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Le 10 avril, ce sont les moins de 34 ans (43 %) qui ont le plus boudé les urnes. L’abstention deviendrait-elle un nouveau mode d’expression politique du mécontentement ?

Plusieurs études récentes permettent de cerner d’un peu plus près les attentes de la jeune génération. La première a été réalisée par la sociologue Anne Muxel, directrice de recherche au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) ; trois mille jeunes Français de 16-18 ans ont été sollicités (voir Observatoire de la génération Z, étude de l’IIRSEM, n° 89, octobre 2021). L’autre enquête a été menée auprès de huit mille jeunes de 18-24 ans, par les sociologues Olivier Galland et Marc Lazar pour l’institut (libéral) Montaigne ; elle est intitulée Une jeunesse plurielle.

« Le doute sur l’utilité du vote est fort, la tentation de l’abstention aussi. »

Le travail d’Anne Muxel sur la génération Z, celle qui est née au début des années 2000, montre que les 16-18 ans, que l’on caricature parfois comme individualistes, sont disposés à s’engager pour le collectif. Certes, cette tranche d’âge, confrontée à des crises tous azimuts, « a intériorisé la nécessité de s’adapter aux multiples défis auxquels elle est confrontée.[…] Enfants des crises, ils se préparent à de nouveaux désastres », estime la sociologue. On peut dire que cette génération est globalement inquiète sur ce que la société peut lui offrir et en même temps assez confiante sur sa destinée personnelle. « Le pessimisme collectif et l’optimisme individuel, assure Anne Muxel, favorisent finalement une certaine forme d’engagement. Il est faux de dire aujourd’hui que ces jeunes sont indifférents, apathiques, individualistes, repliés sur eux, consuméristes. Au contraire, depuis quelques années, on observe plutôt un regain d’engagement et de disponibilité pour le bénévolat. On l’a vu notamment avec la préoccupation pour l’environnement et les marches pour le climat. Un jeune sur cinq y a participé, c’est beaucoup pour cet âge-là. »
Cette tranche d’âge partage la défiance générale envers les institutions. 20 % seulement ont confiance dans les partis, un tiers dans les médias, 40 % dans le gouvernement. Anne Muxel ajoute cette donnée étonnante : « 39 % de ces jeunes pensent que les attentats du 11 septembre ont pu être organisés par la CIA ! » 

« Cette tranche d’âge partage la défiance générale envers les institutions. 20 % seulement ont confiance dans les partis,
un tiers dans les médias, 40 % dans le gouvernement. »

Concernant leurs rapports à la nation et à l’Europe, la directrice de recherche précise : « On peut voir une forme de regain de patriotisme dans cette génération. Mais c’est un patriotisme ouvert qui ne se conjugue pas seulement à l’échelle nationale mais aussi à l’échelle locale, régionale, et qui, plus largement, peut même prendre en compte une acception plus globale, voire planétaire. Cet élargissement se constate aussi au niveau de leurs appartenances personnelles : 45 % des jeunes revendiquent une appartenance locale, 29 % une appartenance nationale et 26 % une appartenance supranationale. L’Europe reste le chaînon manquant : elle n’est citée que par 5 %. Elle n’est pas incarnée en tant que territoire, elle ne suscite guère de lien affectif revendiqué comme tel. »

Les rapports à la politique
Autre élément intéressant de cette étude : les rapports de cette génération à la politique. Si un jeune sur deux se dit ni de droite ni de gauche, « le reste d’entre eux continue de voter plus à gauche que la moyenne nationale, mais moins qu’auparavant ; le tropisme de gauche s’est affaibli par rapport aux années 1970 ou 1980 ». Le doute sur l’utilité du vote est fort, la tentation de l’abstention aussi ; une petite minorité regarde vers la droite extrême.
Ces données semblent globalement confirmées dans l’enquête « Une jeunesse plurielle » concernant les 18-24 ans. Jeunesse « plurielle », disent les enquêteurs pour souligner la diversité de positionnement de cette catégorie. Ils insistent sur « l’impressionnante désaffiliation politique » d’une grande partie de cette tranche d’âge, s’interrogent sur la possibilité d’un record d’abstention (aux régionales de juin 2021 les 18-24 ans s’étaient abstenus à 87 %), parlent du facteur de « repli sur soi » qu’a entraîné la crise de la covid. Mais des nuances s’imposent. « Des jeunes issus de famille à fort capital culturel (ces familles que l’on dit engagées) vont trouver leur place dans la vie de la cité, même si c’est pour la contester, quand d’autres garderont leurs distances au risque d’accentuer les clivages et les inégalités au sein d’une même génération. »
Les sociologues distinguent donc deux groupes : « Dans le premier qui rassemble quasiment un jeune sur deux, tous les registres de l’action et de l’engagement politique sont utilisés, qu’ils soient ou non conventionnels. » Mais dans le second groupe, apparemment donc désengagé, ils identifient une forte minorité de « révoltés, 22 %, constitués à majorité de femmes qui disent approuver les gilets jaunes, qu’ils aient ou non participé aux mouvements, tout en refusant toute allégeance ».

 

*La génération Z est la génération des personnes nées entre 1997 et 2010.

 



Chaque génération…

Une génération peut apprendre beaucoup d’une autre, mais ce qui est humain au sens propre, elle ne peut l’apprendre de celle qui l’a précédée. À cet égard, chaque génération commence comme si elle était la première, elle n’a pas une tâche différente de celle qui l’a précédée, pas plus qu’elle ne la dépasse […]. Ainsi, nulle génération ne part d’un point qui ne soit autre que le commencement, nulle, plus jeune, n’a une tâche moindre que la génération précédente.

Soren Kierkegaard, Crainte et tremblement