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« Sans perdre courage, vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. »

La féminisation des syndicats, en France et dans d’autres pays, a nettement progressé ces dernières années. Certains syndicats, comme la CFDT, comptent aujourd’hui plus de 50 % de femmes parmi leurs adhérents et s’appuient sur une politique de mixité interne déjà ancienne, avec des mesures imposant notamment une représentation proportionnelle ou la parité dans les instances de décision, au niveau confédéral, fédéral ou régional. Cela dit, toutes les enquêtes montrent que cette féminisation « en mode sandwich » a non seulement été longue à obtenir, mais s’avère limitée et sélective.

La refonte des instances de représentation
Le contexte actuel de refonte des instances de représentation du personnel est-il à même d’améliorer les choses ? On peut en douter.
Si l’entrée en vigueur en 2015 de la loi Rebsamen qui impose aux syndicats de constituer des listes respectant une mixité proportionnelle pour les élections professionnelles dans les entreprises a pu laisser espérer une croissance des candidatures féminines, malgré de nombreuses stratégies de contournement des syndicats, celle-ci est aujourd’hui clairement entravée par la mise en place des comités sociaux et économiques (CSE), qui fait suite aux ordonnances Macron de 2017. La forte centralisation des relations sociales que cette réforme impose risque en effet d’empêcher la participation syndicale des femmes et tout particulièrement de celles qui ont des enfants. En supprimant (ou presque) les mandats locaux – délégués du personnel et élus du CHSCT –, cette loi fait de facto disparaître des opportunités de participation compatibles avec le maintien d’une vie professionnelle, syndicale et familiale équilibrée, ainsi que des espaces d’apprentissage nécessaires à la prise de confiance dans l’exercice des fonctions de représentation des salariés. Elle renforce également la professionnalisation de l’activité syndicale et la nécessité pour les élus d’avoir ou d’acquérir des compétences élargies, éloignées de la fonction de représentation quotidienne des salariés, ce qui est plus facile pour celles et ceux qui ont des niveaux de qualification élevés.

L’engagement des femmes les moins qualifiées
De manière évidente, ces évolutions risquent donc d’être défavorables à l’engagement des femmes les moins qualifiées qui ont déjà des difficultés à se syndiquer. Leurs formes d’emploi leur offrent en effet rarement la stabilité, l’accès à un temps plein ou simplement à des droits syndicaux, qui sont autant de conditions souvent nécessaires à l’adhésion syndicale. Leur sous-représentation dans la hiérarchie syndicale s’explique aussi par le fait que l’accès aux responsabilités requiert d’avoir ou d’acquérir des compétences techniques et managériales, et ce, alors même que l’offre de formation syndicale s’est affaiblie au cours de la période récente. À la CFDT, comme dans d’autres organisations syndicales, les femmes en responsabilité en structure ou dans les entreprises sont donc souvent issues des professions intermédiaires (enseignantes, infirmières, assistantes sociales) ou de l’encadrement. Elles sont également plutôt plus jeunes que leurs collègues masculins et, de ce fait, s’interrogent rapidement sur la poursuite de leur carrière professionnelle, ce qui peut aussi les amener à quitter leurs mandats par crainte de ne pouvoir se reconvertir. De ce point de vue, la faible reconnaissance de l’expérience syndicale, voire la discrimination subie par les élus et mandatés dans les entreprises, aujourd’hui clairement objectivée par le dernier rapport du défenseur des droits, ne facilite pas le maintien de l’engagement syndical. Quand ils existent, les accords de gestion des parcours militants s’adressent par ailleurs principalement aux « grands mandatés », majoritairement des hommes, et offrent peu de protection aux élues et élus de terrain qui subissent parfois une double discrimination syndicale et sexuée.

« La forte centralisation des relations sociales que la refonte des instances de représentation impose, risque d’empêcher la participation syndicale des femmes et tout particulièrement de celles qui ont des enfants. »

Une vision libérale de l’égalité
Enfin, comme le montrent les enquêtes, les femmes responsables syndicales ont des profils particuliers (emploi stable, souvent qualifié, dans des entreprises où les droits syndicaux sont développés) et bénéficient souvent de circonstances personnelles favorables à leur engagement (soutien du conjoint, absence d’enfants ou enfants majeurs). Par leur propre trajectoire et leurs ressources individuelles, elles tendent à cautionner un modèle égalitaire qui suppose de grandes capacités d’empowerment [autonomisation] individuel. Cette vision libérale de l’égalité, qui vise à mieux équiper les individus pour qu’ils soient capables de faire face aux attentes de carrière, ne s’attaque pas aux processus organisationnels et culturels qui reproduisent les inégalités de genre, de classe et de race encastrées dans le fonctionnement des syndicats (et des entreprises). De ce point de vue, la réussite de ces femmes « exceptionnelles » contribue à invisibiliser d’autres formes de discriminations, notamment celles liées à la classe et à l’origine culturelle, et à questionner leur capacité de représentation des « autres » femmes avec qui elles entretiennent une distance sociale évidente.
Plus encore, en admettant que les femmes soient a priori plus sensibles aux difficultés rencontrées par leurs collègues féminines et plus à même de faire valoir leurs intérêts spécifiques, qu’il s’agisse des inégalités de salaires ou des discriminations sexuées, encore faudrait-il que ces femmes syndicalistes accèdent aux fonctions de négociation. Or ni la loi Rebsamen ni les ordonnances Macron ne sont venues imposer des normes égalitaires dans l’accès aux fonctions de délégué syndical, de délégué syndical central ou de négociateur de branche. Or ce sont ces (hommes) syndicalistes qui sont chargés des négociations sur l’égalité professionnelle et tant d’autres sujets qui peuvent avoir des effets discriminants pour les salariées. Par ailleurs, les enquêtes menées sur les négociations en matière d’égalité professionnelle soulignent le caractère souvent limité et standardisé des accords négociés et les difficultés des partenaires sociaux à appréhender la nature systémique des inégalités. Dans certains pays, ces difficultés ont partiellement été levées par des stratégies judiciaires qui ont contribué à une meilleure compréhension des concepts de travail de valeur égale et de sous-évaluation du travail féminin. Si le recours à la justice a de nombreuses limites, la collectivisation des plaintes, comme dans le cas de certains procès pour discrimination syndicale en France, permet non seulement de mettre les problèmes à l’agenda en les rendant visibles, tout en favorisant la prise de conscience des discriminations, mais également de remettre en cause les dispositifs négociés par la voie de la négociation collective, à commencer par les accords de classification et de salaires. Une voie à suivre pour les syndicats français ? 

Cécile Guillaume est sociologue. Elle est maîtresse de conférences à l’université de Roehampton au Royaume-Uni.

Cause commune n° 17 • mai/juin 2020