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L’organisation du parti à l’entreprise a longtemps été une priorité centrale au PCF. À l’apogée de la « classe ouvrière » – les « ouvriers de métiers », en réalité –, il y a un demi-siècle, une grande part de la force communiste résidait dans ses sections et cellules d’entreprise. Puis deux révolutions, numérique sur le plan productif et libérale sur le plan de l’organisation et des représentations de la société, sont venues percuter cette réalité, asséchant le terreau sur lequel elle prenait son assise.

Il faut bien mesurer que le recul de notre organisation réside principalement dans le changement d’époque qui s’est manifesté entre la fin du XXe siècle et nos jours, changements profonds d’organisation du travail et de la vie. Mesurer cela est le premier pas vers un nouvel élan, pour resituer la part de la volonté politique à sa juste place et chercher à construire l’organisation politique du monde du travail d’aujourd’hui à partir du réel de notre société.
Car telle est bien une des raisons d’être du Parti communiste, et ce depuis bien avant qu’il ne prenne ce nom : organiser politiquement le monde du travail, pour lui permettre de porter une parole autonome de celle des possédants, sa propre parole.
Le dernier congrès a réaffirmé cet objectif, et donc celui de renforcer notre implantation sur les lieux de travail, dans le monde du travail. Un immense chantier s’offre à nous... Des exemples existent déjà, des réseaux se restructurent, et c’est en mettant ces expériences en commun que nous pourrons avancer plus efficacement. L’objectif de ce dossier est d’y contribuer. Bonne lecture !


Abécédaire

Concentration du capital.
La France compte 3,8 millions d’entreprises, mais 3 000 (<0,1%) portent à elles seules 52% de la valeur ajoutée, soit ¼ du PIB national, 83% des exportations, 70% de l’investissement, et embauchent 20% de l’emploi total du pays. 71% des salariés travaillent dans une entreprise qui dépend directement d’un groupe majeur.

Contrat à durée indéterminée.
Représente environ 90 % des salariés, y compris précaires (faible temps de travail fixe par exemple).

Distance domicile-travail.
Un tiers des travailleurs n’habitent pas dans la même intercommunalité que leur lieu de travail, le nombre de déplacements domicile-travail importants augmente chaque année.

Économie sociale et solidaire (associations, mutuelles, coopératives...).
Elle représente 10,5 % de l’emploi total en France, en constante augmentation depuis les années 2000, mais pour seulement 1% du PIB.

Industrie manufacturière.
Elle représente 10% de l’emploi total en France, et 10% du produit intérieur brut, mais c’est 41% du chiffre d’affaires généré par les 80 principaux groupes français.

Métropoles.
Elles concentrent près de 29% des emplois en France, en constante augmentation au détriment du reste du territoire.

Travailleurs précaires.
Contrat à durée déterminée (CDD), intérimaires, contrats aidés, apprentis... ils représentent 13,7% de l’emploi total en France, inégalement répartis selon les branches (32% des ouvriers agricoles, 19% des ouvriers, 18% des employés du commerce... mais seulement entre 3% et 4% des agents de maîtrise/contremaîtres et des cadres
du privé).

Services marchands.
Ils représentent 50% de la population active, et 56,1% du PIB, en augmentation depuis plusieurs décennies.


Un plan de travail national

à décliner sur la durée dans les fédérations

• Désigner un ou deux référents par fédération, avec l’objectif d’animer une commission locale de travail autour du redéploiement vers les entreprises et le monde du travail.

• Recenser et identifier les forces du parti dans le monde du travail localement, et notamment dans les groupes stratégiques (EDF, SNCF, multinationales, etc.), pour se fixer des objectifs réalistes de constitution de collectifs locaux en lien avec les réseaux nationaux.

• Prendre appui sur le tour de France de Fabien Roussel pour renouer des contacts avec le monde syndical, à suivre ensuite sur la durée.

• Référencer un réseau de syndicalistes locaux adhérents ou proches du parti, pour travailler avec eux autour de la complémentarité entre action syndicale et action politique. Proposer fréquemment à des militants syndicaux d’intégrer les listes du parti aux élections, pour porter leurs combats sur ce champ-là, et les accompagner dans les campagnes électorales.

