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Comment caractériser la crise liée au coronavirus? Que révèle-t-elle ? Quelle est son incidence sur les combats menés par le Parti communiste français? Igor Zamichiei, coordinateur du comité exécutif national et responsable de la vie du parti, trace pour Cause commune, des pistes de réponses.

Quelle est, à grands traits, votre analyse de la situation ?

Cette pandémie est d’abord le témoin d’une histoire sans fin et non de la fin de l’histoire, dont rêvent les capitalistes ou les collapsologues. Une histoire qui s’accélère avec l’événement. Le temps sanitaire, social, économique, politique ressemble désormais à une course folle. Sur le plan mondial, 2,3 millions de personnes ont déjà été contaminées et 150 000 sont décédées. C’est d’une violence inouïe. Cette crise sanitaire est le catalyseur d’une crise économique, depuis longtemps en gestation, qui fait basculer des millions de personnes dans la pauvreté et la précarité. Les inégalités s’aggravent à un rythme inédit. Des milliards d’êtres humains font face à la même menace, mais n’ont pas les mêmes moyens de s’en protéger.

Parce que nous avons encore peu de recul sur cette pandémie toujours en cours, il est sans doute trop tôt pour en tirer des leçons définitives. Mais, dans ce fracas, une vérité se fait jour : « Rien n’est solitaire, tout est solidaire. » Ces mots sont ceux de Victor Hugo en exil. Quoi de plus juste pour décrire l’interdépendance de notre monde ? Quoi de plus juste aussi pour penser la réponse à la crise ? Alors que des milliards d’êtres humains sont confrontés à une même menace mondiale, la coopération et la solidarité, du local au mondial, devraient être l’horizon de notre action. Et pourtant, sans l’intervention des peuples, tout pourrait continuer comme avant. En pire. Les rois sont nus, mais ils s’accrochent à leurs dogmes capitalistes. Hier, ils ont méprisé le travail scientifique non immédiatement rentable, asséché le financement de la recherche, échouant à nous préparer à la crise. Et aujourd’hui, au cœur de celle-ci, ils continuent de sacrifier la santé des travailleurs pour leurs profits.

«HIER, ILS ONT MÉPRISÉ LE TRAVAIL SCIENTIFIQUE NON IMMÉDIATEMENT RENTABLE, ASSÉCHÉ LE FINANCEMENT DE LA RECHERCHE, ÉCHOUANT À NOUS PRÉPARER À LA CRISE. ET AUJOURD’HUI, AU CŒUR DE CELLE-CI, ILS CONTINUENT DE SACRIFIER LA SANTÉ DES TRAVAILLEURS POUR LEURS PROFITS.»

Oui, jour après jour, le déroulement de la lutte contre la pandémie fait apparaître à quel point le mode de développement capitaliste est un frein pour la stopper. Il faut donc en changer. Car tout vole en éclat. La concurrence, pilier d’un modèle économique efficace ? Elle a mis à terre notre industrie et nos capacités de production pour faire face à la crise. La limitation des dépenses publiques, un choix d’avenir pour les générations futures ? Elle a conduit à la suppression de milliers de lits qui manquent aujourd’hui à nos hôpitaux pour accueillir les malades. Le travail de millions de femmes et d’hommes, un coût insupportable ? Des personnels de santé aux caissières, il apparaît au contraire comme une richesse inestimable pour répondre aux besoins.

Dans ce moment où l’histoire s’accélère, il est utile de rappeler avec Marx que ce sont les peuples qui font l’histoire. Si la conscience de ces enjeux progresse dans la société, c’est une menace terrible pour les profits capitalistes. L’affrontement de classe va s’intensifier. Les capitalistes n’avaient pas prévu un tel événement mais, maintenant qu’il se présente, ne doutons pas de leur volonté de profiter du choc qu’il constitue, de la peur de la population, pour faire progresser leur projet. Voilà pourquoi les communistes sont clairs : pas d’union nationale derrière le capital et ses représentants, de Donald Trump à Emmanuel Macron. Pour en finir le plus rapidement possible avec l’épidémie et préparer l’avenir, le principal enjeu est que le peuple s’empare de ces questions et décide de se mobiliser pour des transformations sociales, écologiques, démocratiques.

