Rubrique coordonnée par Jeremie Giono
Seize ans seulement que Facebook, le plus connu des réseaux sociaux, et pionnier dans ce domaine, a vu le jour. D’un projet d’étudiant, il est devenu un véritable espace public virtuel, et de nombreux autres réseaux ont emboîté le pas à Marc Zuckerberg. Aujourd’hui, plus des deux tiers des Français ont un compte sur un ou plusieurs de ces réseaux, y passant de très nombreuses heures heures par semaine. Ce nouvel « écosystème » des relations sociales a émergé rapidement, et interroge sur le remodelage des rapports entre les hommes et les femmes qu’il génère. Car aucun support n’est neutre. Gardons-nous toutefois d’un jugement trop négatif, car même ces espaces peuvent être le chemin du vent de révolte populaire, comme l’a, par exemple, démontré le mouvement des « gilets jaunes ». Si un travail d’analyse et de prise de recul est indispensable, nous allons ici nous concentrer sur quelques aspects liés à notre visibilité politique dans cet espace. Si une présence sur les réseaux ne remplace pas le contact direct, elle peut en être un atout, un de plus pour un Parti comme le nôtre !
Les communistes doivent devenir des militantes et des militants du Web
Entretien avec Julia Castanier
Le confinement a mis en lumière une réalité pourtant déjà bien en place : les réseaux sociaux sont aujourd’hui un espace central de diffusion de l’information. Cause commune fait le point avec Julia Castanier, directrice de la communication du PCF sur la stratégie du PCF dans cet espace public virtuel.
Comment le PCF décline-t-il sa stratégie sur les réseaux sociaux ?
Notre communication a deux objectifs : diffuser nos messages politiques, et mobiliser militants et sympathisants. Sur les réseaux sociaux, il ne suffit pas de publier du contenu, il faut aussi faire vivre des « communautés d’utilisateurs » pour les relayer. Chaque réseau social est spécifique, avec ses types d’utilisateurs, ses algorithmes, etc. Nous devons donc adapter notre intervention pour être efficace.
Facebook est le réseau généraliste, là où on trouve le plus de communistes. Le parti y publie donc des supports de campagnes (visuels, vidéos, etc..) orientés vers la mobilisation collective. L’enjeu est de faire de chaque communiste un acteur de la diffusion de nos messages, et pas seulement un spectateur. Sur Twitter, la tonalité est différente, car la cible est davantage la presse : ce réseau est devenu l’espace d’influence médiatique politique. Le parti l’utilise donc pour réagir à l’actualité, tout en développant un ton qui lui est propre, en utilisant une forme d’humour. Sur Instagram, le public des utilisateurs est plus jeune, nous essayons donc d’adapter notre communication à leurs préoccupations. Nous y avons, par exemple, créé un compte Red is the new Green, afin de diffuser des messages autour de notre combat écologiste. Enfin, sur YouTube la logique est d’être son propre média au travers de vidéos, c’est un espace que nous avons un peu sous-estimé mais nous montons en puissance depuis le confinement.
Justement, quel effet le confinement a eu sur la présence communiste sur ce terrain ?
Le confinement aura fait office d’accélérateur : alors que toute la communication papier était inutilisable, que le contact direct était par définition limité, l’espace virtuel s’est retrouvé sur le devant de la scène, seul lieu de débat public restant. Nous avons donc notamment fait des lives tous les soirs, avec des personnalités sociales et politiques. C’était un gros travail, mais la diffusion était intéressante : en moyenne, entre 7 000 et 8 000 vues par vidéo, et plus du double pour la vidéo avec Philippe Martinez et Fabien Roussel. Nous gagnons des followers chaque jour, notre audience est en progression même si nous restons un « petit » émetteur par rapport à d’autres mouvements politiques issus de l’élection présidentielle de 2017.
Quelles sont les limites de ces réseaux, et aurais-tu quelques conseils sur comment s’y prendre pour être efficace ?
Comme je l’indiquais, chaque réseau a son fonctionnement propre, qu’il faut connaître pour y agir efficacement. Sur Facebook par exemple, un effet de bulle se forme très facilement : on se parle entre nous, mais pas au-delà. La mobilisation la plus large est donc nécessaire, pour augmenter la diffusion. Dans le cadre de campagnes locales, il faut aussi cibler les profils par lieu de résidence, et identifier les groupes existants sur lesquels on peut diffuser des contenus (ex : « si tu viens de perpette-les-oies »). Bien garder à l’esprit qu’il vaut mieux toucher vingt personnes en dehors de nos cercles mais qui résident sur le territoire que cent communistes convaincus d’ailleurs en France.
