revient sur sa victoire remportée face au Rassemblement national dans un bassin minier, abandonné par l’État, et sur ses engagements communistes.

Propos recueillis par Nicolas Tardits

Après votre élection et cette très belle victoire législative dans la 3e circonscription du Pas-de-Calais, dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Combatif et sur le terrain. Rien n’est acquis. Nous avons repris la circonscription au Rassemblement national (RN) et avons bataillé avec acharnement. Avec mes camarades, nous continuons à arpenter la circonscription à la rencontre des citoyennes et citoyens notamment sur les questions du pouvoir d’achat et des prix du carburant. C’est un lien que je m’attacherai à garder avec la population tout au long du mandat.

En quelques mots, pouvez-vous présenter à nos lecteurs votre parcours ? Quelle est la matrice de votre engagement communiste ?
Mon père était mineur et ma mère femme au foyer. Je suis le dernier d’une fratrie de sept. On habitait le coron à côté de la fosse. C’est là que je me suis forgé. Engagé au Parti communiste français et aux Pionniers de France (mouvement d’éducation populaire) depuis toujours, j’ai été élu maire d’Avion en 2009 puis conseiller général du Pas-de-Calais en 2011, pour enfin devenir député en juin dernier. Je me suis toujours battu en faveur de nos services publics et contre la précarité. Je crois en l’éducation populaire, c’est le moteur de mon engagement.

Entre le renforcement de la gauche à l’Assemblée nationale et l’émergence sans précédent de l’extrême droite dans l’Hémicycle, quels enseignements tirez-vous de la séquence politique que nous avons vécue ?
Cette séquence inédite n’est pas encore terminée et il est difficile aujourd’hui de deviner où elle nous mènera. Tout est possible. L’Assemblée devrait retrouver pleinement son rôle. Les prochaines semaines seront cruciales et nous indiqueront où chacun se situe.

« Il faut réunir les conditions d’un sursaut démocratique et d’une convergence des luttes dans les entreprises. »

Emmanuel Macron, qui perd sa majorité, va devoir composer avec d’autres forces politiques. Le début de ce mandat semble nous faire penser qu’il va, une fois n’est pas coutume, pencher vers la droite et les élus LR, notamment pour faire passer ses réformes les plus dures.
Il pourrait aussi s’appuyer sur l’extrême droite très renforcée lors de ces élections législatives, en continuant sa dédiabolisation. Même si la Première ministre Élisabeth Borne a indiqué, lors de la première séance de questions au gouvernement, qu’il n’y aurait aucune convergence avec l’extrême droite, nous devons rester vigilants. Le RN pourrait se servir de ce flou pour définitivement briser le plafond de verre.
Notre coalition, quant à elle, a la lourde responsabilité de recréer de l’espoir et de se battre pour qu’enfin, de nouveau, nous puissions gouverner et rendre la vie de nos concitoyens meilleure. C’est possible. Tout est possible, le meilleur comme le pire. C’est l’enseignement que je tire du début de cette séquence inédite.

Au second tour, vous avez réussi à battre un candidat du Rassemblement national. Mais sur cinquante-neuf circonscriptions opposant la NUPES et l’extrême droite, la gauche ne s’est imposée que vingt-six fois. Comment la gauche peut-elle faire face à l’expansion des idées xénophobes et nationalistes ?
Mes camarades et moi sommes très fiers d’avoir remporté les élections législatives dans la 3e circonscription du Pas-de-Calais, qui était jusqu’alors aux mains du RN. Cette victoire prouve que l’expansion des idées xénophobes et nationalistes n’est pas une fatalité et que nous pouvons déloger les élus d’extrême droite. Il n’y a pas de fief. Ce n’est pas pour autant un combat simple et nous ne voulons pas être des exemples. Notre victoire est fragile. Tout reste à faire. L’arrivée de quatre-vingt-neuf députés RN dans l’Hémicycle, une première dans la Ve République, en est la preuve.
Le front républicain a volé en éclats. Alors que la gauche s’est toujours mobilisée depuis le second tour de la présidentielle de 2002 pour faire élire un candidat républicain face à l’extrême droite. Dans la 3e circonscription du Pas-de-Calais, si le report des voix s’était fait, nous aurions gagné très largement.

« Concernant les carburants, avec Fabien Roussel, nous avons déposé une proposition de loi, dès le mois de juillet, pour que les prix soient bloqués à la baisse et pour que les profits des multinationales de l’énergie soient mis à contribution. »

La gauche a eu tort de croire qu'elle pouvait se reposer sur le front républicain. Il faut reconquérir le cœur de nos électeurs, ceux qui aujourd’hui s’abstiennent ou, pire, ont fait le choix malheureux de donner leur voix au RN. Là où l’État déserte et abandonne les gens, le ressentiment progresse et il n’y a qu’un vainqueur : l’extrême droite.
Le Rassemblement national continue d’attirer classes populaires et familles modestes qui sont exclues des grandes métropoles et largement affectés par la désindustrialisation, l’abandon des services publics et le chômage. C’est d’abord à toutes ces familles qu’il faut s’adresser.

