Alors que le gouvernement a annoncé une augmentation des droits d’inscription pour les étudiants extra-européens, cela préfigure-t-il d’une hausse généralisée des frais d’inscription dans les prochaines années ? Cette hausse constitue-t-elle véritablement une opportunité, comme la présentent ses défenseurs ? Léonard Moulin déconstruit ici les arguments le plus souvent avancés par ces derniers. Il nous présente la piste du système « par répartition » pour assurer un financement de l’enseignement supérieur plus équitable, plus efficient et permettant de couvrir réellement et de manière pérenne les besoins des universités.
par Léonard Moulin
Ce trimestriel cherche à questionner, présenter et approfondir une question particulièrement structurante dans le débat des idées.
Sans surprise, la hausse des frais d’inscription dans les universités est l’une des pistes de financement évoquées dans le rapport du comité d’action publique (CAP 2022). Lancé en octobre 2017 par le Premier ministre, ce comité est composé d’une quarantaine de personnalités (principalement des dirigeants de grands groupes et des hauts fonctionnaires). Son objectif est de repenser le modèle de l’action publique tout en identifiant des « économies durables et structurelles ». En France, bien que la plupart des cursus soient encore quasi gratuits, ce n’est pas le cas de bon nombre d’écoles qui ont emboîté le pas à Sciences Po Paris en 2004. Ainsi, depuis cette date, l’université Paris Dauphine, les écoles Centrales, les écoles des Mines, les écoles Télécom ou encore l’école des Ponts, parmi d’autres, se sont mises à faire payer leurs étudiants. Même l’école Polytechnique a franchi un cap important en ce sens en mettant en place, en 2016, un bachelor facturé entre 12 000 € (étudiants européens) et 15 000 € (étudiants extra-européens). Il en va de même avec la multiplication des diplômes d’université qui permettent de proposer des formations payantes pouvant atteindre 17 000 € l’année (cf. université Paris 2 – Panthéon-Assas). De son côté, le gouvernement vient de faire un pas décisif dans la mise en place d’un financement individualisé de l’enseignement supérieur en augmentant sensiblement les frais d’inscription pour les étudiants extracommunautaires (2 770 € en licence et 3 770 € en master et doctorat). […]
Des arguments contestables justifiant les hausses des frais d’inscription
Il serait utopique de considérer l’ensemble de ces expérimentations comme une série d’initiatives dispersées sans lien entre elles. Les hausses des frais d’inscription dans les établissements d’enseignement supérieur s’inscrivent dans un projet de réforme économique plus profond visant à transformer la nature même de l’enseignement supérieur. De nombreux rapports et prises de position publiques depuis une quinzaine d’années plaident en ce sens. Les arguments mobilisés par les partisans d’une augmentation des frais d’inscription se divisent en trois catégories […].
« Les hausses des frais d’inscription dans les établissements d’enseignement supérieur s’inscrivent dans un projet de réforme économique plus profond visant à transformer la nature même de l’enseignement supérieur. »
Le premier argument s’appuie sur le besoin de financement des universités ; le sous-financement de l’enseignement supérieur français au regard de ce qui se fait dans d’autres pays de nature comparable n’étant plus à démontrer. […] Les expériences étrangères dans ce domaine tendent pourtant à montrer l’existence d’un net désengagement de l’État lorsque des frais d’inscription sont introduits ou relevés. Au Royaume-Uni, par exemple, les dépenses des ménages ont dû augmenter de 54 % entre 2005 et 2008 en raison de la baisse des dépenses de l’État de l’ordre de 18 %. Par ailleurs, les mécanismes d’accompagnement des frais d’inscription, comme les prêts à remboursement conditionnel au revenu, ont un coût qui peut se révéler très important pour les finances publiques. Toujours au Royaume-Uni, Aurélien Casta estime qu’entre un tiers et la moitié du montant total des prêts accordés aux étudiants ne seront jamais remboursés, ce qui constitue autant de pertes financières pour l’État et autant de gains pour le secteur financier.
Le deuxième argument mobilisé est celui du manque d’équité du système de financement de l’enseignement supérieur. Selon les défenseurs de la réforme, l’introduction de frais d’inscription serait en mesure de pallier cette insuffisance […] en faisant reposer le coût de la scolarité sur les étudiants qui bénéficieront de salaires plus élevés dans le futur en raison de leur passage par l’enseignement supérieur plutôt que de le faire reposer sur l’ensemble des contribuables, quel que soit leur niveau d’études, comme c’est le cas en France aujourd’hui. Néanmoins, cet argumentaire repose sur une vision purement marchande de l’éducation qui ne considère pas les retombées individuelles et sociales échappant au secteur marchand. […] Par ailleurs, pour que l’introduction ou la hausse des droits d’inscription fasse œuvre de justice sociale, il faudrait que les contributions des étudiants au coût de leur scolarité soient réellement progressives et que les mécanismes d’aides aux étudiants les moins favorisés soient suffisamment importants pour permettre une égalité des chances effective entre étudiants. […] Enfin, rien n’indique qu’un système de financement de l’enseignement par frais d’inscription serait plus redistributif qu’un système financé par l’impôt sur le revenu. Des simulations récentes portant sur le cas français démontrent même le contraire.
