Au cœur du bourg de Dollon, dans la Sarthe, se trouve un « Musée de musique mécanique » : www.musicmagic.fr. Son fondateur (qui fut électricien, réparateur de radio et hi-fi, tailleur de pierres, accordeur de piano) nous explique les fondements, les détours et les subtilités scientifiques et techniques de ces petites machines magiques qui ont eu un grand succès entre 1800 et 1960.
Quels sont les principaux instruments du musée et comment marchent-ils ?
La boîte à musique
C’est l’instrument le plus simple à comprendre et le plus dur à fabriquer ! Le principe est à la portée de tous. On a un cylindre sur lequel on a disposé des picots en fonction de l’air qu’on veut jouer, on le fait tourner, les picots soulèvent des lames qui vibrent comme un couteau placé au bord d’une table. C’est une machine très spécifique : contrairement aux autres, ce n’est pas un instrument dont on jouait déjà manuellement et qui aurait été automatisé ; elle a été construite directement et non copiée sur un modèle. Pourquoi est-ce difficile à fabriquer ? Parce qu’il faut de la précision, c’est presque microscopique ; en outre, pour que les lames qui vibrent donnent les bons sons, il faut que l’acier soit trempé juste comme il faut. Il y a donc de l’acoustique, de la mécanique de précision (d’ailleurs c’est fabriqué dans les pays horlogers) et une bonne maîtrise du métal.
Le piano mécanique
Ici, il s’agit d’un instrument bâti sur le même principe de lecture que la boîte à musique, mais à cordes frappées. En langage populaire on les appelait des bastringues. Ils étaient beaucoup utilisés dans les bistrots ou les maisons closes et étaient munis d’un monnayeur. Dix airs étaient pointés sur le cylindre et l’on pouvait les sélectionner manuellement. Ils ont été ensuite remplacés par les juke-boxes.
L’orgue mécanique
On a un carton perforé qui défile. C’est inspiré du métier à tisser de type Jacquart. Au passage de chaque trou, une griffe se soulève et ouvre une soupape qui distribue l’air dans les tuyaux d’orgue. C’est donc un instrument à vent, comme un orgue d’église, mais automatisé.
Le pianola
Là, c’est un robot qui joue sur un piano normal. Le support de la partition est un papier perforé. Il n’y a pas de griffes, on est obligé de pédaler. Si un trou du papier passe devant un trou dans une barre en laiton, ça avale de l’air par dépression, ce qui gonfle un soufflet, qui appuie sur la touche du piano. C’est donc la conjonction entre un instrument à cordes frappées (un piano) et un robot placé devant (qui n’a rien d’acoustique).
Le phonographe
C’est un enregistrement puis une restitution, cela se passe donc en deux temps. Dans le premier, on parle ou on chante dans le pavillon, les vibrations de la voix font vibrer une membrane, un petit burin solidaire de celle-ci grave un cylindre en cire vierge qui tourne ; on obtient ainsi des minuscules montagnes sur le cylindre. Dans le second, une tête de lecture avec un saphir lit les vibrations inscrites sur la cire et cela fait vibrer la membrane qui reproduit le son. C’est toujours l’air qui vibre (base de l’acoustique), mais ici, ce n’est plus une corde, ni une lame, mais une membrane qui crée le son. Les disques et microsillons fonctionnent selon un principe voisin.
Le « concert roller organ »
Le « concert roller organ » est un instrument américain qui fut beaucoup utilisé aux États-Unis et en Angleterre par l’Armée du salut pour chanter des cantiques religieux. C’est un instrument à vent et à anches (comme les harmoniums, accordéons, harmonicas), le seul instrument qui avait des cylindres en bois pointés, fabriqués déjà en série à la machine vers 1890. Tous les autres cylindres étaient faits à la main à l’unité. Une autre particularité de cet instrument implique que le cylindre tourne en avançant (hélicoïdalement), on peut donc avoir un morceau de musique sans interruption sur trois tours de cylindre. À la fin du morceau, il s’écarte des touches, se remet au début et se replace devant les touches, tout cela automatiquement.