« J’ai signé un arrêté interdisant les coupures d’énergie dans ma commune [en octobre 2021]. De nombreux maires m’ont suivi. Je compte relayer ce combat à l’Assemblée nationale. Qu’il n’y ait plus aucune coupure en France ! »

La gauche doit se battre sur le terrain et faire des propositions heureuses et concrètes, « revendiquer le droit au bonheur pour tous », comme le dit si bien Fabien Roussel. Il faut recréer de l’espoir chez nos concitoyens alors que le RN, lui, préfère attiser leur colère.
Il est nécessaire de promouvoir tous les projets d’éducation populaire afin de redévelopper la culture politique dans nos quartiers. Le RN a trop facilement été banalisé. Beaucoup ont oublié son histoire. Il est de notre responsabilité de la rappeler, de stopper son processus de dédiabolisation et d’améliorer notre argumentaire. Le RN n’a pas changé, mais il a muté et nous le combattons comme il y a vingt ans.

Vous avez déclaré que votre victoire s’est gagnée voix par voix, à la faveur d’un travail de terrain acharné. Quels seront la place et le rôle des militants dans les batailles politiques qui s’annoncent, notamment contre le RN ?
Contrairement à nous, le RN n’a pas besoin de faire campagne sur le terrain pour gagner des élections. Malheureusement, il est partout dans les médias de masse. Il suffit qu’un parfait inconnu, parachuté, se présente sur une affiche avec Marine Le Pen pour récolter un maximum de voix.
Nous, nous sommes souvent exclus du débat public. Une partie des médias parle de nous vraiment quand ils sont obligés. Même si, de ce point de vue, on note une amélioration avec Fabien Roussel, qui a su s’imposer. Il faut s’imposer plus encore.
Alors, comme je l’ai dit, nos victoires ne peuvent se gagner qu’avec un travail acharné sur le terrain. Ce que nous avons toujours fait. On n’a rien lâché.
Lors des élections législatives, les militants communistes, socialistes, d’EELV et les insoumis (la NUPES) ont fait campagne jusqu’au bout. Sur le terrain, devant les entreprises, dans nos quartiers, sur les marchés, dans nos familles, dans nos communes.

« Là où l’État déserte et abandonne les gens, le ressentiment progresse et il n’y a qu’un vainqueur : l’extrême droite. »

Pour partager nos idées et convaincre les électrices et les électeurs, les réseaux sociaux ne suffiront pas si l'on veut créer créer du lien avec eux. La place des militants est centrale. Sans eux, les élus sont démunis. On doit pouvoir leur donner les moyens politiques de combattre les idées du RN sur le terrain. J’insiste, il faut développer notre argumentaire et former nos militants pour qu’ils puissent à leur tour convaincre les électeurs.

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L’abstention aux élections présidentielle et législatives demeure extrêmement forte. Dans votre circonscription, elle s’élevait à plus de 58,33 % soit cinq points au-dessus de la moyenne nationale. Comment analysez-vous cette fracture entre les citoyens et leurs représentants ?
Dans notre bassin minier, les crises économiques, la crise de la covid-19 et la désindustrialisation se traduisent par un chômage de masse. Notre territoire est fortement touché par la pauvreté. Des situations sociales difficiles génèrent colère et frustration, ce qui favorise, à mon avis, le vote en faveur de l’extrême droite, mais aussi fortement l’abstention. Mes concitoyens se sentent abandonnés par l’État et sont en colère contre les politiques libérales qui nous gouvernent depuis trop longtemps. Ils sont très inquiets pour leur avenir.

« Il faut reconquérir le cœur de nos électeurs, ceux qui aujourd’hui s’abstiennent ou, pire, qui ont fait le choix malheureux de donner leur voix au RN. »

Emmanuel Macron et sa majorité n’ont pas pris en compte cette colère et sont responsables de l’explosion de l’abstention, surtout dans les territoires affectés par la grande précarité. « À quoi bon aller voter ? Rien ne change ! C’est même pire ! » me disent celles et ceux que je rencontre tous les jours. L’abstention dans ma circonscription aurait d’ailleurs pu être pire, mais le fait d’être un élu de proximité a limité la casse.
Alors, au-delà de la proximité, quelles solutions ? Après les élections législatives, le président de la République avait la possibilité de dire qu’il comprenait les Français. Il avait la possibilité de revenir en arrière sur ses projets les plus injustes comme la réforme des retraites avec le recul de l’âge de départ à 65 ans. Ce qu’il n’a pas fait. Il faut alors plus que jamais combattre les politiques libérales et discuter avec nos concitoyennes et concitoyens. Il faut réinventer nos modes d’action, être sur le terrain, ne plus se contenter du porte-à-porte. Il faut réunir les conditions d’un sursaut démocratique et d’une convergence des luttes dans les entreprises.