Sur Twitter, le jeu est un peu différent : un élément-clé pour être diffusé est d’arriver à activer des « influenceurs », profils actifs sur tel ou tel combat. Le but est donc de cibler nos messages, tout en utilisant un ton original. La base pour un bon tweet, c’est de se dire « Est-ce que j’aurais envie de le retweeter (partager) si ce n’était pas de moi ? » : en fait, c’est comme à chaque fois qu’on écrit, on ne le fait pas pour soi mais pour ceux qui vont lire.
Enfin, quelques astuces sont à utiliser. Chaque réseau permet de créer des groupes privés, sous une forme ou une autre, et c’est un bon outil pour mobiliser le « premier cercle » afin qu’ils diffusent nos contenus. L’utilisation d’un Hashtag simple permet de lier les différents messages d’une campagne, et aussi de massifier sur certaines actions en faisant en sorte que chacune et chacun publie des contenus personnalisés. C’est une de nos belles réussites de la campagne des élections européennes, le #passansnous destiné à protester contre l’exclusion de notre candidat du plateau de France 2, accompagné de milliers de photos de chats (en référence au reportage sur les chats de Marine Le Pen) et du message « les chats communistes aussi veulent être entendus ». Rappelons-nous, nous avons gagné cette bataille en créant le buzz sur les réseaux, et tous les candidats ont finalement été invités. Preuve que ce qui se passe sur les réseaux sociaux peut peser dans le rapport de force !
Fiche pratique
Facebook, le passage obligé
Assurer notre visibilité sur ce réseau est désormais incontournable. Plusieurs outils distincts existent :
Le profil individuel, porte d’entrée. C’est la base, il permet d’entrer en contact avec les autres, et de créer des pages et des groupes. Il est personnel, ce qui veut dire qu’on ne peut théoriquement pas créer un profil pour une organisation. Par contre, si vous occupez des responsabilités (élu, secrétaire de section, etc.) vous pouvez tout à fait créer deux profils, un « personnel » et un « officiel », si vous souhaitez séparer les choses. Car même si l’on a parfois l’impression d’être « entre amis », il faut garder à l’esprit que ce qui est publié sur Facebook est plus similaire à une prise de parole en place publique qu’à un échange privé !
La page, visibilité d’une organisation. Elle permet une forme de communication plus officielle, mais doit être animée pour susciter l’intérêt en multipliant les personnes qui la suivent. À noter que les pages permettent d’obtenir des statistiques de visibilité de leurs publications, un bon outil pour mesurer l’efficacité de nos campagnes.
Le groupe, pour partager des informations dans un cercle de membres. Il peut être privé – un groupe de section par exemple – ou public, du type « si tu viens de telle ville… ». Repérer les groupes de son territoire est important, tout en mesurant quel type d’information y est toléré, car certains modérateurs peuvent être frileux avec les contenus politiques. Ils permettent de voir des réactions que l’on ne verrait pas autrement, et d’y réagir, véritables « agoras virtuelles ». Pour construire un rayonnement localisé, il faut éviter le piège des boucles exclusivement militantes : repérer les groupes locaux, demander des gens de sa commune comme « amis », réagir, etc. pour se constituer progressivement une audience répondant à notre objectif d’ancrage local. Assurer un équilibre dans les contenus que l’on diffuse est aussi important : entre les aspects militants, les positionnements locaux sur des sujets concrets et des sujets plus personnels éventuellement. Ne pas tomber dans la caricature du « militant professionnel », toujours se poser la question : pour qui on publie ? Qui on veut toucher et « fidéliser » ?
Astuce : les vidéos
Les contenus vidéos ont une bonne visibilité, surtout via un profil individuel. Deux possibilités assez simples : d’un côté, réaliser de courtes vidéos « prise de position », avec un smartphone ; de l’autre, pour les élus, récupérer et découper un passage des conseils filmés – ce qui est de plus en plus fréquent – pour valoriser une intervention. Les contenus courts sont beaucoup plus appréciés, éviter donc d’aller au-delà de trois minutes. Un sous-titrage augmente aussi la visibilité, YouTube propose un tutoriel assez simple pour le faire :
https://youtu.be/YE1mhzAy_Bg .
