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Depuis quelques années, les ini­tiatives de « solidarité con­crè­­te » prennent une nouvelle visibilité chez les communistes...

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Depuis quelques années, les ini­tiatives de « solidarité con­crè­­te » prennent une nouvelle visibilité chez les communistes, princi­palement au travers des opérations de vente de fruits et légumes et des jour­­nées à la mer. Cette philosophie fait partie de notre ADN profond, depuis la fondation des premières associations ouvrières il y a maintenant plus de cent cinquantes ans. Dans le contexte de l’époque, l’entraide était alors indissociablement liée à l’action revendicative comme au combat politique, et c’est par exemple ainsi que sont nées les premières mutuelles.

« Alors que la lutte des classes s’exerce violemment sur tous les terrains, que grandissent la désespérance et l’isolement, ces actions peuvent être une réponse politique forte portée par le PCF. »

Il est vrai que toutes les victoires partielles du XXe siècle, en faisant avancer « l’État providence », ont progressivement entraîné le remisage partiel des actions de solidarité concrète. Au travers de multiples conquis sociaux, dont au premier chef la Sécurité sociale, la société prenait en charge ses membres en difficulté, dans le même temps que le niveau de vie global s’élevait, de sorte que l’organisation de la solidarité concrète s’est trouvée moins « vitale » pour l’ensemble des acteurs du mouvement ouvrier. Aujourd’hui, alors que tous les compromis sociaux volent en éclat sous les coups répétés de la classe dominante, ce champ du combat politique prend de nouveau tout son sens. Alors que la lutte des classes s’exerce violemment sur tous les terrains, que grandissent la désespérance et l’isolement, ces actions peuvent être une réponse politique forte portée par le PCF. Par des actes simples, nous tissons du lien, nous amenons au combat de nouveaux individus, par un biais qui touche profondément. Si nous voulons redonner à notre parti toute sa place dans la société du XXIe siècle, non pour soi mais pour se donner les moyens de la transformer, la solidarité concrète doit devenir un pilier de notre action politique, ce qui implique de construire des pratiques militantes communes, des gestes, des réflexes collectifs.
Ce numéro de la rubrique se fixe pour objectif d’y contribuer, à sa modeste échelle, en vous fournissant des outils pratiques et des retours d’expériences. Une invitation à l’action et à l’expérimentation.

Jérémie Giono

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Les bonnes pratiques pour construire la solidarité concrète

Partir d’un objectif politique
- > Définir le sujet d’action à partir d’une revendication politique, l’action se déclinant en appui concret de cette revendication (droit aux vacances, droit à une alimentation de qualité et abordable, droit à l’éducation gratuite, etc.). La communication politique sur l’événement fera le lien en permanence avec cette revendication, en termes simples et précis.

Identifier les partenaires potentiels
Chaque sujet peut nous permettre de construire des partenariats – formels ou informels –, pour élargir l’initiative et aussi pour bénéficier du regard de ceux qui s’investissent dans le champ concerné, de leurs compétences, de leurs moyens…
• Fruits et légumes solidaires : Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF), Confédération paysanne (le MODEF n’est pas implanté dans tous les départements), producteurs locaux et réseaux de producteurs, potagers associatifs, grossistes, etc.
• Journée à la mer : Secours populaire, associations d’éducation populaire (Pionniers, Centre d’entraînement aux méthodes d’éducation actives [CEMEA], Francas, etc.) ;
• Fournitures scolaires solidaires : Jeunes communistes, associations de parents d’élèves, syndicats d’enseignants.
Il se peut que les associations ou producteurs n’osent pas tous s’associer publiquement dès la première fois, ce n’est pas un problème : rencontrez-les tout de même pour échanger, et ils s’associeront peut-être l’année suivante, une fois que l’initiative aura fait ses preuves !

Penser la logistique et l’équilibre financier
- > Comme pour toute action avec un peu d‘envergure, il faut prévoir ces aspects : matériel nécessaire (tables, tonnelles, fond de caisse, balance, etc.), budget de l’initiative, demandes d’autorisations d’occupation de l’espace public (à adresser en mairie, obligatoire dès qu’il y a transaction financière).
- > Pour une première édition, mieux vaut voir « trop petit » que « trop grand », pour assurer la réussite de l’action. Si vous êtes dépassés par votre succès, il sera toujours temps d’ajuster l’année suivante !

Prendre des contacts sur l’initiative !
- > Enfin, il est important, lors de l’action, de faire passer le message que nous ne « tombons pas du ciel », et que l’on a besoin de toutes les énergies disponibles pour amplifier ce type d’actions.
- > Prévoir des feuilles de contacts, des temps d’interventions politiques (avec une sono par exemple) et suffisamment de militants pour échanger avec les citoyens présents : ce ne sont pas des « consommateurs » passifs, mais des futurs acteurs potentiels !