• L’objectif est de se doter d’un plan stratégique de réimplantation, ciblé en fonction des forces et enjeux locaux, et de constituer un collectif de suivi sur la durée. Une commission fédérale peut aider à faire émerger des animateurs de tel ou tel collectif de filière, coordonner les moyens du parti pour soutenir ces objectifs, mettre les adhérents et sympathisants en réseaux, relayer et soutenir les combats syndicaux pour gagner en crédibilité politique...

• Une conférence nationale se tiendra à l’automne 2020 sur ce chantier, préparée par des initiatives régionales. Les fédérations sont invitées à s’en emparer, en lien avec le secteur national « Entreprises et lieux de travail ».


Trois questions à Aymeric Seassau

Membre du comité exécutif national et responsable « Entreprises ».

Lors de son dernier congrès, le PCF a mis l’accent sur l’importance de restructurer son activité vis-à-vis du monde du travail. Quelles sont les motivations politiques qui sous-tendent ce choix ?
À la veille du centenaire du PCF, il y a matière à repenser notre rapport à celles et ceux qui travaillent, à leur organisation et à leur émancipation qui fonde l’action communiste. Nous ne le faisons pas par atavisme mais parce que l’entreprise est une question politique. « La grande Révolution a rendu les Français rois dans la cité et les a laissés serfs dans l’entreprise », nous disait déjà Jaurès. Comme en écho, Pierre Gattaz répondait récemment « l’entreprise n’est pas une question politique ». Le lieu de travail reste pourtant l’endroit où nous passons le plus de temps, le lieu qui structure la vie, par le revenu bien sûr, mais aussi par le lieu de résidence, les trajets domicile-travail, parfois les vacances avec les propositions des comités d’entreprise. C’est sur le lieu de travail que se forgent des expériences et des mentalités sur lesquelles peuvent s’imposer les idées dominantes, comme se construire une conscience de classe à partir d’un vécu très structurant. C’est donc naturellement un lieu de socialisation politique mais aussi un enjeu politique en soi. Il est pour nous déterminant. D’ailleurs, dans le bras de fer actuellement engagé sur les retraites, si les manifestations restent importantes parce qu’elles permettent de donner à voir l’état de la mobilisation, c’est l’action des travailleurs sur leur lieu de travail qui reste déterminante. Voilà pourquoi nous posons comme priorité pour les communistes de mener la bataille idéologique à l’entreprise.

« Il nous faut désormais appréhender le travail de reconstruction à l’image de ce que sont les entreprises aujourd’hui. »

Comment appréhendes-tu ce chantier au vu de l’état des forces du PCF d’aujourd’hui ?
Si nous restons le parti le plus implanté dans les entreprises, nous ne pouvons plus nous reposer sur nos lauriers. Il y a là un enjeu vital. Heureusement, c’est un travail enthousiasmant et largement partagé par les communistes comme en témoigne le vote à l’unanimité du conseil national sur le relevé de décisions après un débat sérieux et fraternel. Il nous faut désormais appréhender le travail de reconstruction à l’image de ce que sont les entreprises aujourd’hui. Le monde de l’entreprise est un monde très concentré, c’est-à-dire que l’essentiel de l’activité économique des entreprises est le fait d’un nombre très restreint d’entre elles. C’est un monde très internationalisé : près de 50 % de salariés, femmes et hommes, en France sont dans une firme multinationale. C’est un monde très financiarisé, avec la montée de la structure de groupe financier comme forme dominante, jusque dans les petites et moyennes entreprises. Enfin, c’est un monde très « servicisé », avec des activités tertiaires devenues dominantes, jusqu’à compter 50 % d’emplois de services en France dans les « entreprises » industrielles. Et il faut naturellement prendre en compte l’apparition du capitalisme de plateforme et son effet sur la structuration de nos économies et sur les travailleurs au premier chef.

Quelles sont les pistes pratiques pour rendre concret ce travail ?
Nous avons adopté un relevé de décisions que nous avons voulu détaillé et opérationnel. D’abord, il s’agit de mieux connaître l’état de nos forces avec l’ambition de mettre en lien des communistes d’un même secteur d’activité. Cela permettra un meilleur travail d’élaboration mais aussi d’action pour reconstruire progressivement des cellules et sections d’entreprise. Par ailleurs, nous travaillons à la réalisation d’une publication régulière à destination des entreprises. Pour mettre en œuvre ce chantier, le tour de France des entreprises engagé par Fabien Roussel est un point d’appui précieux. Il révèle des attentes nombreuses chez les salariées et salariés et nous permet aussi de déployer nos propositions en direct. En un mot comme en cent, nous avons besoin de la mobilisation du parti tout entier et nous travaillons avec les fédérations et avec les sections à définir ensemble des objectifs soute­nables.