C’est aussi pour vous un premier mandat de député, quel sera le premier dossier sur lequel vous allez travailler ?
La flambée des prix de l’énergie et des carburants ne permet plus à beaucoup de nos familles de vivre normalement. Depuis plusieurs années, je me bats sur cette question, et notamment sur les coupures d’électricité et de gaz chez nos concitoyens les plus fragiles. J’ai connu des familles en difficulté, avec des enfants en très bas âge, plongées dans le noir et sans chauffage ! Il y a même des fournisseurs privés qui ne préviennent pas les services sociaux de nos communes avant de couper chauffage et électricité et qui se gardent bien de trouver des solutions : l’humain n’existe plus et tout est une question d’argent.
Alors j’ai pris les devants. J’ai signé un arrêté interdisant les coupures d’énergie dans ma commune [en octobre 2021]. De nombreux maires m’ont suivi. Ce combat a été médiatisé nationalement et je compte de nouveau le relayer à l’Assemblée nationale. Je vais me battre pour qu’il n’y ait plus aucune coupure en France.

« Le RN n’a pas changé, mais il a muté et nous le combattons comme il y a vingt ans. »

Concernant les carburants, avec Fabien Roussel, nous avons déposé une proposition de loi, dès le mois de juillet, pour que les prix soient bloqués à la baisse et pour que les profits des multinationales de l’énergie soient mis à contribution.

Quel rôle souhaitez-vous prendre dans le groupe parlementaire renforcé de la Gauche démocrate et républicaine ?
Il y a beaucoup trop d’inégalités territoriales en France. En ce qui me concerne, né à Liévin et fils de mineur, je souhaite remonter au groupe et au Parlement toutes les problématiques liées au bassin minier et partir de la réalité de nos concitoyens, celles et ceux que je rencontre tous les jours à Avion et dans mon département du Pas-de-Calais, pour coconstruire et coécrire des propositions de loi qui seront utiles à tous. Je souhaite être le porte-voix des élus de ma circonscription et de mon département dans l’hémicycle, notamment sur les questions liées à l’engagement pour le renouveau du bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais (Erbm), et leur consacrer tout le temps nécessaire.
La population du bassin minier (1 200 000 habitants, soit plus de 20 % de la population des Hauts-de-France) a une longue histoire de sacrifices au service de notre pays. C’est près de trois cents ans d’exploitation minière et de création de richesses qui ont permis à la France de se développer. Pourtant, en retour, c’est le sentiment d’avoir été abandonné par les pouvoirs publics qui prédomine. Ce sentiment d’abandon est d’ailleurs partagé par de nombreux territoires de notre pays, notamment les départements d’outre-mer.
Aujourd’hui, dans le bassin minier, les conséquences des crises économiques successives et de la crise sanitaire sont catastrophiques. Le taux moyen des travailleurs privés d’emploi est supérieur à la moyenne régionale et plus de dix points supérieur à la moyenne nationale ! Cette précarité se traduit par une pauvreté très importante et une espérance de vie inférieure par rapport à celle d’un Francilien !

Face à une Assemblée particulièrement hétérogène et à l’absence de majorité présidentielle, pensez-vous que le parlement sera davantage pris en compte durant ce quinquennat ?
Effectivement, le rapport de force change. Avec l’affaiblissement de la majorité libérale, le gouvernement va devoir faire des choix et des compromis. Les premières semaines à l’Assemblée montrent et prouvent déjà un changement de méthode. Quelques amendements de notre groupe, à l’occasion du projet de loi sur le pouvoir d’achat, ont été votés, même si cela reste très marginal.
Alors que l’Assemblée était considérée par la majorité, lors du dernier mandat, plutôt comme une chambre d’enregistrement, aujourd’hui, le débat parlementaire devrait reprendre toute sa place dans le débat public. Mais soyons prudents. Les compromis semblent se diriger plus vers la droite. Il faudra se battre pour imposer des vraies mesures sociales et pas des mesurettes.

Comment les députés communistes vont-ils s’impliquer dans ces batailles à venir ?
La rentrée politique a déjà eu lieu et le mandat a commencé sur les chapeaux de roue. Avec mes collègues du groupe GDR, nous sommes au cœur de l’action, prêts à défendre les intérêts de toutes et tous. Plusieurs propositions de loi sont sur la table.
Malgré sa majorité relative, le gouvernement ne lâchera rien sur ses réformes les plus injustes et les plus dures, comme celle des retraites. Le président a bien annoncé la couleur lors de son interview du 14 Juillet. Ils continueront à gérer le pays dans une logique strictement comptable, laissant beaucoup de nos concitoyens sur le côté.
Il ne faut jamais désespérer. Nous, parlementaires communistes et du groupe GDR, resterons déterminés et saurons répondre. Nous serons attentifs au monde du travail et à ses aspirations !

Cause commune30 • septembre/octobre 2022