Salaires, temps de travail, interruptions de carrière, types d’emploi, etc. : derrière les pensions de retraite se cristallise l’ensemble des inégalités que connaissent les femmes au cours de leur vie professionnelle et familiale.
Les femmes ont en moyenne une pension inférieure de 42 % à celle des hommes
Selon la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), en 2016, les retraitées résidant en France ont en moyenne une pension de droit direct inférieure de 42 % à celle des hommes (1 099 euros contre 1 908 euros). Les dispositifs de solidarité et la réversion permettent de réduire cet écart : la pension totale des retraitées est alors inférieure de 29 % (1 367 euros contre 1 929 euros). Les femmes ont des carrières plus courtes et donc plus souvent incomplètes que les hommes
Si l’on ne considère que les retraités ayant une carrière complète, ce qui isole l’effet carrière courte, les femmes ont une pension de droit direct inférieure de 28 % (1 460 euros contre 2 049 euros) et une pension totale inférieure de 20 % (1 643 euros contre 2 071 euros). Ces inégalités tendent à se réduire au fil des générations, notamment du fait de l’allongement des carrières des femmes. Cependant, pour pouvoir obtenir une pension plus importante, les femmes liquident leur retraite plus tard que les hommes : les femmes de la génération 1951 ont liquidé leur retraite
à 60,8 ans contre 60 ans pour les hommes. L’écart de l’âge conjoncturel moyen1 de départ à la retraite entre femmes et hommes a diminué, passant de 1,2 année en 2004 à 0,6 année en 2010. Si, depuis 2010, l’écart ne s’est pas creusé, on observe que tendanciellement l’âge conjoncturel moyen de départ augmente pour l’ensemble des retraités du fait de la réforme des retraites de 2010 : en 2017, les retraités ayant liquidé leurs droits avaient en moyenne 62,1 ans, alors qu’ils avaient 60,5 ans en 2010.
Inégalités de salaires et distribution genrée des emplois
Toutes ces inégalités sont la conséquence en bout de chaîne d’inégalités historiques sur le marché du travail largement documentées, les inégalités de salaires entre femmes et hommes sont aujourd’hui encore très fortes et expliquent en partie les écarts de pension entre femmes et hommes. En vingt ans, l’écart de salaires moyen entre femmes et hommes a peu diminué : 27 % en 1995 à 25,7 % en 2012.
« Les femmes cadres gagnent 20 % de moins que les hommes, cet écart est de 8,5 % parmi les employés et de 14 % parmi les professions intermédiaires. »
Mais une partie de cet écart ne tient pas compte de la distribution genrée des emplois en France. Rappelons d’abord que le temps de travail souffre d’une distribution genrée : 59,3 % des personnes n’ayant jamais travaillé sont des femmes et près de 80 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes. Travaillant moins d’heures, leurs salaires sont mécaniquement plus faibles. En équivalent temps plein, et donc en « gommant » les disparités de temps de travail, l’écart de salaires entre les femmes et les hommes est alors de 16,3 %.
À cette distribution genrée du temps de travail se superpose une distribution genrée des professions : les femmes sont moins nombreuses à occuper des postes de cadres et de professions intellectuelles supérieures, généralement mieux rémunérés. Elles sont aussi particulièrement surreprésentées parmi les professions d’employés et dans les services. C’est aussi parmi les cadres et professions intellectuelles supérieures que les écarts de salaires entre les femmes et les hommes sont les plus importants : les femmes cadres gagnent 20 % de moins que les hommes, cet écart est de 8,5 % parmi les employés et de 14 % parmi les professions intermédiaires. On estime que 10,5 % de l’écart de salaire entre femmes et hommes est « inexpliqué », ce reste relevant de discriminations sexistes structurant l’organisation sexiste du marché du travail et donc de la société.
La parentalité accentue les inégalités femmes/hommes
Les interruptions de carrière pour élever des enfants expliquent également pourquoi les femmes ont des carrières moins complètes et plus courtes, et donc des retraites plus faibles. Pour les mères, plus le nombre d’enfants augmente, plus leur taux d’emploi diminue, notamment lorsqu’au moins un enfant est âgé de moins de 3 ans. À l’inverse, le taux d’emploi des pères en couple varie peu avec le nombre et l’âge des enfants : il est au moins de 80 %, quelle que soit la situation familiale. De même, le taux de temps partiel parmi les hommes en emploi varie peu, alors que pour les mères ce taux oscille entre 23 et 52 % selon la configuration familiale (33 % en moyenne). Près de la moitié des mères à temps partiel le sont pour s’occuper de leurs enfants ou d’un autre membre de la famille, contre à peine un père à temps partiel sur cinq. La majorité d’entre eux le sont parce que leur emploi actuel ne leur permet pas de travailler davantage. Une récente étude de l’INSEE a même montré que l’écart de salaire est bien plus élevé entre mères et pères qu’entre non-parents (Élise Coudin, Sophie Maillard et Maxime Tô, « Entreprises, enfants : quels rôles dans les inégalités salariales entre femmes et hommes ? », Insee Analyses, n°44, février 2019).
Les femmes dans la reproduction de la force de travail
Peu rémunérateurs et précaires, les emplois sur le marché du travail assurant une partie de la reproduction de la force de travail sont majoritairement occupés par des femmes : 84,3 % des personnels des services directs aux particuliers et 58 % de ceux du secteur du nettoyage sont des femmes. Ces secteurs comportent également une forte proportion d’étrangers : 35 % pour le nettoyage et 25 % pour les services directs aux particuliers.
