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critiques

LeDéjeunerbarricades.jpgLe Déjeuner des barricades
Éditions Grasset
de Pauline Dreyfus
par Gérard Streiff
Le 22 mai 1968, Paris est submergé par une vague de contestation qui n’épar­gne pas les palaces de la cité et notamment l’hôtel Meurice, rue de Rivoli, une des grandes résidences de luxe parisiennes, comme ses concurrents George-V ou Plaza.
Le personnel, gagné par l’air du temps, se met en mouvement et « occupe » l’hôtel. Il ne s’agit pas d’une grève à proprement parler car les employés assurent leur service mais ils prennent le pouvoir dans l’établissement, mettent de côté le directeur (et les actionnaires) et établissent un cahier de doléances lors de différentes assemblées générales.
Déjà, ce « mouvement » pas comme les autres constitue un excellent sujet. L’auteure raconte et romance les (nouveaux) rapports qui s’établissent entre maître d’hôtel, concierge, cuisiniers, femmes d’entretien, responsable du vestiaire, barman (le bar est un lieu stratégique de l’hôtel et du roman). Un courant égalitariste traverse cette corporation d’ordinaire très hiérarchisée et très attentive au paraître. Cette approche pourrait donner lieu à des caricatures ; ce n’est pas le cas. L’auteure fait vivre avec humour les contradictions et les débats, feutrés mais réels, qui parcourent les couloirs.
On se promène dans les étages, on y découvre des résidents (permanents ou passagers) comme une milliardaire américaine posée là, à l’année, ou le couple Salvador Dalí/Gala, ou un richissime Texan qui se calfeutre dans sa chambre, hanté par la proximité des soviets ; et puis il y a là un certain monsieur Aubuisson, notaire à Montargis, qui, sur ses vieux jours, veut s’offrir une unique et spectaculaire virée à Paris. Mais il est retenu de fait à l’hôtel, où il jouera son rôle.
Et puis il y a mieux, ou pire : ce 22 mai est prévu de longue date au Meurice la remise du prix Nimier, un des prix littéraires donné par un jury (les Hussards) plutôt réac (Morand, Jouhandeau, Chardonne, Frank, Blondin) et financé par la milliardaire américaine, imperméable à l’écriture mais attachée aux mondanités. Le prix doit être remis, à l’issue d’un déjeuner, à un tout jeune homme, un certain Patrick Modiano, pour son premier opus, La Place de l’étoile. Dans un Paris libertaire, bloqué par les manifestations, et dans un hôtel de prestige « autogéré » par ses employés, le déjeuner va-t-il avoir lieu ? L’AG vote pour mais la cuisine impose son menu. Et le déjeuner commence.
Arrive un jeune géant, aux allures de gazelle égarée. Comme les rangs du jury sont clairsemés (avec la grève des transports), le protocole de l’hôtel invite des résidents à en faire partie, dont Salvador Dalí ou le notaire de Montargis qui s’avérera être le lecteur le plus attentif de Modiano.
Au passage, l’auteure souligne une certaine ambiguïté de ce premier prix (Nimier) à Modiano. La Place de l’étoile, texte libre et fougueux sur toutes les figures possibles du personnage juif, est lu par les réacs du jury comme un texte aux relents antisémites qui ne leur déplaît pas…
Ce roman, écrit d’un seul tenant, est un des livres les plus cocasses de la rentrée 2017. l

