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Corinne Mercadier,
Une fois et pas plus, #10, 2000,
Galerie Binome, Paris.

Si le chant de l’Espagne vous appelle cet été et que vous envisagez une escapade ibérique, ne perdez pas l’exposition En el aire conmovido... au Centre de culture contemporaine (CCCB) de Barcelone, conçue par l’historien de l’art et philosophe français Georges Didi-­Huberman, en coproduction avec le Reina Sofia de Madrid. Fruit d’un travail de recherche iconologique imposant, dans la droite lignée de l’Atlas Mnémosyne d’Aby Warburg et de L’ABC de la guerre de Bertolt Brecht (1955) – présentés par ailleurs dans le parcours –, cette exposition est une invitation à l’exploration collective des émotions à travers les arts visuels, la littérature, les médias, la musique, les arts de la scène, mais aussi la psychanalyse et la philosophie européens. Elle se décompose en salles thématiques – « pensées », « visage », « gestes », « politiques » – s’ouvrant et se fermant (peut-être pas tout à fait) sur le thème des « enfances », comme un appel à la faculté imaginative, face au constat tragique de la « brutalisation » ambiante et de l’ « innocence éperdue ».

Inspiré par l’univers de Federico García Lorca – notamment le poème Romance de la luna, luna qui accueille le visiteur et dont un des vers donne son titre à l’exposition –, le commissaire mêle réflexion politique et lyrisme pour interroger la puissance subversive du sensible et le rôle des poètes en temps de crise. Dans ce même esprit, il emprunte le concept insaisissable de duende (lutin), que García Lorca transforma en catégorie esthétique dans sa conférence Juego y teoría del duende (1933), pour explorer cette étincelle mystérieuse, ces « sonorités noires » qui animent notre humanité, l’amenant à créer, à s’émerveiller devant la création ou encore à se révolter. C’est ce « pouvoir mystérieux que tout le monde ressent et qu’aucun philosophe n’explique » (Goethe), cette énergie qui vibre dans le chant et la danse flamenco, qui s’empara de Goya, Picasso, Beethoven mais aussi de Kafka, Nietzsche ou Pasolini – pour ne citer que quelques artistes et penseurs présents dans l’exposition –, que Didi-­Huberman s’attache à mettre en scène à travers une sélection de trois cents pièces manifestes.

Entre constellations d’œuvres et pensée dialectique, cet essai visuel passionnant invite tout un chacun à ressentir autant qu’à penser.

En el aire conmovido... du 7 mai au 28 septembre 2025, CCCB, Barcelone.

Élodie Lebeau-Fernández

Cause commune n° 44 • été 2025