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Pratique fortement mise en avant autour de 2012, les assemblées citoyennes sont depuis peu à peu tombées dans l’oubli, même si de nombreuses sections en font vivre en dehors des temps électoraux.

À l’heure où une volonté d’expression, et plus encore de réappropriation populaire se fait entendre, c’est peut-être le moment de ressortir cet outil politique des besaces communistes, sorte d’« anti-grand débat », en somme !
Plus qu’un standard, l’assemblée citoyen­ne est surtout une méthode, qui peut être déclinée aussi bien sur une thématique, un territoire ou encore dans le cadre d’un projet institutionnel, notamment municipal. À l’opposé de la classique réunion publique « descen­dante », il s’agit de sortir les participants du rôle de spectateurs pour les faire entrer dans celui d’acteurs, à la fois dans la prise de décision et dans le suivi de sa mise en œuvre. Ce qui s’avère plus difficile qu’il n’y paraît, tant la société rend peu naturelle cette façon d’agir, cultivant au contraire les attitudes passives et individualistes de consommateur. À cet endroit, la nécessité d’un parti organisé et méthodique prend tout son sens, car il ne suffit pas de « réunir les gens et de laisser faire » : l’émergence de la parole populaire doit s’organiser pour aboutir à du concret. Cette rubrique donne quelques outils pour s’y atteler.
Jérémie Giono


Abécédaire

Animation. La clé d’une assemblée réussie. Assurer la fluidité de l’échange, permettre à toutes et à tous de s’exprimer, « recadrer » avec humour ceux qui ont une tendance aux discours fleuves… et formuler la synthèse finale, pour sortir avec des perspectives.

Ciblage. Méthode efficace pour assurer une bonne participation à l’assemblée. Il s’agit de contacter activement, souvent individuellement, les gens que l’on souhaite voir participer.

Convivialité. Temps informel ayant lieu après l’assemblée, pour permettre les échanges interpersonnels. Essentiel pour bien terminer la journée, et donner envie de revenir.

Horizontalité. Aspect essentiel d’une assemblée où chacun est au même niveau. Disposition en cercle, tour de table, etc., autant d’outils qui font vivre l’horizontalité, ce qui n’est pas synonyme de non-organisation ou de spontanéisme, l’animation est essentielle pour assurer l’horizontalité effective.

Perspectives concrètes. Formulées à partir des échanges : prochaine réunion, rédaction d’un texte, actions… l’essentiel est que l’échange débouche sur du concret. Conclusion indispensable de toute assemblée.


Une question de méthode

L’assemblée citoyenne peut être le fait d’une force politique ou d’une institution (municipale notamment). Même si certains aspects se recoupent, nous traitons ici de la version « militante ».
L’assemblée citoyenne est un outil politique qui peut se mettre en place dans plusieurs cas. Il est important de bien cadrer en amont l’objectif, la « question posée » : s’agit-il de lancer un collectif à vocation électorale ? De mettre en débat un point particulier, qu’il s’agisse d’un projet local ou d’un thème national ? Avec un objectif plutôt orienté vers la coconstruction, la montée en connaissance sur un sujet, la mobilisation ?

« Une bonne animation – préparée – est indispensable, c’est 90 % de la réussite d’une assemblée citoyenne. »

De ces questions découle une première idée des personnes visées – ce qui permettra de cibler les efforts de communication – et en partie le format de la réunion : on n’organise pas les choses tout à fait de la même manière si on veut souder une future équipe d’élus, décrypter un traité européen, ou lancer une mobilisation populaire contre une fermeture de services publics.

Aspects logistiques
Pour le lieu, si le plus simple est d’opter pour une salle municipale, il ne faut pas s’interdire d’explorer d’autres lieux publics, comme un bistrot-restaurant ayant une salle adaptée par exemple : si le gérant est d’accord pour accueillir un événement politique, ce type de lieu peut renforcer la dimension conviviale (attention toutefois à bien cadrer pour que l’assemblée ne tourne pas à « l’apéro, café du commerce » : les participants peuvent prendre une boisson, mais le temps convivial informel est après la réunion).
Si vous ambitionnez plus d’une vingtaine de personnes, mieux vaut prévoir une petite sono, pour le confort de tous : une assemblée où il faut crier pour être entendu n’encourage pas la participation la plus large… Mieux vaut prévoir le matériel et ne pas l’utiliser qu’en avoir besoin et qu’il fasse défaut.
La disposition de la salle est importante : évitez le côté « salle de classe », avec une tribune faisant face à un public, et privilégiez le cercle où tous les participants sont au même niveau.
Enfin, un temps convivial informel après l’assemblée est essentiel, pour permettre aux participants de prolonger les échanges, soudant ainsi le groupe. Il faut veiller, à ce moment-là, à ce que les militants du parti n’aient pas le réflexe de discuter uniquement entre eux, car c’est une occasion d’échanges entre militants et non-militants, entre adhérents et non-adhérents !
Dernier incontournable à prévoir : la feuille de contact (Nom/Prénom/Mail/ Adresse/Téléphone), à faire circuler pendant l’assemblée et à récupérer à la fin, pour pouvoir tenir au courant les participants des suites.