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Allier les actes à la parole

Entretien avec Thierry Aury, responsable solidarité concrète au conseil national 

Selon toi, quel est l’intérêt de ces initiatives, et en quoi se distinguent-elles politiquement ?
Tout d’abord, il faut partir de la situation actuelle dans notre pays. Des décennies de politique libérale entraînent une fragilisation de franges importantes de la population, confrontées à une précarité généralisée et à des difficultés sociales grandissantes. On voit s’installer la désespérance, le repli sur soi, la division... entretenus à la fois par la crise sociale et par l’idéologie dominante.
Nos actions de solidarité concrète s’inscrivent en résistance à tout cela. Il s’agit à la fois de répondre ponctuellement à un besoin réel – le droit à une alimentation saine, le droit aux vacan­ces... –, ce qui compte pour des populations qui en sont quotidiennement privées, et c’est un acte concret de refus du tout-marchandise, du tout-profit.
Ces actions ne sont donc pas un « supplément d’âme » à côté de notre activité politique quotidienne, elles prennent au contraire toute leur place au cœur du combat communiste. Elles contribuent à faire « se relever les têtes », à construire une conscience commune des classes populaires, par la pratique.

Quels bilans tires-tu de ton expérience militante sur ce terrain ?
Dans l’Oise, nous organisons notamment la « journée à la mer », depuis de nombreuses années. Je dirais que cette action se fixe trois objectifs. Premièrement, répondre concrètement à un besoin, pour des populations qui ne partent parfois jamais en vacances, même pour une journée. Deuxièmement, faire de cette occasion un temps de diffusion de notre discours politique. Troisièmement, nouer des contacts qui pourront se concrétiser sur la durée, par un engagement à nos côtés et par l’adhésion. Au fil des années, nous avons progressé sur ces trois plans, avec une initiative aujourd’hui identifiée, qui contribue à reconstruire un espoir vis-à-vis de la politique. Les regards, l’écoute de ceux qui participent à l’initiative changent à notre égard, car ils nous considèrent comme le parti qui allie les actes à la parole, ce qui change tout.
Aujourd’hui, la souscription que nous organisons pour cofinancer l’action rassemble très largement, y compris chez des habitants qui ne sont pas proches du parti, mais qui soutiennent financièrement l’initiative car ils la reconnaissent. En parallèle, plusieurs militantes et militants actuels sont arrivés à l’engagement par ces initiatives ; ils et elles sont aujourd’hui les piliers de l’organisation.

Quelles sont les perspectives au niveau national ?
Depuis le dernier congrès, nous avons engagé un recensement de ces initiatives. Nous allons maintenant nous atteler à construire un vrai collectif national, avec des relais dans les fédérations, pour donner une nouvelle dimension à ce pan du combat politique. Un chantier est ouvert dans le cadre du congrès, il permettra d’avancer sur ce terrain, de confronter les expériences, pour franchir un cap. Je suis convaincu que ces actions doivent devenir un identifiant fort du PCF, pour que l’on apparaisse clairement comme le parti de la solidarité concrète, le parti de « l’humain d’abord ! »

 

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Fruits et légumes solidaires, l’exemple clermontois (63)

En juin 2017, les communistes de Clermont-Ferrand ont décidé d’organiser pour la troisième année consécutive une vente de fruits et légumes solidaires dans le cadre des élections législatives. Si plusieurs sections rurales du département ont une longue tradition de ce type d’action, c’était un enjeu pour les militantes et militants de les déployer également en milieu urbain.
Le lieu est tout d’abord choisi minutieusement : le parking d’une médiathèque (espace public), en face de la principale grande surface des quartiers populaires du nord de la ville. Ainsi, la dimension politique est clairement affichée, face à une grande distribution qui rackette les consommateurs et les producteurs.
La date ensuite : généralement le premier week-end de septembre, alors que les familles subissent de plein fouet les contraintes financières de la rentrée scolaire. La matinée choisie permet aussi de faire la promotion de la fête de L’Humanité.
Pour mener à bien cette action, les communistes ont su tisser des partenariats fructueux : avec des producteurs locaux du MODEF 63 et des maraîchers de l’agglomération clermontoise, le Secours populaire et des associations de quartiers pour la diffusion, mais aussi avec les camarades de la CGT commerce. Une partie de l’approvisionnement est également récupérée chez un grossiste, la marchandise étant ensuite conditionnée en paquets de 2 à 2,5 kg par les militantes et militants, afin de faciliter la vente. Ce sont près de 600 kg de marchandises qui partent chaque année.
Le syndicat prête le matériel (tonnelles, tables, etc.), et prend appui sur cette action pour dénoncer auprès des salariées et salariés de la grande surface les marges pratiquées, qui se font aussi sur leur dos.
Aujourd’hui, la section est bien rodée, et la fédération envisage un travail de retours sur ces expériences pour les généraliser sur tout le département.

 

• Solidarité. étymologiquement, elle désigne l’interdépendance entre les corps d’une société. Alors que l’idéologie libérale masque cette dimension au profit d’un individualisme « idéaliste », faire acte de solidarité est un geste politique qui vise à permettre aux classes populaires de s’organiser pour améliorer leur quotidien, tout en contestant en pratique l’ordre établi. Lorsque le mouvement ouvrier fait acte de solidarité, il met en lumière les possibilités d’actions collectives.

