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Jérémy Bacchi est sénateur, secrétaire départemental de la fédération des Bouches-du-Rhône et membre de l’exécutif national du PCF. Pour Cause commune, il livre son analyse de la dernière séquence électorale et des enjeux politiques dans une France marquée par une crise sanitaire, économique et sociale.

Propos recueillis par Léo Purguette.

CC : Vous avez été élu sénateur le 27 septembre. Quelles leçons tirez-vous de ce scrutin ?

Jérémy Bacchi : Les sénatoriales ne sont pas une élection qui peut être prise isolément. Les rapports de force qui s’y expriment sont directement issus des élections municipales de juin. En mettant en œuvre notre stratégie de rassemblement, les communistes ont renforcé leur présence en nombre d’élus municipaux, se plaçant dans les Bouches-du-Rhône en tête de la gauche en nombre de grands électeurs. Lors des élections sénatoriales, nous avons prolongé notre stratégie de rassemblement en nouant un accord avec le Parti socialiste et EELV et en constituant une liste composée d’élus et de citoyens engagés, symboliquement terminée par le maire communiste de Martigues, Gaby Charroux, et la maire « Printemps marseillais » Michèle Rubirola qui ont ainsi démontré leur détermination à porter au plus haut notre score.

« Le patriarcat, le racisme, l’homophobie s’entrecroisent pour maintenir la domination d’un petit groupe sur le monde entier. »

Avec cette élection, le PCF retrouve un siège de sénateur dans les Bouches-du-Rhône, ce qui est bien sûr une bonne nouvelle pour notre parti mais, au-delà, un point d’appui pour le monde du travail durement éprouvé par la crise sociale et économique engendré par la crise sanitaire, et pour tous les progressistes de ce département qui souhaitent défendre la place centrale de la commune dans la république. Je porterai au Sénat la voix de ceux qui exigent le progrès social, la défense de l’environnement et un renouveau démocratique qui place l’intervention citoyenne en son cœur.

CC : Pourquoi a-t-il été possible d’aboutir à un large rassemblement avec le Printemps marseillais lors des municipales, ou avec votre liste lors des sénatoriales dans les Bouches-du-Rhône et pas ailleurs ?

Jérémy Bacchi : Plusieurs facteurs expliquent ce résultat. D’abord, je veux citer le traumatisme des effondrements de la rue d’Aubagne, le 5 novembre 2018, qui ont entraîné la mort de huit Marseillaises et Marseillais, symbole de l’incurie de la municipalité Gaudin et de l’abandon des populations fragiles aux marchands de sommeil. Cet événement a profondément marqué la population et rappelé aux forces progressistes l’immense responsabilité qui pesait sur elles pour construire une alternative à vingt-cinq ans de droite. Ensuite, à Marseille, pour des raisons historiques, aucune force n’était plus hégémonique à gauche, ce qui a ouvert la voie à un rassemblement riche de sa diversité et respectueux de chacune de ses composantes. Enfin, l’émergence d’un fort mouvement citoyen, avec une exigence d’implication et de réussite, a permis de donner une cohérence forte au rassemblement.

« Il y a urgence à penser une visée révolutionnaire, internationale, émancipatrice pour nous libérer
de ces carcans. »

Dans ce contexte, les communistes ont lancé un appel au rassemblement dès avril 2019. Ils ont ensuite participé à toutes les initiatives visant à faire aboutir ce qui est devenu le Printemps marseillais. J’ajoute que, dans le reste du département, de larges rassemblements sont pratiqués depuis longtemps dans les municipalités à direction communiste.

CC : Vous étiez tête de liste du Printemps marseillais dans les 13e et 14e arrondissements, un secteur municipal gagné par l’extrême droite en 2014 à la faveur d’une triangulaire. Vous avez fait le choix de vous retirer, un choix critiqué par certains. Avec le recul, le referiez-vous ?

Jérémy Bacchi : Ce choix a été douloureux, pour mes colistiers et pour moi-même. Nous l’avons pris à l’unanimité des autres têtes de liste du Printemps marseillais et à la grande majorité de mes colistiers avec une idée en tête : barrer la route à l’extrême droite qui a fait tant de mal pendant six ans aux habitants de ces arrondissements dans lesquels je vis. La responsabilité de ceux qui ont divisé la gauche dans ce secteur qui était dirigé par le RN est lourde mais, une fois le constat posé, il nous fallait décider.

« Ce sont dans ces batailles concrètes qu’il faudra inscrire la construction de rassemblements pour les départementales et les régionales dans l’esprit de notre congrès : union la plus large et un apport communiste clairement identifié. »

Je suis communiste, j’appartiens à une famille qui sait ce que la résistance signifie. L’extrême droite est un ennemi mortel. Qui à gauche pourrait se regarder dans la glace en assumant de vouloir grappiller quelques strapontins en la faisant gagner ?
Si c’était à refaire, je le referai d’autant plus que nos deux objectifs ont été atteints : battre le RN dans les 13e et 14e arrondissements et faire gagner le Printemps marseillais à l’échelle de la ville, sans rien renier de nos valeurs.

CC : Le projet de loi du gouvernement, dit « 3D », pour décentralisation, différenciation et déconcentration a été au cœur des débats de la campagne des élections sénatoriales. Quel regard portez-vous sur lui ?

