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Avec la question de la transformation écologique, le combat pour l’égalité femmes/ hommes est un des grands défis de notre temps, une demande de plus en plus pressante de la société. Les femmes et les mouvements féministes sont à l’offensive contre les violences sexistes et sexuelles partout dans le monde. À la veille du 8 mars, Hélène Bidard, responsable de la commission nationale féministe du PCF répond aux questions de Cause commune sur l’actualité.

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Propos recueillis par Léo Purguette

Les femmes ont été décrétées grandes gagnantes de la réforme des retraites par le gouvernement. Qu’en pensez-vous ?
La France est la cinquième puissance du monde, mais la droite revancharde veut continuer de liquider le meilleur système de retraite au monde au profit d’un système truqué desservant encore plus les femmes. Avec la commission féministe du PCF nous avons analysé ces paradoxes. On nous répète qu'on vit plus longtemps aujourd'hui, alors que, dans les métiers féminisés, particulièrement les aides-soignantes, puéricultrices, les auxiliaires de vie arrivent « cassées » à la retraite à 62 ans sans reconnaissance de la pénibilité. Le salaire moyen des femmes est de 1 962 euros quand il est de 2 410 euros pour les hommes, les femmes retraitées ont une pension moyenne de 932 euros quand celle des hommes retraités est de 1 603 euros. Quand nous parlons de précarité ou de bas salaires il est grand temps de parler au féminin sinon nous nous trompons dans le discours.

« Les femmes retraitées ont une pension moyenne de 932 euros quand celle des hommes retraités est de 1 603 euros. »

Les souffrances des personnels de santé, du soin, sont incommensurables faute d'avoir les moyens d'exercer humainement leur mission. Les jeunes galèrent, pendant que 30 % des 60-64 ans sont sans emploi. C’est le cumul des peines ! Les carrières hachées, plus courtes, les salaires inégaux conduisent à des écarts de retraite de l'ordre de 42 % pour les pensions personnelles ou de droit direct en défaveur des femmes. L'écart est de 29 % si on ajoute la pension de réversion que le gouvernement veut supprimer. La retraite donne une image de toutes ces inégalités de carrirère, injustes, que subissent les femmes. Appliquer toutes les lois pour l'égalité salariale femmes-hommes dégagerait dans les caisses de la Sécurité sociale 9 milliards en 2023, selon les chiffres de la CGT.
Il nous faut accompagner et amplifier la transition féministe en cours dans le monde entier et cela passe prioritairement par « l’égalité au boulot  ». Pour cela nous devons d’abord comprendre et nous organiser contre « les rapports sociaux de genre ».

Alors que nous abordons les élections municipales quelle vision peut apporter une lecture féministe ?
Je pense que les candidats et élus communistes, femmes et hommes, doivent accompagner, aider à poursuivre et amplifier la « transition féministe » en cours. Il faut en faire un axe de politique municipale. Une collectivité féministe est une collectivité qui a intégré la question du genre dans l’ensemble de ses politiques publiques. Cela veut dire non seulement construire des politiques spécifiques, par exemple avec la création d’un observatoire des violences faites aux femmes, mais aussi agir sur des domaines d’action comme l’aménagement urbain, le sport, la santé, la petite enfance, la sécurité. Cela implique également d’être exemplaire en matière de traitement égalitaire des agents, femmes et hommes, de la municipalité. Enfin, cela demande le courage de se positionner aux côtés des luttes de femmes, des luttes féministes, dans le débat national, voire international. Une ville féministe est une ville inclusive, ouverte d’esprit et bienveillante, où chacune et chacun peut se sentir à sa place. Je crois qu’avec la question de la transformation écologique, le combat pour l’égalité femmes/hommes est un des grands défis de notre temps, une demande de plus en plus pressante de la société. Les femmes et les mouvements féministes sont à l’offensive contre les violences sexistes et sexuelles partout dans le monde. C’est historique et irrésistible. Regardez comme la question des « féminicides » s’est imposée en quelques mois à l’agenda politique français. Tout élu, homme ou femme, doit accompagner ce mouvement de la « transition féministe ». Et je dois dire que cela n’est pas à sens unique, car la prise en considération de mon action, en tant qu’élue, a clairement évolué favorablement à partir de 2017 quand a surgi le mouvement Metoo. J’ai expérimenté in vivo le pouvoir d’un mouvement social sur les institutions. J’ai pu négocier régulièrement des augmentations du budget de la Ville de Paris alloué aux associations. à présent, il faut dans les collectivités enfoncer le clou et construire partout où nous le pouvons des politiques féministes. Le mouvement Metoo nous donne une force considérable. Nous pouvons influer sur plusieurs domaines clés d’intervention dans les collectivités, autrement dit, construire une politique intégrée. Beaucoup reste à faire, mais la prise en compte des femmes s’est maintenant étendue à l’urbanisme. On peut aller plus loin en intégrant un critère de genre dans la rénovation du milieu urbain, dans le sport, avec un meilleur partage des équipements mais aussi dans les grands événements, dans la lutte contre la pauvreté, avec la mise en place de haltes pour les femmes à la rue, dans le logement, avec la mise en place de dispositifs spécifiques pour les femmes victimes de violences. La question du genre est devenue un important levier pour la modernisation des politiques publiques. Si nous devions choisir une mesure, je dirais qu’il faut s’atteler à la mise en place d’un budget sensible au genre, une question qui touche le nerf de la guerre – l’argent dédié aux femmes –, qui permet d’évaluer et d’améliorer considérablement l’effet des politiques publiques en matière d’égalité, et qui en elle-même est un puissant instrument de prise de conscience, dans toutes les directions d’une collectivité, de l’importance du sujet. C’est un gage de cohérence et d’efficacité pour une ville progressiste.