Twitter, la visibilité médiatique
Ce n’est pas sur ce réseau que vous pourrez toucher massivement les gens du quotidien, mais les institutions et les journalistes y sont actifs. Vous pouvez les accrocher par des réactions courtes et percutantes, avec toujours un trait d’humour.
Faire le lien entre les supports
Pour augmenter la visibilité de vos contenus, il ne suffit pas de publier sur un réseau social. Vous pouvez par exemple poster une publication avec votre page de section, la relayer sur Twitter, la partager sur votre profil Facebook et encourager les camarades à faire de même en la relayant dans le groupe privé de la section, la publier dans des groupes publics, etc.
Astuce : la pétition en ligne
Animer une pétition permet de gagner en visibilité, et de récupérer des contacts. Attention, les plus gros sites de pétition tels que Change.org sont plus visibles, mais n’offrent pas la possibilité de récupérer les coordonnées des signataires. À l’inverse, un site comme petitions.fr permet de les récupérer, mais sera spontanément moins visible. Il convient donc pour une campagne locale ciblée, mais nécessitera une animation forte pour gagner en visibilité.
Astuce : le sponsor Facebook
Sur Facebook, il est possible de payer de la publicité sur une page. Les pages directement politiques doivent remplir des conditions plus drastiques, il faut donc s’y prendre à l’avance. Le ciblage est alors primordial, par territoire, afin d’assurer une visibilité auprès des gens que l’on souhaite toucher. On peut alors croiser avec une pétition en ligne, pour multiplier sa visibilité et récupérer des coordonnées. Attention toutefois, ce type de publicité est strictement interdit en période de campagne électorale (six mois avant un scrutin) !
Abécédaire
Algorithmes règles informatiques qui déterminent la visibilité des publications sur un réseau social. En général, les effets de boucle sont encouragés, c’est-à-dire que vos publications sont vues davantage par les gens qui ont réagi précédemment sur vos publications. Chaque réseau a son propre fonctionnement, et les algorithmes évoluent en permanence.
Facebook principal réseau social, avec 37 millions d’utilisateurs en France. Réseau large, avec des groupes locaux de partage d’informations, et une plus grande visibilité des profils individuels que des pages d’organisations.
Influenceurs utilisateurs ayant une communauté importante qui suit leurs publications, en en faisant des « leaders d’opinions ».
Instagram réseau social centré sur les partages de photos, avec 17 millions d’utilisateurs en France. Le public y est plus jeune que sur les autres réseaux sociaux.
Twitter réseau social d’influence médiatique, avec 16,8 millions d’utilisateurs en France. Sur ce réseau, les « influenceurs » ont une plus grande portée en matière de visibilité.
YouTube Plateforme de vidéos en ligne, avec 39 millions d’utilisateurs en France. Les contenus proposés sur le fil d’actualité le sont par effet d’associations ; plus vous regardez certains types de contenus plus la plateforme vous propose des contenus du même type.
#UrgenceEducation
Une expérience de manifestation numérique
La crise sanitaire a été instrumentalisée pour accélérer les politiques libérales, notamment en matière d’éducation. Et avec le confinement, impossible de protester en se rassemblant dans la rue ! Le réseau école a alors commencé des manifestations sur les réseaux sociaux, tous les mercredis après-midi entre le 20 mai et le 3 juin. L’objectif était de mobiliser les camarades autour des propositions du plan d’urgence pour l’éducation et d’alerter les médias et la population sur la menace de destruction de l’école unique.
Le mode d’emploi était simple : les participants étaient invités à se prendre en photo avec une pancarte, si possible dans un lieu symbolique (comme une école fermée), et à poster leur photo sur les réseaux sociaux avec le hashtag #UrgenceEducation.
Ce mode d’emploi a été diffusé sur les réseaux sociaux et envoyé aux fédérations et aux contacts du réseau école, accompagné de modèles de pancartes et de slogans. Les sections et fédérations ont été invitées à solliciter les camarades enseignants, parents d’élèves ou élus, à informer les organisations syndicales et de parents d’élèves de notre initiative, la presse. Quelques sections et fédérations ont organisé la mobilisation de leurs adhérents, en les rassemblant devant des écoles, en recueillant des photos individuelles, en réalisant des vidéos...
Ces manifestations ont réuni chaque semaine plus de camarades et ont augmenté la fréquentation de notre Facebook et du site du réseau école. Elles ont été moins suivies sur Twitter : les militants communistes y sont encore trop peu présents, alors même que c’est un réseau très utilisé par les journalistes.