Moulins (03)
Tour de France

Quand le tour de France de Fabien Roussel stimule la création d’une cellule des cheminots

Sébastien Claire est très investi dans le syndicat CGT des cheminots, majoritaire sur ce site de cent vingt agents au cœur de l’Allier. Cela fait quelque temps qu’il a le projet de reconstituer une cellule d’entreprise du PCF, et c’est la venue de Fabien Roussel en octobre qui lui a permis de donner le coup d’envoi.
« La restructuration de la SNCF suite aux réformes fragilise réellement les cheminots, avec une casse de nos métiers, alors ils sont vraiment demandeurs d’échanges et d’écoute. » C’est donc tout naturellement que s’organise cette rencontre, dans le salon d’attente voyageurs de la gare de Moulins. La participation est au rendez-vous : près d’une quarantaine de cheminots viennent échanger avec le secrétaire national du PCF. Ça discute conditions de travail, maintenance, service public… bref, « ça parle de la vraie vie » de ces agents, malmenés par les politiques libérales.
Et Sébastien mesure la bascule que crée cette rencontre : « Après, on a écouté les prises de paroles médiatiques de Fabien, et quand il parle du ferroviaire on retrouve nos mots. Ça, ça touche les collègues, qui ont le sentiment d’être enfin écoutés et représentés ! »
L’initiative porte ses fruits : trois nouvelles adhésions, des cheminots qui sollicitent le parti dans les territoires pour porter leur voix dans les campagnes municipales – « Je n’y aurais pas cru avant ! » nous confie Sébastien –, et une belle dynamique pour construire cette cellule d’entreprise.
« Je pense qu’on peut faire une dizaine de cartes sur les prochains mois, on a vraiment besoin de prolonger politiquement notre combat syndical, parce qu’on ne gagnera pas tout seuls. Et il s’est passé quelque chose, le regard sur le PCF a vraiment évolué avec cette action… »
Le train est en marche, bon courage aux camarades cheminots de l’Allier ! 


Puy-de-Dôme (63)
L’Humain d’abord, un journal aux entreprises

Depuis une dizaine d’années, la fédération du Puy-de-Dôme anime un journal à destination des entreprises, L’Humain d’abord. Le format de six pages est réparti entre un dossier central sur trois pages – le dernier numéro porte sur la réforme des retraites –, un édito du secrétaire fédéral ou d’André Chassaigne, député du Puy-de-Dôme, et deux pages de témoignages sur des entreprises locales, selon l’actualité.
Tirés à quinze mille exemplaires, trois numéros sortent par an, diffusés aux portes des entreprises et sur les principaux carrefours de la métropole aux heures de pointe, dans les bouchons. La rédaction est assurée par un collectif interprofessionnel.
La fédération a en effet mesuré la difficulté de recréer des cellules d’entreprise actuellement, et fait le choix de ce travail en « interpro » pour informer les salariés. Le noyau du collectif est constitué d’une douzaine de camarades, mais un travail d’élargissement est régulièrement mené pour associer de nouveaux militants.
Cet outil permet de diffuser la réflexion du parti, mais aussi de relayer les luttes en cours, au travers d’interviews de syndicalistes par exemple. Un support simple et efficace pour donner au PCF une audience large.