La direction du PCF affirme que « l'après » s'invente pendant la crise, qu'est-ce que cela signifie concrètement ?

C’est un point clef de la situation actuelle : les mesures d’urgence à prendre préfigurent des transformations radicales. Prenons trois exemples qui concernent les services publics, l’industrie et l’emploi et la protection sociale.

Le service public de santé, d’abord. Des milliers de lits sont ouverts, des hôpitaux temporaires sont même construits dans les régions les plus touchées, comme on l’a vu en France dans la région Grand-Est, la réserve sanitaire est mobilisée parce que les personnels ne sont pas en nombre suffisant. Ces mesures d’urgence préfigurent le nécessaire renforcement de l’hôpital public avec davantage d’hôpitaux, de lits, de personnels. Ce renforcement permettrait notamment de développer la prévention et de mieux accueillir les malades. Des milliers de vies supplémentaires seraient sauvées chaque année.

«LE DÉROULEMENT DE LA LUTTE CONTRE LA PANDÉMIE FAIT APPARAÎTRE À QUEL POINT LE MODE DE DÉVELOPPEMENT CAPITALISTE EST UN FREIN POUR LA STOPPER.»

L’industrie ensuite. Pour lutter efficacement contre l’épidémie, nous avons besoin de produire dans l’urgence des milliards de masques, du matériel médical, des tests pour dépister la population. Un effort de production a été engagé, mais nos capacités industrielles ne sont pas suffisamment mobilisées et le retard pris ne permettra pas une réponse à la hauteur des besoins. Il en serait tout autrement si cet effort débouchait sur une relocalisation durable de filières industrielles. Ce serait un choix d’avenir pour faire face à de nouvelles crises, un potentiel de nouveaux emplois et un atout majeur pour la transition écologique.

L’emploi et la protection sociale enfin. Pour que des millions de personnes ne basculent pas dans le chômage, le gouvernement a décidé de financer le recours massif au chômage partiel. C’est une mesure trop limitée, car l’indemnisation est à 84 % et le dispositif temporaire. Cependant, imaginons que nous fassions le choix d’une indemnisation à 100 %, associée à un contrat de sécurisation de chaque salarié qui lui permette désormais d’alterner, tout au long de sa vie, périodes d’emploi et de formation. Le chômage serait éradiqué ! Réaliser une telle avancée, ce serait prolonger l’œuvre d’Ambroise Croizat dont la crise nous fait mesurer l’importance. Ce que nous devons viser désormais, c’est une Sécurité sociale universelle, gérée par les travailleuses et les travailleurs pour sécuriser tous les moments de la vie, de la naissance à la mort.

Comme vous le pointez, les dogmes libéraux volent en éclat avec cette crise. Quelle alternative proposez-vous ?

Pour aujourd’hui et pour demain, il faut placer l’humain et la planète au cœur de tous les choix. Faisons vivre dans l’action les changements qui s’imposent. Dès à présent, nous appelons à créer des réseaux de solidarité. Pour prendre soin les uns des autres. Pour veiller à la protection et au respect des droits fondamentaux de chacune et chacun. Pour combattre les inégalités dans cette crise. Pour engager la résistance aux pouvoirs qui nous mettent en danger pour préserver les profits d’une minorité.

Cette crise appelle au dépassement du capitalisme pour une nouvelle civilisation de partage et de coopérations. Alors, ouvrons des espaces numériques, des lieux de rencontre dès que cela sera possible, en rassemblant toutes les citoyennes et tous les citoyens et les forces disponibles. Pour élaborer et mettre en œuvre les solutions les plus efficaces pour mettre un terme à cette épidémie. Pour échanger sur le changement que nous voulons, sur la France que nous voulons construire en commun, sur la société dans laquelle nous voulons vivre. Tout doit être repensé pour une révolution des rapports entre les êtres humains et entre l’être humain et son environnement ! La société doit s’organiser pour décider des nouveaux objectifs sociaux et écologiques qu’elle veut se fixer.