Jérémy Bacchi : Il est lourd de menaces pour nos communes. Après avoir, des années durant, asséché les ressources des communes, contraint l’action des élus et accéléré la désertion des services publics, le pouvoir central veut désormais « différencier » les territoires pour mieux les mettre en concurrence les uns avec les autres, faisant ainsi éclater le cadre républicain. C’est l’aboutissement d’une conception libérale de la décentralisation, à mes yeux incompatible avec les principes fondateurs de la République. Avec mon groupe à la Haute Assemblée, nous agirons pour redonner sens à la devise inscrite au fronton de nos mairies : Liberté, Égalité, Fraternité. Libertés communales, Égalité des territoires, Fraternité des populations.

CC : Alors que le gouvernement annonce un plan de relance de 100 milliards d’euros après avoir injecté 400 milliards d’argent public pour faire face aux contrecoups du confinement, les plans de licenciements pleuvent. Êtes-vous surpris ?

Jérémy Bacchi : Non, le président de la République qui avait promis de changer de politique durant le confinement maintient son cap et accélère. S’il abandonne l’austérité budgétaire, ce n’est pas pour redonner sa puissance à l’État, ce n’est pas pour faire levier sur l’économie, la transformer profondément… C’est pour relancer le système qui nous a conduits dans le mur : le capitalisme libéral et mondialisé. Comment ose-t-il parler de relocalisation quand les milliards de nos impôts servent à fermer des usines en France et à faire partir les productions en Europe de l’Est ou encore plus loin, avec les normes sociales et environnementales qu’on connaît. Le scandale Bridgestone, qui a touché 1,8 million d’euros de crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en 2019 et qui met les 863 salariés de l’usine de Béthune à la porte, est symbolique de cette politique malsaine. C’est avec ces logiques qu’il faut rompre. Je ne suis pas pour demander des contreparties aux grands groupes, on a vu ce que donnaient leurs promesses en l’air. Il faut être plus offensifs et utiliser les immenses moyens publics mobilisés pour orienter l’économie, en imposant de nouveaux droits des salariés dans les entreprises, en structurant des filières, en s’engageant pour une production industrielle et agricole relocalisée, en favorisant les circuits courts, en investissant massivement dans des services publics pour les hisser à la hauteur des ambitions du XXIe siècle.

CC : Vous êtes donc favorable au retour du Haut-commissariat au plan avec François Bayou à sa tête ?

Jérémy Bacchi : J’ai malheureusement le sentiment que cette nomination vise beaucoup à consolider la majorité présidentielle et très peu à donner de grands objectifs à l’économie française. Nous n’avons pas besoin d’un vice-Premier ministre là où la Ve République et ses réformes successives ont déjà très largement disqualifié la fonction de chef du gouvernement. Ce qu’il nous faut, pour répondre au défi climatique et plus largement écologique mais aussi pour retrouver le plein emploi et sortir la France de l’ornière, c’est d’une planification écologique, démocratique, dont les objectifs fondamentaux soient la satisfaction des besoins humains et la préservation de la planète.

CC : Les élections régionales et départementales seront vite là. Comment comptez-vous les appréhender ?

Jérémy Bacchi : La tâche urgente des communistes est de se tenir aux côtés du monde du travail qui est en proie à une offensive coordonnée du patronat et du gouvernement. Ces élections paraissent lointaines et abstraites lorsqu’on fait partie d’un plan de licenciement ou qu’on craint d’y figurer. La crise sanitaire n’est pas finie. Nous continuerons de demander aussi longtemps que nécessaire le remboursement à 100 % des masques par la Sécurité sociale, mais aussi un plan de formation et de recrutement massif de soignants. Le « Ségur de la santé » est sans commune mesure avec les besoins qui s’expriment. Il faut plus de lits, plus de personnel, plus de moyens, bref de l’argent pour l’hôpital pas pour le capital.

« Le scandale Bridgestone, qui a touché 1,8 million d’euros de crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi en 2019 et qui met les 863 salariés de l’usine de Béthune à la porte, est symbolique
de cette politique malsaine. »

Ce sont dans ces batailles concrètes qu’il faudra inscrire la construction de rassemblements pour les départementales et les régionales dans l’esprit de notre congrès : union la plus large et un apport communiste clairement identifié.

CC : Vous êtes l’une des figures du renouvellement du PCF. Que signifie pour vous la perspective communiste ?

Jérémy Bacchi : La crise sanitaire et les conséquences qu’elle entraîne font surgir la nécessité d’un nouveau mode de développement. Jamais il n’a été plus urgent de prendre la maîtrise de nos vies pour notre avenir, celui de nos enfants, celui de la planète. Pour changer de logique, renverser l’ordre existant, il faut pousser partout la mise en commun, la solidarité, le partage, la délibération collective pour faire reculer la privatisation des biens communs, de l’espace public, et des décisions qui s’imposent sur nos vies. Le patriarcat, le racisme, l’homophobie s’entrecroisent pour maintenir la domination d’un petit groupe sur le monde entier. J’ai la conviction que le capitalisme n’emmènera pas l’humanité plus loin, si ce n’est dans le mur. Il y a urgence à penser une visée révolutionnaire, internationale, émancipatrice pour nous libérer de ces carcans.

Cause commune n° 20 • novembre/décembre 2020