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Francisco Papas Fritas, La « Libertad » guiando al « pueblo », 2017. © avec l’autorisation de l’artiste.

Ce n’est pas la première fois, ni la dernière, que le tableau La Liberté guidant le peuple se dote d’une signification nouvelle. Après les versions, entre autres, de Yue Minjun (1995) et Gérard Rancinan (2008), l’artiste chilien anarchiste Francisco Papas Fritas prend le parti d’acculturer le chef-d’œuvre, forme de réparation postcoloniale, pour parler d’une réalité propre à son contexte de création. « Notre besoin de liberté, nous confie l’artiste, doit être éloigné de cet imaginaire blanc, colonialiste, anthropocentrique et européen. »
Représentant un soulèvement d’hommes et de femmes mapuches, ce tableau sonore – du cri de la femme au centre qui brandit le drapeau de son peuple – contraste avec la monumentalité froide de la figure personnifiée originelle. Contrairement à la version de Delacroix, que l’artiste perçoit comme étant « une représentation bourgeoise et masculine d’un moment révolutionnaire des marginaux », les femmes ont ici une place privilégiée. Faites de chair et non d’idées, parées des traditionnels trapelakucha, pezkiñ et keltatun, elles mènent le mouvement tandis que le longko (chef de la communauté), tout à gauche du tableau, se laisse guider. Sous leurs pieds gisent les cadavres d’Angelini et Matte, les représentants des familles qui ont exproprié, et exploitent encore, les territoires forestiers ancestraux mapuches au Chili. À droite de la toile, devant les ruines des barricades, les pousses de drimys winteri (voigue, canelo), plante essentielle et sacrée de la culture mapuche, utilisée notamment par le machi (représentant religieux élu, homme ou femme), renforce encore cette idée de complémentarité entre féminin et masculin qui est au cœur de la cosmovision de ce « peuple de la terre ».

http://www.franciscopapasfritas.com/es/

Élodie Lebeau

Cause commune n° 20 • novembre/décembre 2020