« Il nous faut accompagner et amplifier la transition féministe en cours dans le monde entier et cela passe prioritairement par “l’égalité au boulot”. Pour cela nous devons d’abord comprendre et nous organiser contre “les rapports sociaux de genre” ».

Comment, pour les communistes, la question de l’égalité entre les femmes et les hommes s’inscrit-elle dans un projet d’émancipation de toute la société ?
Le 8 mars 2020, journée internationale de lutte pour les droits des femmes, sera une fois de plus placé sous le signe de la lutte pour l’égalité professionnelle ! Elle constitue un levier de premier plan pour parvenir à une égalité réelle entre les femmes et les hommes. Le 8 mars sera marqué par la « grève féministe » et la manifestation « On arrête toutes » (de travailler, de briquer, de cuisiner, de consommer…) pour les droits des femmes et pour l’égalité, avec le collectif national droit des femmes, auquel le PCF participe bien évidemment ! Mais cette année, du fait de la colère et de la prise de conscience des inégalités que les femmes subissent, il est certain que ce 8 mars s’ancrera dans un mouvement de fond de « transition féministe de la société », une vague qui avance, pour l’instant, malgré les coups violents des réactionnaires.
Dans leur vie professionnelle, les femmes subissent de nombreuses contraintes qui non seulement ne permettent pas de construire une carrière dans de bonnes conditions, mais qui, en plus, privent le monde du travail de talents et de forces considérables. Si le taux d’emploi des femmes et leur rémunération étaient égaux à ceux des hommes, le PIB de la France bondirait de 6,9 %.
Il faut conquérir l’égalité professionnelle. Les inégalités se sont réduites jusqu’en 1990 puis plus rien ! Les femmes sont concentrées dans seulement douze familles professionnelles sur quatre-vingt-sept. Elles sont non reconnues et sous-payées, alors que, depuis plus de trente ans, elles sont plus diplômées que les hommes. Elles occupent des postes moins qualifiés, moins valorisés. La société patriarcale les maintient dans un statut d’infériorité. Le patronat utilise le travail des femmes comme un laboratoire d’expérimentation afin d’étendre la précarité, la flexibilité et le temps partiel à l’ensemble du monde du travail.

« Les candidats et élus communistes, femmes et hommes, doivent accompagner, aider à poursuivre et amplifier la “transition féministe” en cours. Et pour cela il faut en faire un axe de politique municipale. »

La situation du salaire des femmes en France se dégrade à toute vitesse à cause des politiques d’austérité et de dérèglement du droit du travail ; en 2018, les femmes travaillaient gratuitement à compter du 12 novembre à 15h35, soit dix jours plus tôt qu’en 2016.
L’invisibilité du travail des femmes, et de leurs luttes, est une construction sociale et il faut se battre partout et sans cesse pour démontrer que l’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas un supplément d’âme. La pénibilité dans les emplois « féminisés », aide à la personne, assistantes maternelles, puéricultrices, professeures des écoles, avocates, infirmières… doit être prise en compte.
Le « plafond de verre » professionnel cantonne les femmes sur les postes les moins qualifiés, avec les plus bas salaires, avec les possibilités d’évolution les moins importantes. La revalorisation des métiers dits « féminins » passe aussi par une revalorisation des déroulements de carrière. 55 % des hommes contre seulement 37 % des femmes font des heures supplémentaires. Outre le problème énorme que cette mesure pose pour les finances de la Sécurité sociale, cela contribue à renforcer les inégalités de revenus, l’inégale répartition des tâches ménagères, la charge mentale. La transparence des systèmes de rémunération est indispensable.
Les 32 heures pour toutes et tous permettraient d’en finir avec les temps partiels imposés. 82 % des salariés qui ont un contrat à temps partiel sont des femmes. Ces postes sont aussi ceux où l’on subit le plus d’abus parce qu’on est plus vulnérable face à la hiérarchie, à la clientèle ou à l’environnement professionnel. Ainsi, 56 % des agressions sexuelles arrivent sur le lieu de travail.
La mixité des métiers est un atout pour la société. Dès leur plus jeune âge, les femmes sont assignées à certains métiers plutôt qu’à d’autres : 48 % des femmes occupant un emploi sont cantonnées dans quatre secteurs d’activité, la santé et les services sociaux, l’éducation, l’administration publique et le commerce de détail. Une telle répartition des métiers est un poids mort pour l’avenir du pays, quand on sait, par exemple, les difficultés auxquelles s’exposent les jeunes femmes pour engager un cursus d’ingénieur alors que la France a besoin de dix mille ingénieurs supplémentaires par an.
En se donnant l’ambition de sécuriser l’emploi et la formation pour toutes et tous, le PCF intègre la lutte collective contre les inégalités, les stéréotypes sexistes et les discriminations subies par les femmes, notamment la précarité et le temps partiel imposé, comme une priorité.