« Une éducation par “répartition“ permettrait d’assurer à tous les étudiants, via l’allocation universelle d’autonomie, une réelle autonomie par rapport à leur milieu social d’origine. »
Le troisième argument avancé est celui de l’efficience économique. Les droits d’inscription sont supposés sélectionner les étudiants – ceux-ci ne s’inscrivant alors dans une formation payante que s’ils estiment qu’ils pourront réussir ; les inciter à l’effort – ceux-ci payant leur formation, ils seraient contraints de donner le meilleur d’eux-mêmes ; et les orienter vers les filières et métiers économiquement utiles – les étudiants devant rentabiliser leurs études. Ces prétendus effets, déduits de travaux théoriques, ne passent néanmoins pas le stade de la validation empirique. À titre d’exemple, une étude récente portant spécifiquement sur le cas de l’université Paris-Dauphine ne permet pas de valider l’existence d’incitations à l’effort.
Solidarité intergénérationnelle et équité contributive
Par analogie avec notre système de retraite et par opposition avec un système par « capitalisation » dans lequel l’étudiant assume le coût de sa scolarité en s’endettant, il est possible de mettre en place un système « par répartition ». Dans un tel système, les étudiants ne payeraient pas de frais d’inscription et les moyens financiers accordés aux premiers cycles seraient augmentés afin d’enrayer l’échec à l’université. Ici, l’éducation est un contrat social qui repose sur la solidarité intergénérationnelle et l’équité contributive. Un tel système permettrait aux étudiants de réaliser leurs études en contrepartie d’une participation au financement du système une fois qu’ils seront actifs, en fonction de leurs facultés contributives. Comme l’enseignement supérieur est source d’externalités non marchandes, son financement doit reposer sur la société dans son ensemble. Dans les simulations que nous avons réalisées à partir du coût de la vie étudiante, nous avons fixé le montant de l’allocation universelle d’autonomie à 1 000 euros par mois pour les étudiants n’habitant plus chez leurs parents et à 600 euros pour les autres. Pour financer cette allocation, nous proposons de le faire via une augmentation des taux des cotisations patronales de la branche « famille » de la Sécurité sociale pour un montant de 21,6 milliards d’euros. Nous proposons également d’aligner les moyens accordés aux étudiants de licence sur ceux des élèves des classes préparatoires aux grandes écoles. Le coût de cette mesure s’élèverait à 5 milliards d’euros par an et serait financé par un accroissement plus progressif des différentes tranches marginales d’imposition (la première tranche d’imposition resterait à 0 %, la deuxième passerait de 14 % à 15 %, la troisième de 30 % à 32,1 %, la quatrième de 41 % à 43,9 % et la dernière de 45 % à 48,2 %).
Les avantages d’une éducation par « répartition »
Une éducation par « répartition » assurerait à tous les étudiants, via l’allocation universelle d’autonomie, une réelle autonomie par rapport à leur milieu social d’origine, leur permettant de se consacrer pleinement à leurs études sans avoir une activité professionnelle en parallèle. Ce système permettrait de financer davantage les filières jusque-là sous-financées et dans lesquelles les étudiants des milieux les moins favorisés s’inscrivent davantage. De plus, la mise en place d’une plus grande progressivité dans le barème d’imposition permettrait d’accroître le degré d’équité du système de financement de l’enseignement supérieur. Par ailleurs, un tel système assurerait un financement réellement pérenne de l’enseignement supérieur, sans risque d’effet d’éviction entre les dépenses privées et les dépenses publiques. Enfin, une éducation par « répartition » permettrait d’assurer un financement de l’enseignement supérieur indépendant des aléas conjoncturels que peut subir un système financiarisé. Or, s’il y a bien un risque qui est à prendre en considération à court terme c’est celui du volume de la dette étudiante. Aux États-Unis, celle-ci se situe aux alentours de 1 500 milliards de dollars ce qui représente un montant équivalent au volume de subprimes en 2007 (qui représentaient 12 % des prêts hypothécaires). Le taux de défaut sur ces prêts fait peser un risque important sur les étudiants endettés en premier lieu et sur les finances publiques en second lieu. L’éclatement de la bulle spéculative n’est peut-être pas si loin.
Léonard Moulin est économiste. Il est chargé de recherche à l'Institut national d’études démographiques (INED).
Cause commune n° 10 • mars/avril 2019