Ces manifestations virtuelles se sont peu élargies au-delà des camarades du PCF, hormis dans les sections et les fédérations qui s’en sont emparées pour réaliser un travail de terrain, avec des acteurs de l’éducation pour constituer un réseau de travail et d’action, ou en allant à la rencontre de la population devant les écoles. Ainsi les réseaux sociaux peuvent donner de la visibilité aux actions de terrain mais ne peuvent pas s’y substituer.
Le Réseau École
Une chaîne YouTube : Sur les épaules de Marx
Nous avons créé SLEM, la chaîne YouTube « Sur les épaules de Marx », début 2019. La volonté de monter une chaîne de vulgarisation en économie marxiste est venue d’un constat : il n’existait aucune vidéo sur des formats de courte durée, accessible à la compréhension à tous, sur des contenus marxistes en économie. Les annonces de Macron après les manifestations des gilets jaunes ont été un point de départ : nous voulions dénoncer les fausses hausses de salaire qu’il prévoyait.
Nous avons ainsi créé une première saison pour analyser les méthodes, les stratégies, les entourloupes des capitalistes pour augmenter l’exploitation des salariés. La deuxième saison a été consacrée aux sans-emploi, sur fond de réforme de l’assurance-chômage. Nous avons détricoté les fausses bonnes solutions qui font l’actualité (flexibilité, baisse du « coût du travail », etc.) et mis en avant l’analyse marxiste.
Lancer sa chaîne YouTube est accessible à tous. Après quelques essais, on prend rapidement en main les fonctionnalités. Une fois la chaîne créée, le défi est d’assurer sa large diffusion. Nous avons créé un compte Facebook pour annoncer les publications des vidéos, ainsi qu’un compte Twitter. Tout doit être réfléchi : trouver le bon titre, la bonne approche, la bonne manière de présenter les choses, la bonne heure où publier etc. Cela demande aussi une veille très régulière : publier dans de multiples groupes Facebook, créer des visuels pour annoncer et donner envie de voir les vidéos, etc. Une diffusion à large échelle demande aussi un investissement financier pour sponsoriser les publications.
Créer une chaîne de vulgarisation marxiste est un investissement important, c’est un outil clé dans la bataille idéologique et dans la formation interne dans une période où l’économie est perçue comme inaccessible, alors qu’indispensable à la transformation du monde. En effet, sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire !
Thalia Denape est membre de la commission économique du Conseil national du PCF.
Réseaux sociaux et militantisme
A l’heure de la révolution informationnelle, de l’émergence des nouvelles technologies et des nouveaux moyens de communication, les réseaux sociaux sont devenus un enjeu majeur quant à la diffusion de nos idées. Ils ne remplacent pas la communication « traditionnelle » mais viennent la compléter et ouvrent des perspectives quant à notre réflexion sur la façon de toucher les jeunes.
Pour de nombreux jeunes ce sont désormais les premiers médias dans lesquels ils vont puiser leurs informations et leurs connaissances.
L’enjeu est triple pour le MJCF.
D’une part, il est nécessaire de communiquer sur les actions des militants au niveau local, et de les relayer par la suite sur les réseaux sociaux du MJCF afin de donner un caractère national aux activités du mouvement. Nous cherchons ainsi à mettre en avant nos campagnes nationales à travers l’activité des fédérations.
D’autre part, nos réseaux sociaux s’inscrivent pleinement dans la bataille culturelle que nous devons mener, pour casser les préjugés sur le communisme et les communistes, et pour porter et diffuser des valeurs de gauche face à l’idéologie néolibérale mais aussi fasciste très présente sur ces nouveaux moyens de communication. C’est notamment l’objectif de la page Histoire des luttes que nous avons lancée sur Facebook, Twitter et Instagram pour montrer une autre version de l’histoire, des mouvements populaires et des conquêtes sociales.
Enfin le troisième objectif est que nos réseaux deviennent vecteurs d’information et de politisation pour les jeunes et les incite à adhérer et renforcer l’organisation.
La présence du MJCF sur les réseaux sociaux n’est donc pas une fin en soi et ne remplace en aucune mesure le militantisme de terrain. Cette présence ouvre tout simplement de nouveaux champs d’action pour toucher les jeunes, les convaincre de transformer la société et pour ceci, de rejoindre notre organisation.
Léonard Léma est coordinateur national du MJCF en charge de la communication.