L’égalité des hommes et des femmes est la grande cause du quinquennat. Marlène Schiappa a organisé un Grenelle des violences faites aux femmes et pourtant, pour le monde associatif, le compte n’y est pas. Comment l’expliquez-vous ?
Si les masculinistes et antiféministes existent depuis bien longtemps, la récente relève féministe dans la société a bien à cœur de dénoncer et contrecarrer leurs actions, notamment au travers des mouvements #Metoo et #Balancetonporc, qui ont permis de révéler de graves faits commis envers de nombreuses femmes, s’agissant de violences sexuelles, mais aussi de violences commises au sein du couple et du harcèlement de rue. Les manifestations et les grèves féministes qui se déroulent autour du 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, et du 8 mars, ainsi que toutes les autres actions ayant lieu au cours de l’année, sont là pour rappeler, à toutes et à tous, au gouvernement comme à la population, que les violences ne relèvent pas du domaine privé, qu’il s’agit bien d’une problématique publique et politique et qu’elle est loin d’être réglée à ce jour.
En effet, l’impunité envers les auteurs de ces violences reste trop souvent la norme, entraînant ainsi un fort taux de récidive et une continuité de ces violences. Le gouvernement, les organes de justice restent globalement trop inactifs face à cela, bien que cela soit décrié par toutes les associations et mouvements qui luttent sur le terrain. La réalité de la situation, ce sont seulement 79 millions d’euros qui sont consacrés à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles par l’État, malgré les déclarations de « grande cause » du gouvernement, à mettre en parallèle avec les 3,6 milliards d’euros que coûtent à la société les violences faites aux femmes chaque année.

« Poursuivre la transition féministe, c’est mieux prévenir et protéger les femmes et les enfants contre les violences machistes, cela devrait être une question prioritaire de santé publique. »

Le gouvernement a tenté de donner l’impression de prendre les choses en main en organisant le Grenelle sur les violences conjugales, réclamé par les associations. Mais, dans le même temps, le Premier ministre a toujours affirmé que l’engagement serait à « budget constant » et donc ce Grenelle ne peut être que décevant !
L’organisation même du « Grenelle » est plus que discutable. Les élues et élus locaux n’ont pas été associés, tout comme les syndicats. Les propositions qui en découlent ne sont pas financées. La ligne d’écoute annoncée à grand renfort de publicité existe depuis 1992 ! Le « fonds Catherine » pour les associations, invention de communication de Marlène Shiappa, est en réalité un reliquat de son budget, non reconductible. La dotation de 130 000 euros pour la région Île-de-France, c’est 13 000 euros pour Paris où 12 900 femmes victimes de violences conjugales sont déjà prises en charge par les associations. L’aumône ne payera même pas un café par femme victime !
Quand les associations disent et répètent qu’il s’agit d’un plan de communication, elles ont raison. Autre exemple, à Paris, un des seuls foyers qui accompagnent les femmes victimes de violences, avec une prise en charge de leurs enfants, et un vrai accompagnement global, va voir ses subventions baisser de 50 %. La situation est dramatique. Aujourd’hui, ce sont des centres d’hébergement (CHRS) dédiés aux femmes avec accompagnement qui ferment pour créer des places en centres d’hébergement d’urgence simples, sans accompagnement. C’est cette politique publique qui est mise en place ! Voici pourquoi les associations qui avaient réclamé une mise à plat du problème ont été déçues, même si nous avons toutes décidé de ne pas utiliser la politique de la « chaise vide ». Le gouvernement ne veut pas con­struire une politique publique. Et pourtant, les associations, aux côtés des élus locaux, peuvent agir très concrètement. Les collectivités locales, qui n’ont pas été consultées sur ces mesures, mettent en place des expérimentations. En Seine-Saint-Denis et à Paris, des observatoires ont été créés. Ça fonctionne. Quand on construit une coopération entre les services de l’État, les services des collectivités locales, les associations, les professionnels, on avance ! Poursuivre la transition féministe, c’est mieux prévenir et protéger les femmes et les enfants contre les violences machistes, cela devrait être une question prioritaire de santé publique. Si nous savons nous saisir de ces préoccupations, le mouvement Metoo peut nous donner une force considérable pour l’émancipation de tous et toutes.

(1) En référence à la chorégraphie, jouée par les manifestantes, grandes perdantes de la réforme des retraites, sur l’air de À cause des garçons, détourné en À cause de Macron…

Cause commune n° 16 • mars/avril 2020