• Secteur privé non lucratif. C’est un modèle de développement économique où l’objectif est l’humain, pas le profit. Ceci regroupe aussi bien les associations (qui doivent légalement avoir un budget équilibré) que l'économie sociale et solidaire, des entreprises coopératives. Lorsque le PCF met en place des initiatives de solidarité concrète, il s’inscrit dans cette démarche : le bénéfice est politique, sans retour financier.

• Charité. Terme historiquement religieux, il repose sur l’aumône du riche au pauvre. Loin de contester l’ordre établi, il s’agit au contraire de le légitimer en donnant au puissant l’occasion de racheter sa conscience, tout en maintenant le « misérable » dans une situation de soumission. « Vous voulez les misérables secourus, moi je veux la misère supprimée. » Cette citation de Victor Hugo pointe la différence de fond entre charité et solidarité.

• Droits sociaux. Ils désignent ce qu’une société développée doit à ses membres, et sont constitutifs de la dignité humaine. Lorsque le PCF met en œuvre des actions de solidarité concrète, il revendique des droits sociaux : droit à une alimentation saine, droit aux vacances, droit à une éducation gratuite…

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Les Jeunes communistes déploient la solidarité concrète !

Ces dernières années, les expériences de solidarité concrète se sont multipliées au Mouvement des jeunes communistes de France (MJCF), avec notamment les révisions solidaires à l’approche des examens. Ces révisions collectives se sont réellement massifiées après la mobilisation contre la loi El Khomri (2016), où de nombreux lycéens et lycéennes se sont tournés vers la JC.
Pour la direction du mouvement, « alors que la précarité devient la norme, que le modèle éducatif libéral pousse à l’individualisme et à la concurrence, il s’agit d’inscrire dans le réel un modèle d’organisation alternatif reposant sur la solidarité collective. Ne pas se limiter au discours, mais faire exemple autour de nos valeurs, forger une pratique du quotidien ».
C’est cette réflexion qui amène le MJCF à travailler sur un plan de développement national sur ce terrain.
Aujourd’hui, l’enjeu est de passer un cap sur ces initiatives, avec notamment les ventes de fournitures scolaires solidaires. Pour la rentrée 2018, plusieurs fédérations devraient servir de « pilotes », avec pour objectif une généralisation avec commandes groupées par la suite, en fonction des retours de ces expériences. Le Parti communiste peut jouer un rôle dans la réussite de ce plan d’action, car les Jeunes communistes auront besoin d’un soutien matériel et logistique.

En pratique

Contacter votre fédération ou votre union de ville JC, pour engager le partenariat sur ce chantier s’ils le souhaitent.
Faire le lien avec les parents d’élèves, pour obtenir les listes de fournitures dès la fin de l’année.
Évaluer ensemble un volume raisonnable de commande (pour une première, mieux vaut voir trop petit que trop grand).
Demander des devis aux grossistes locaux en papeterie, et sur Internet (attention aux frais de ports et à la TVA !), pour trouver les prix les plus intéressants.
Planifier la date de la vente, autour des jours précédant la rentrée, et communiquer dessus dès le début de l’été.

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« Une journée à la mer »

Trois questions à David Thiebaut, de Dunkerque, responsable à Malo-les-Bains (59) 

La fédération du Nord est réputée pour sa « journée à la mer » d’une ampleur considérable, mais d’où vient cette initiative ?
Elle a été lancée dans les années 1990, dans un contexte « post-chute du mur de Berlin », avec une volonté initiale : affirmer haut et fort que les communistes étaient toujours là !
Il s’agit d’une journée d’ampleur départementale, axée sur le thème du droit aux vacances.

Concrètement, comment ça se passe ?
L’organisation repose sur les sections en amont, et sur la fédération et la section de Dunkerque sur place. Chaque section finance et remplit son (ou ses) bus, qui peuvent être gratuits ou non, mais toujours abordables. Une fois que les gens sont sur place, la fédération gère le meeting (la salle, la sono, les interventions politiques) et offre une boisson fraîche ou un café à chaque participant. Un bar est présent toute la journée pour assurer une rentrée financière, contribuant à l’autofinancement de l’événement. L’après-midi est animé par des groupes de musique locaux pour ceux qui ne veulent pas aller à la plage, avec des espaces d’exposition d’artistes… L’objectif est que tous les publics puissent y trouver leur compte.

Peux-tu nous en dire plus sur la dimension politique de cette initiative ?
La politique est présente tout au long de l’événement : en amont, puisqu’on mobilise les camarades, les sympathisants, les gens rencontrés sur les luttes et lors des initiatives du PCF. Dans les bus ensuite : un responsable fait un petit topo sur les objectifs politiques de l’initiative, sur le PCF et les batailles à mener.
Les bus déposent volontairement les gens à dix minutes à pied de la plage afin d’y aller en manifestation, avec des drapeaux, des autocollants, jusqu’à un meeting qui sert de rentrée politique à la fédération du Nord. Les discours vont au-delà du droit aux vacances : ils abordent les batailles politiques de la rentrée, dans le même état d’esprit que le discours de Pierre Laurent à la fête de l’Huma !

Cause commune n° 5 - mai/juin 2018