«TOUT DOIT ÊTRE REPENSÉ POUR UNE RÉVOLUTION DES RAPPORTS ENTRE LES ÊTRES HUMAINS ET ENTRE L’ÊTRE HUMAIN ET SON ENVIRONNEMENT !»

J’ai pointé le renforcement des services publics de santé, une protection sociale universelle, la relocalisation de l’industrie, la sécurisation de l’emploi et de la formation. La crise doit également conduire à une action déterminée pour le climat et la biodiversité. Les alertes des scientifiques sur le risque pandémique ont été ignorées. Allons-nous nier aussi les risques liés au réchauffement climatique et à la destruction de la biodiversité, pourtant chaque jour davantage documentés  ? Le climat et les écosystèmes sont à considérer comme des biens communs universels. Notre mode de production et les politiques d’aménagement du territoire doivent être révolutionnés pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre et augmenter la surface des espaces protégés.

Pour atteindre ces objectifs sociaux et écologiques, il faut rompre avec la domination du capital et promouvoir une nouvelle utilisation de l’argent. Jusqu’à quand allons-nous laisser injecter des milliards d’euros dans le système financier sans exiger la maîtrise de l’utilisation de cet argent pour ensuite payer nous-mêmes la crise ? L’heure est à prendre le pouvoir sur l’argent de l’État, des banques, à commencer par la BCE, des entreprises ! Une telle crise devrait conduire à la création d’une monnaie commune mondiale et de nouvelles institutions à tous les niveaux pour en définir l’utilisation. Une monnaie qui permettrait de financer des services publics, du local au mondial, à commencer par les services publics de santé, sans aucun objectif de rentabilité. Des entreprises de secteurs stratégiques doivent être nationalisées, comme Luxfer en France, qui peut garantir l’indépendance de notre pays en bouteilles d’oxygène médical. Or le gouvernement s’y refuse ! Par contre, il envisage de recapitaliser des grands groupes, comme Airbus, dont l’activité s’est écroulée ces dernières semaines. Mais sans changer les décisions du groupe, cela revient à nationaliser les pertes pour mieux reconstituer les profits des actionnaires demain. Ce n’est plus possible !

«DES ENTREPRISES DE SECTEURS STRATÉGIQUES DOIVENT ÊTRE NATIONALISÉES, COMME LUXFER EN FRANCE, QUI PEUT GARANTIR L’INDÉPENDANCE DE NOTRE PAYS EN BOUTEILLES D’OXYGÈNE MÉDICAL.»

Cela m’amène à une autre exigence : rompre avec le despotisme patronal, au profit de nouveaux droits des travailleurs et des travailleuses. Ces dernières semaines, des patrons ont, en toute conscience, mis la vie des employés et des employées en danger pour continuer à dégager des profits. Ce n’est pas nouveau, me direz-vous ! Mais la crise rend cette situation manifeste et d’autant plus insupportable que la menace est largement connue et incontestable. Un droit de veto et de contre-propositions des travailleuses et travailleurs sur les choix des entreprises permettrait d’éviter une telle situation. Et au-delà de la protection des droits des travailleurs, de nouveaux droits permettraient de changer la finalité de la production pour répondre aux besoins de la société, d’organiser mieux l’activité et les conditions de travail des salariés et contribueraient ainsi à un travail émancipateur.

La période comporte de nombreux risques, craignez-vous un glissement autoritaire ?

On le constate d’ores et déjà dans plusieurs pays. Je me limiterai à la France car ce qui se passe est extrêmement grave. En quelques semaines, nos droits et nos libertés individuelles et collectives ont été remis en cause.

Le premier point sur lequel nous devons nous interroger est le confinement imposé par le décret du 16 mars dernier. Tout en partageant son importance sanitaire dans la lutte contre l’épidémie au regard des moyens dont nous disposons, nous ne devons pas nous habituer à une mesure aussi restrictive, qui suspend une grande partie des libertés publiques avec quelques dérogations très limitées pour répondre aux besoins vitaux. De plus, des abus ont été constatés dans les contrôles opérés par les forces de l’ordre dans plusieurs quartiers. Et la peine en cas de violation répétée du confinement, pouvant aller jusqu’à six mois d’emprisonnement, est disproportionnée.