Quand tu as acquis tel ou tel de ces instruments, il ne devait plus marcher très bien. Est-ce difficile de le réparer ou de le remettre en marche ?
J’avais reçu de ma grand-mère un ariston, qu’elle tenait de son grand-père, lequel l’avait acquis à l’Exposition universelle de 1900. Mais il ne marchait plus, je l’ai réparé étant gamin, ce qui m’a demandé de me renseigner à diverses sources. J’ai tout appris sur le tas, je n’ai jamais fait d’école de musique ni de mécanique. Pour réparer de tels instruments, il faut surtout exciter sa curiosité intellectuelle et prendre plaisir à tous les défis, ensuite être méticuleux et patient. Mais il faut aussi se faire historien. Tout commence par l’Encyclopédie Diderot-D’Alembert (1751-1772), ses planches, ses explications. Diderot et ses proches sont allés dans les ateliers et y sont restés jusqu’à ce qu’ils aient compris le fonctionnement des machines. Pour réparer et faire marcher un instrument ancien, il faut aller voir comment il a été fabriqué concrètement ; le contempler et l’analyser selon nos critères, cela ne suffit pas : ces instruments ont des subtilités cachées et on passerait à côté de l’essentiel.
Jérôme Fatet : Quand on veut répliquer des expériences scientifiques anciennes, ou remettre en marche des appareils d’autrefois, il est nécessaire de se familiariser avec les techniques de fabrication et les savoir-faire de l’époque, donc d’identifier les corps de métier qui maîtrisent encore aujourd’hui ces compétences, parfois dans des domaines totalement distincts de celui du facteur d’instrument d’origine. C’est à ce prix que l’on peut comprendre la présence de ces « subtilités cachées », invisibles pour le néophyte. Le « savoir de la main », même lorsqu’il a pu être acquis par un auteur, est souvent impossible à retranscrire en texte et illustration. Ce n’est alors qu’en essayant, en retravaillant les matériaux anciens avec des outils d’époque que nos mains contemporaines deviennent capables de comprendre le savoir de celle de nos prédécesseurs.
Philippe Corbin : Prenons l’exemple des orgues. L’ouvrage du bénédictin Dom Bedos de Celle (1709-1779), intitulé L’Art du facteur d’orgues (4 parties, 1766-1778), fait encore autorité. Pour expliquer comment construire un orgue, l’auteur doit aussi expliquer comment confectionner les outils pour cette construction.
Ernest Brasseaux : Depuis le 19 octobre 2017, le lecteur peut se faire une idée de la fabrication des instruments de musique du XVIIIe siècle en allant sur le site de l’édition numérique critique et collaborative de l’Encyclopédie : http://enccre.academie-sciences.fr/
Les planches dites de « lutherie » (concernant les instruments tant à vent qu’à cordes) se trouvent dans le cinquième volume des planches, qu’on peut consulter gratuitement. Des annotations sont mises en ligne progressivement sur tous les instruments, ainsi qu’un dossier sur les articles de lutherie.
Philippe Corbin est le fondateur du Musée de musique mécanique.
Propos recueillis par Ernest Brasseaux et Jérôme Fatet.
Voir aussi : Victor Blanc, « L’extraordinaire musée de la musique mécanique de la ville de Dollon », Les Lettres françaises, n° 139, juillet 2016.
http://www.les-lettres-francaises.fr/wp-content/uploads/2016/07/LF-139-juillet-2016.pdf
N.B. Le musée va bientôt être repris par la communauté de communes, ce qui assurera sa pérennité. Signalons une autre pièce de choix qui y est conservée (sans rapport avec la musique !) : la table où fut signé le programme du Conseil national de la Résistance.
Cause commune n° 3 - janvier/février 2018