Gironde (33) 
Un collectif « Entreprises » qui réactive des réseaux de branche

La fédération de la Gironde dispose d’une commission « Entreprises » fonctionnant par intermittence, qui a orienté ces dernières années son travail sur l’organisation progressive par branche d’activité.
Les premiers résultats se sont fait jour du côté des cheminots, où une douzaine d’adhésions ont été réalisées ces dernières années, portant l’effectif de la section d’entreprise à environ vingt-cinq camarades actifs, agents de la SNCF bien sûr, mais aussi de sous-traitants. Un cap a pu être franchi depuis qu’un camarade a pris l’animation de la section, ce qui change tout. Au départ, la fédération a joué un rôle de soutien et d’accompagnement, en aidant à l’organisation de distributions au restaurant d’entreprise ou aux usagers, et aujourd’hui la section agit de manière autonome.
Un travail similaire est envisagé auprès des agents territoriaux, ainsi que des salariés de l’énergie. S’agissant de ces derniers, la demande a émergé de deux camarades investis au syndicat, il y a un an environ. Partant du constat d’une dépolitisation globale dans l’entreprise, ces communistes ont manifesté le souhait de réorganiser le parti à destination des électriciens et gaziers, pour porter un message complémentaire à celui du syndicat. Une cellule existe encore pour EDF, mais elle ne regroupait plus que des retraités. Le parti s’est donc impliqué plus fortement en soutenant des mobilisations, notamment contre le projet Hercule (démantèlement d’EDF), et des distributions
spécifiques ont été menées sur les élections européennes. Le travail com­mence à payer, suscitant de bons retours et plusieurs adhésions parmi les militants syndicaux. Le groupe est encore embryonnaire, avec une quinzaine d’adhérents, mais l’objectif est qu’une ou un camarade l’anime, pour suivre le même chemin que chez les cheminots.
Pas de mystère ni de solution miracle, seul un travail d’organisation sur la durée permet d’avancer.


Valenciennes (59)
Un syndicaliste qui s’engage aux côtés du PCF

Ascoval, une aciérie de deux cent cinquante salariés dans le Valenciennois. Une usine placée en redressement judiciaire en novembre 2017, menacée comme tant d’autres, mais qui doit sa survie au combat de ses salariés en faveur d’une reprise. Les syndicalistes de la CGT ont été en pointe dans cette bataille, ne ménageant pas leurs efforts pour convaincre que l’entreprise avait un avenir.
Nacim Bardi est l’un d’eux. Lorsque Fabien Roussel lui propose de figurer sur la liste du PCF aux élections européennes, il réserve sa réponse et accepte finalement lorsque l’usine trouve un repreneur : pas question de lâcher les collègues ! Pour lui, c’est un moyen de faire connaître une belle victoire, fruit de l’action collective. Et aussi de soutenir les communistes.
« Aujourd’hui, le PC, c’est le vrai parti de gauche, qui se bat pour les ouvriers. Alors il faut le soutenir. »
Au départ, sa candidature n’est pas évidente. « Je ne voulais surtout pas qu’on me reproche une quelconque ambition personnelle, ma seule ambition est l’intérêt collectif ! Du coup, finalement j’étais encore plus présent à l’usine pendant la campagne, pour continuer à faire le job… »

« Certains pensent que quand on est au syndicat on ne doit pas faire de politique, que c’est un gros mot. Mais on est obligé d’en faire, de la politique ! »

Et l’expérience aura été très intéressante : « Quand on se déplace dans tout le pays, on s’aperçoit que le Parti communiste est bien vivant, qu’il rajeunit, qu’on peut faire des choses ! ».
Au final, le bilan de cette campagne est très positif pour le candidat. Dans l’entreprise, Nacim est certain que « plusieurs salariés qui votaient RN par dépit ont cette fois-ci voté PCF, parce qu’ils me connaissent, du coup ils ont maintenant une autre image que celle donnée par les média… Le RN surfe sur la misère, mais ils n’ont aucun discours sur l’industrie, ils sont déconnectés ! Et c’est sur le terrain qu’on peut le démontrer, en étant présent ».
Côté syndical, son implication politique n’a pas freiné la progression de la CGT, qui passe pour la première fois en tête aux élections professionnelles, devant la CFDT historiquement majoritaire. « Je suis peut-être engagé politiquement, mais ce qui compte pour les salariés, c’est qu’on a toujours tenu le même discours, qu’on a fait le boulot pour sauver la boîte. »
En conclusion, Nacim nous fait partager sa conviction que « certains pensent que quand on est au syndicat on ne doit pas faire de politique, que c’est un gros mot. Mais on est obligé d’en faire, de la politique ! Quand on se bat contre une réforme des retraites, c’est politique, et ce qui se passe dans notre usine, c’est directement la conséquence des politiques européennes. L’Union européenne se tire une balle dans le pied sur l’industrie, en favorisant le dumping social et environnemental. Il faut bien se battre pour que ça change à tous les niveaux ».

Cause commune n° 14/15 • janvier/février 2020