Le plus grave est l’état d’urgence sanitaire adopté au Parlement dans une précipitation extrême et avec une représentation restreinte, ce qui est inacceptable pour un texte d’une telle portée. Contrairement à ce qui a été présenté à la population, ce texte ne vient pas combler un vide juridique mais revient à codifier en matière sanitaire la jurisprudence du Conseil d’État sur les circonstances exceptionnelles et crée ainsi un nouveau régime de police administrative, avec le risque qu’il soit pérennisé. Un régime d’autant plus problématique que pour une durée de deux mois, il n’y a même pas de contrôle du Parlement !

Puis il y a les 25 ordonnances adoptées dans la foulée, dont certaines ont des conséquences très néfastes. En matière de droit du travail, les mesures dérogatoires touchant au temps de travail, congés et RTT sont utilisées par le patronat pour essorer encore davantage les travailleurs·euses, au détriment de leur santé. C’est tout aussi problématique en matière de justice : on constate que les ordonnances limitent les droits de la défense et peuvent conduire à poursuivre le placement d’un enfant sans débat contradictoire, ou encore à trancher des litiges sans audience.

Enfin, les mesures envisagées pour tracer numériquement les personnes contaminées pourraient nous faire basculer dans une surveillance généralisée qui constituerait une atteinte très grave à nos libertés.

Pour toutes ces raisons, notre mobilisation sur l’enjeu démocratique sera déterminante dans les semaines et les mois qui viennent.

Comment, dans ces conditions inédites, le PCF continue-t-il de fonctionner ?

Cette situation est une épreuve qui demande un engagement très fort, de l’unité et de la solidarité, pour permettre au parti de relever les défis auxquels nous sommes confrontés. Une épreuve aussi parce que nous avons dû faire face à la perte de camarades. C’est un choc pour notre collectif militant.

«CETTE CRISE EST UN DÉFI AUSSI POUR L’ORGANISATION DE NOTRE ACTIVITÉ POLITIQUE. CE QUE NOUS EXPÉRIMENTONS AUJOURD’HUI COMPTERA BEAUCOUP POUR L’AVENIR DE NOS COMBATS.»

Le confinement a conduit à une transformation de l’activité de toutes les organisations du parti, nationalement et localement. La priorité a été de nous donner les moyens d’une continuité du travail de la direction par visioconférences, d’analyser la nouvelle situation et les mesures du pouvoir, de définir nos propositions et les initiatives politiques adaptées à la situation et de développer notre communication par des événements en direct sur les réseaux sociaux pour échanger avec le plus grand nombre sur ces enjeux.

En quinze jours, grâce au travail des commissions nationales, aux interventions de nos parlementaires, nous avons élaboré une première contribution du Parti, « Covid-19 : protéger la population, relever les défis de la crise », qui rassemble nos propositions. Les commissions sont très mobilisées, je pense en particulier à la commission Entreprises, car nous avons fait de la protection des travailleuses et des travailleurs une priorité.

Toutes les organisations du parti ont travaillé à maintenir le lien avec les adhérents, en contactant les plus fragiles pour leur proposer une aide. Nombreuses sont celles qui ont aussi organisé cette même solidarité pour nos concitoyens qui en ont besoin et ont commencé à développer ces réseaux de solidarité qu’il nous faut construire. Les élus locaux du parti ont joué un rôle décisif, en particulier là où nous sommes en responsabilité, pour répondre aux besoins de la population. Beaucoup d’adhérentes et d’adhérents ont pris des initiatives, en créant des groupes de discussion numérique avec leurs voisins en affichant des messages dans leur immeuble ou sur leur balcon.

Cette crise est donc un défi aussi pour l’organisation de notre activité politique. Ce que nous expérimentons aujourd’hui comptera beaucoup pour l’avenir de nos combats.

Cause commune - spécial Covid-19