Etmaintenant.jpgEt maintenant, Monsieur le Président ? 10 interpellations à Emmanuel Macron
Éditions de l’Atelier, 2017
d’André Chassaigne
par Léo Purguette
Dix interpellations au nouveau président de la République en moins d’une centaine de pages. Avec ce livre ramassé et percutant, André Chassaigne renoue avec « la tradition des brochures d’agitation », comme il le confiait à l’occasion de sa présentation à l’université d’été du PCF. Écrit au cœur de l’été quand les mauvais coups commençaient à pleuvoir sur les salariés, les locataires et les plus modestes, l’ouvrage s’appuie sur le travail parlementaire d’André Chassaigne pour mettre en relief la cohérence du projet libéral d’Emmanuel Macron. Pour le président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine à l’Assemblée nationale, derrière l’ambition de renouvellement politique affichée par le chef de l’État se cache « une guerre sociale pour imposer un programme : celui des milieux d’affaires ».
Méthodiquement, André Chassaigne interroge le cap d’Emmanuel Macron à propos de dix thématiques sur lesquelles il avait mis l’accent durant sa campagne : Un renouveau démocratique ? Un nouveau modèle de croissance ? Libérer le travail ? Réenchanter l’Europe ? Un modèle social plus protecteur ? Une politique des territoires ? Les mêmes chances pour tous ? Rendre la France plus compétitive ? La crise financière est derrière nous ? Un État qui assure la sécurité des citoyens ?
Point par point, le député du Puy-de-Dôme effectue un travail de « grand dévoilement » de l’imposture présidentielle et formule des propositions alternatives qui dessinent d’autres possibles solidaires et émancipateurs.
Dans sa forme, le livre d’André Chassaigne rappelle Front national l’imposture, Droite le danger, 20 répliques à leurs programmes de Pierre Laurent, Marc Brynhole et Alain Hayot paru chez le même éditeur. Comme lui, il est à la fois accessible à un large public et utile aux militants pour affiner leurs argumentaires. Il offre un excellent support pour l’organisation de débats de proximité car avec le même langage franc, exigeant et populaire qu’il manie à la tribune du palais Bourbon, André Chassaigne s’en prend concrètement à ce sur quoi s’est bâti selon lui le succès d’Emmanuel Macron : « un socle de dépolitisation ». l

Le-parlement-des-cigognes.jpgLe Parlement des cigognes
Éditions du cherche midi
de Valère Staraselski
par Thierry Wangermée
Douze Français fêtent aux premières pages du Parlement des cigognes la fin d’un séminaire dans un mleczny, ainsi que les Polonais nomment les gargotes populaires. Garçons et filles de moins de 25 ans, ils ont l’âge du groupe, comme disait Paul Nizan, celui où l’on se cherche au miroir des autres en mesurant aussi bien son degré de séduction que sa sensibilité, un âge où les joyeux éclats de rire dissimulent difficilement les affects fébriles qui se nouent ou se dénouent sous la surface du discours.
Valère Staraselski choisit de mener ces jeunes gens bien d’aujourd’hui au pas de course, et ceci n’est pas une métaphore destinée à décrire son style rapide et nerveux : découvrant que la neige s’est invitée durant leur dîner, les jeunes gens ont relevé le défi d’un jogging à travers la ville au petit matin, puisqu’ils ont désormais quartier libre. Seul David, le plus éclairé d’entre eux, dispose de repères dans la ville et soupçonne qu’y courir, c’est courir au plus noir de l’histoire polonaise, mais tous l’éprouveront : Lorsqu’ils obliquèrent à l’intérieur de Kazimierz, l’ancien quartier juif, quelque chose avait changé. Sous doute la soudaine intensité du silence. Car il n’y avait plus de vent. Un silence d’aquarium. Peut-être en raison de l’heure matinale ? Ils ont vu la Liste de Schindler, et les quelques explications lâchées par David prennent sens au souvenir du film de Spielberg : sur les lieux mêmes du tournage, ils comprennent peu à peu que ces derniers sont d’abord les lieux de la tragédie réelle. Même David, cependant, ne pouvait prévoir que l’effet produit par cette traversée serait décuplé par la rencontre inopinée de l’un des derniers témoins de l’extermination, et nulle part ailleurs qu’au musée, quelques heures plus tard : arraché à sa contemplation mélancolique d’un tableau représentant des cigognes dans la campagne polonaise, le vieil homme dont la canne s’orne d’un pommeau d’argent en forme de cigogne engage la conversation. Désormais israélien, il revient pour la première fois depuis 1946 en Pologne, où il est né et a miraculeusement survécu à la Shoah. Le terrible récit qui s’ensuit est construit à partir de témoignages réels. Mais c’est aussi l’auditoire que raconte l’auteur, ce groupe de jeunes gens qui se révèle plus disparate qu’il ne semblait, à la lumière de l’Histoire. Son véritable sujet est de lire les effets de l’histoire, aujourd’hui, sur les visages de jeunes gens qui croyaient vaguement la connaître mais mesurent l’étendue impitoyable de leur ignorance. Et c’est là une grande réussite du Parlement des cigognes, qui en fait bien une poignante leçon d’histoire, et qui se termine d’ailleurs et littéralement par une claque magistrale.  l