« En vingt ans, l’écart de salaires moyen entre femmes et hommes a peu diminué : 27 % en 1995 à 25,7 % en 2012. »
Mais la majeure partie de la reproduction de la force de travail est effectuée gratuitement dans les foyers, en l’occurrence le plus souvent par les femmes. L’INSEE estime qu’en 2010, ce sont entre 42 et 77 milliards d’heures de travail domestique qui ont été effectuées en France. Rapporté aux 38 milliards d’heures de travail rémunéré réalisées sur la même période, le temps de travail domestique est donc au minimum égal au temps de travail rémunéré ; avec la définition extensive du travail domestique, il en représente le double. Au total, c’est donc entre 30 et 46 milliards d’heures que les femmes consacrent au travail domestique chaque année. L’INSEE a évalué la valeur du travail domestique à 292 milliards d’euros (calcul pour une définition restreinte du travail domestique et heures valorisées au SMIC net), soit 15 % du PIB, dépassant alors la part de l’industrie manufacturière dans le PIB français (13 %).
« Les inégalités à la retraite sont la conséquence en aval d’un ensemble d’inégalités subies tout au long de la vie professionnelle et familiale, constitutives d’un inégalitarisme intrinsèque à notre société et d’une organisation sociale sexiste. »
En échappant au travail salarié et au marché du travail, ces heures ne participent pas au financement de notre modèle de protection sociale. Ces inégalités ne souffrent d’ailleurs d’aucune compensation financière. Pour remettre en cause l’organisation sexiste de la reproduction de la force de travail, des luttes doivent s’articuler sur deux terrains :
1. le marché du travail, pour sortir de la pauvreté et de la précarité les milliers de salariés chargés de nettoyer nos villes, nos lieux de travail et nos foyers mais qui prennent aussi soin de nos enfants et de nos aînés dépendants ;
2. la famille, pour sortir des millions d’heures de travail domestique de la sphère non marchande, et donc du bénévolat, via le développement de services collectifs (crèches, cantines, etc.) et travailler à la répartition égale entre femmes et hommes du travail domestique restant.
L’égalité femmes-hommes, enjeu de justice et levier financier pour les retraites
Un rapport remis en 2017 à la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi des Hauts-de-France estime le manque à gagner des femmes à 246 milliards d’euros, ce qui représente une perte de 113 milliards d’euros en cotisations pour la collectivité (chiffre sur données 2013), dont 33,25 milliards pour les seules retraites. Cette estimation repose sur deux calculs :
1. le manque à gagner des femmes en emploi si, à tous les niveaux de diplômes, elles avaient les mêmes revenus moyens que les hommes. Les auteurs et autrices l’évaluent à 183 milliards brut (dont 84,2 milliards de cotisations) ;
« Peu rémunérateurs et précaires, les emplois sur le marché du travail assurant une partie de la reproduction de la force de travail sont majoritairement occupés par des femmes : 84,3 % des personnels des services directs aux particuliers et 58 % de ceux du secteur du nettoyage sont des femmes. »
2. le manque à gagner lié à l’écart des taux d’emploi, par niveaux de diplômes que les auteurs et autrices estiment à 63 milliards d’euros (dont 29 milliards de cotisations).
De plus, une augmentation du revenu et du taux d’activité féminins conduirait à une augmentation du PIB et de l’activité par un effet de bouclage macro-économique : à part des salaires dans la valeur ajoutée constante, cette double hausse ferait augmenter le PIB de 20,5 %, soit 433 milliards d’euros en 2013, ce qui aurait un effet net sur la fiscalité estimée à 61,5 milliards d’euros.
Pour les retraités actuels, on estime le surcoût de dépenses de retraite (pensions de vieillesse, pensions de droit dérivé, minimum vieillesse), dû aux inégalités passées, à 2,6 % du PIB. Les masses de cotisations que rapporterait une égalité immédiate entre femmes et hommes financeraient donc largement la compensation d’une partie des inégalités passées, qu’on estime, sans prendre en compte la distribution genrée des emplois ni même du temps de travail domestique, à 55 milliards d’euros qui auraient été dus aux femmes si elles avaient gagné en moyenne autant que les hommes (Antoine Math, « Une estimation du coût indirect des enfants en termes de pertes de carrière, de salaires et de droits à retraite pour les femmes », Revue de l’IRES, n°83, 2014).
Les inégalités à la retraite ne peuvent se résumer à des écarts de revenus salariaux : elles sont la conséquence en aval d’un ensemble d’inégalités subies tout au long de la vie professionnelle et familiale, elles-mêmes constitutives d’un inégalitarisme intrinsèque à notre société et d’une organisation sociale sexiste. Pour résorber, voire supprimer, cette inégalité, il faudra donc changer en profondeur la société française. Ce qui améliorera alors réellement à la fois les ressources des retraites des femmes et les ressources disponibles pour financer le système de retraites dans sa globalité.
Fanny Charnière est statisticienne.
1- Cela correspond à l’âge moyen de départ d’une génération fictive qui aurait, à chaque âge, la même probabilité d’être à la retraite que la génération de cet âge au cours de l’année d’observation. Cette méthode permet d’estimer les effets de la réforme de 2010, bien que l’ensemble des cohortes de générations récentes ne soient pas parties en retraite.
Cause commune n° 16 • mars/avril 2020