Juste avant le confinement, les élèves d’une école d’art, sous la conduite de leur professeur, ont restauré devant nos yeux le tableau de Charles Antoine Coypel (XVIIIe siècle), d’après Rubens, Thomyris fait plonger la tête de Cyrus dans un vase rempli de sang. Celui-ci doit être exposé aux archives municipales de Lyon lors de l’exposition « L’Académie des sciences, belles-lettres et arts et la ville de Lyon », à partir de janvier 2021. L’académie et les archives ayant des budgets limités, ce travail a été effectué dans un cadre scolaire local.
Entretien avec Sabine de Parisot
Comment restaure-t-on un tableau ?
Sabine de Parisot : La première attitude d’un conservateur-restaurateur, devant un tableau à restaurer, est d’établir un diagnostic rapide sur l’état général et de comprendre l’état mécanique de cet ensemble, châssis, toile et surface picturale. Un constat d’état, ainsi qu’un protocole, est mis en place avant toute intervention et permettra de mesurer le degré et la hiérarchie des priorités. Comment restaure-t-on est un vaste sujet qui s’étend du support toile à l’état d’un vernis, à la structure de la toile peinte, etc.
Un tableau, même correctement conservé, se modifie au cours du temps (poussières, humidité, température, parasites, etc.). Quelles sont les dégradations qui peuvent lui arriver ?
Sabine de Parisot : Un tableau subissant les affres du temps, les dégradations se manifestent par l’empoussiérage, le jaunissement du vernis, le relâchement du support, de la toile, entraînant la perte de lisibilité de l’œuvre, ou la rupture adhésive de la couche picturale. On peut résumer les altérations en trois grandes familles : biologiques, physico-chimiques, mécaniques. La poussière étant très acide, le vernis ternit, et la lisibilité diminue d’autant. Si la mécanique du support (châssis, toile) est fragilisée, le maintien se détend, entraînant l’affaiblissement général. En cas de fort taux ou/et de changement hygrométrique (exposition au soleil, taux d’humidité excessive), une rupture de la mécanique ainsi que la perte d’adhésivité affecteront la couche picturale. Les chocs, les chutes entraîneront des ruptures de toile, des manques et déformations. Enfin, l’envahissement possible de champignons se créera si le tableau reste dans un climat humide trop longtemps.
Restaurer, même le plus délicatement possible, n’est-ce pas forcément un peu transformer, voire tricher ? Et les opérations sont-elles toujours réversibles ?
Sabine de Parisot : Les restaurateurs d’œuvres d’art ont voulu associer le terme de « conservateur-restaurateur » à l’exercice de leur profession car il était important d’intégrer cette notion de conservation avant même celle de restauration. Le restaurateur aborde une œuvre d’art avec modestie et humilité. La déontologie engage des notions de minimalisme dans leurs interventions, en respectant les règles suivantes : lisibilité, réversibilité et stabilité. Ces notions sont écrites dans une charte que tout conservateur-restaurateur se doit de connaître et d’appliquer.
« L’expérience parfait la technique, le goût parfait la délicatesse d’une intervention, les notions scientifiques sont une nécessité absolue dans tous les cas. »
Pour bien restaurer un tableau, quelle formation scientifique, technique, artistique, faut-il ?
Sabine de Parisot : Différents types d’école proposent leurs formations. Il existe des écoles d’État, telles que l’Institut national du patrimoine, des formations universitaires (Tolbiac) ; l’École d’Avignon et l’École de Condé (Lyon et Paris) offrent un enseignement privé. L’expérience parfait la technique, le goût parfait la délicatesse d’une intervention, les notions scientifiques sont une nécessité absolue dans tous les cas.
Ces travaux sont-ils effectués par des restaurateurs indépendants, par des services publics, par des associations, ou par des entreprises privées à but lucratif ?
Sabine de Parisot : Ces travaux sont réalisés par des « conservateurs-restaurateurs » diplômés, agrées par les Monuments historiques, par les musées, salariés ou non, en entreprises indépendantes ou non. Certains chantiers nécessitent plusieurs personnes, quand les tableaux sont très grands, ou bien que la renommée d’un atelier autorise le travail de nombreux restaurateurs.
Les défis sont-ils les mêmes pour un tableau qui a 100 ans et un autre qui en a 500 ?
Sabine de Parisot : Je suis tentée de vous répondre que chaque tableau est un défi, quelles que soient son époque, sa technique, la noblesse de ses matériaux constitutifs… Les anciens apprenaient leur métier au travers d’un très long apprentissage, où chaque étape était une répétition ; de nos jours, l’art est approché de façon nettement plus éphémère ! Les supports et les techniques sont divers et variés.
Prenons l’exemple de la toile dont vous vous occupez ici. Dans quel état l’avez-vous trouvée ?
Sabine de Parisot : Ce magnifique tableau a déjà subi plusieurs opérations, telles que : rentoilage, dévernissage, revernissage, mastic, retouche. Nous l’avons trouvé dans un état d’encrassement assez poussé. Notre travail a simplement consisté à faire un allègement de vernis, car le temps était limité pour entreprendre un travail plus approfondi (que l’académie n’aurait d’ailleurs pas les fonds pour payer).
« La première attitude d’un conservateur-restaurateur, devant un tableau à restaurer, est d’établir un diagnostic rapide sur l’état général et de comprendre l’état mécanique de cet ensemble, châssis, toile et surface picturale. »
CC : Comment faut-il le traiter pour qu’il soit présentable à l’exposition organisée bientôt (janvier 2021) par l’académie, qui en est propriétaire, et les archives municipales de Lyon ?
Sabine de Parisot : Nous sommes intervenus sur cette œuvre pour qu’elle soit présentable à l’exposition. Nous l’avons traitée en faisant simplement un allègement très fin et en intégrant des retouches sur d’anciennes retouches car nous ne voulions pas toucher en profondeur la dérestauration. Cela aurait nécessité un travail assez lourd pour une intervention d’assainissement. Ce tableau n’était pas dans un état de dégradation urgente et nous avons fait le choix de s’en tenir au minimalisme, c’est-à-dire de traiter l’aspect purement esthétique.
Quels produits et quelles techniques utilisez-vous ? Vous portez des masques [c’était avant le confinement !], y a-t-il des dangers pour les restaurateurs ?
Sabine de Parisot : Les produits utilisés pour procéder au dévernissage sont une combinaison de différents hydrocarbures, etc., choisis après avoir été testés. Ils nous permettent de dégager la première couche de vernis. En premier lieu, nous procédons à un dépoussiérage face et revers ainsi qu’à un décrassage avec un tensio-actif. Le revers de la toile a été gommé de manière à décrocher à sec la couche de crasse acide ; nous avons pu dégager aussi la poussière et les amalgames qui auront pu glisser entre le châssis et la toile. Toute manipulation de solvants comporte obligatoirement des risques, le conservateur-restaurateur porte un masque de protection lors de ses interventions.
CC : Quels sont les risques de commettre des erreurs irréversibles ?
Sabine de Parisot : Le risque de commettre des erreurs irréversibles fait partie du risque humain. Il peut être la preuve d’un comportement innocent ou imprudent, voire incompétent. Nous avons veillé à ce que le professionnalisme qui nous a été demandé soit de mise. Notre intervention fut très légère.
Sabine de Parisot est restauratrice. Elle enseigne en filière conservation-restauration du patrimoine.
Propos recueillis par Pierre Crépel
Note : Cet entretien s’est volontairement limité à des questions naïves au plus près du travail effectué dans la salle de l’académie. Nous n’abordons pas ici divers problèmes importants tels que la concurrence entre écoles publiques et privées, les différences de diplômes, le coût des études, les débouchés des étudiants, les conditions de travail des personnels, la place de l’argent dans les métiers d’art. Nous souhaitons y revenir dans un proche avenir.
Cause commune n° 20 • novembre/décembre 2020