Communiquer pour inviter
Tous les moyens sont à utiliser pour inviter à l’initiative : flyers, affichettes, invitations Facebook, mails… mais s’il ne faut pas se limiter à une communication confidentielle, c’est important de ne pas non plus se contenter d’une large diffusion homogène : le ciblage et les contacts individuels sont essentiels. Selon le thème et l’objectif politique, on peut ainsi repérer des personnes, quartiers ou réseaux qu’il faut particulièrement cibler. Par exemple, pour une assemblée citoyenne en vue de constituer un collectif de liste municipale, on pointera les militants syndicaux, les bénévoles associatifs, les sympathisants actifs, etc., et on les invitera de manière personnalisée, par téléphone ; pour une assemblée traitant des transports dans un quartier, on ciblera les associations de ce quartier et les habitants concernés, en organisant des porte-à-porte et en plaçant des affichettes dans les montées d’immeubles. Pour assurer une participation intéressante, il vaut mieux consacrer 75 % de l’énergie militante disponible à une communication ciblée plutôt que de « seulement » distribuer des milliers de tracts dans les boîtes aux lettres de tout un canton.

L’animation, la clé d’une assemblée citoyenne réussie
Réussir à remplir ses objectifs de participation est un premier enjeu, mais il n’est rien si la réunion en elle-même ne laisse pas un bon souvenir aux participants ! Malheureusement, il ne suffit pas de réunir des gens pour que « la mayonnaise prenne », c’est l’animation du débat qui fait office de la main du cuisinier, et c’est là au passage que l’utilité d’un parti organisé se révèle indispensable. La nature ayant horreur du vide, une assemblée mal animée déviera mécaniquement des objectifs initiaux, soit parce que quelques « grandes gueules » s’approprieront le débat, ou alors la discussion partira sur d’autres sujets que ceux prévus initialement, conduisant collectivement le groupe dans une impasse. Une bonne animation – préparée – est indispensable, c’est 90 % de la réussite d’une assemblée citoyenne.

« Explorer divers lieux, prévoir une petite sono, privilégiez le cercle pour la disposition de la salle. »

Si un animateur peut suffire, un binôme peut aussi être une bonne solution, chacun épaulant l’autre. Les animateurs doivent garder à l’esprit que leur rôle n’est pas de monopoliser la parole, mais de la susciter parmi les participants. Pour cela, des outils comme le « tour de parole » (chacun prend la parole pour donner son avis plutôt que ça se fasse sur la base du volontariat) sont intéressants, en formulant bien l’attente du débat pour permettre aux participants d’intervenir sur le sujet. De même, selon le sujet, il ne faut pas s’interdire de prévoir à l’avance quelques (courtes) interventions de militants pour lancer l’échange, ou le relancer au besoin.

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Une fois la discussion lancée, les animateurs ont pour tâche d’assurer sa fluidité et son débouché. Éviter que certains s’engagent dans des interventions trop longues, donner prioritairement la parole à celles et à ceux qui n’ont pas encore parlé, reformuler et synthétiser brièvement les éléments clés du débat… autant d’exemples les plus évidents du rôle des animateurs. La synthèse est primordiale à la fin de l’assemblée qui doit se conclure par un débouché clairement identifié. Qu’il s’agisse de formuler un projet, une proposition collective, d’engager des actions de mobi­lisation, ou simplement de prévoir la prochaine réunion, c’est très important que l’assemblée débouche sur une perspective, qu’elle soit issue de l’échange collectif, et qu’elle soit clairement énoncée à la fin.
Citoyens, à vos assemblées !


Eybens (38) s’engage sur le chemin des assemblées citoyennes

Tout part du mouvement des « gilets jaunes » : en réunion de cellule, les communistes eybinois partagent le constat d’un besoin d’expression dans la population, et décident de passer à l’action. Une salle municipale est réservée, des invitations éditées, et les camarades se répartissent pour distribuer dans les boîtes aux lettres, sur les marchés et en porte-à-porte. L’objectif fixé est clair : ne pas se limiter à une réunion des militants et des sympathisants, d’où une large diffusion.
Une réussite pour cette première, une trentaine de participants dont six militants com­mu­nistes, et une personne qui a découvert le PCF à cette occasion. Les communistes eybinois sont décidés à prolonger l’expérience, en l’élargissant.


Le collectif « En commun » de Dijon-Nord, l’émergence d’un creuset citoyen

Cette pratique trouve son ancrage dans des cafés citoyens mis en place il y a une dizaine d’années. Le collectif « En commun » est né en 2016, un peu plus d’un an avant l’élection présidentielle. Avec tout un tas de gens de gauche déçus du mandat de François Hollande, nous avons créé un collectif citoyen pour discuter et chercher un débouché pour la présidentielle de 2017. Ce collectif a rapidement réuni quatre-vingt-dix personnes, qui échangent dans leur diversité mais sont unies par l’envie de créer du commun, d’où le nom choisi. En 2016, il y a eu beaucoup de travail sur comment construire un rassemblement, mais surtout aller au-delà des enjeux électoraux. Une réunion est programmée tous les mois, avec de la parole mais également des actes : par exemple, une conférence sur les perturbateurs endocriniens l’an dernier, une autre sur les questions écologiques avec Gérard Le Puill… Chaque conférence a réuni une centaine de personnes, démontrant l’écho positif de ce collectif dans la population.
Cet espace de discussion et de débat a pour vocation de donner la parole aux gens. Des outils sont à ce titre pertinents, comme le tour de table pour que chacun ait la possibilité de s’exprimer. Cette expression de chacun sert de base pour construire les actions, les débats.

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Pour les européennes, « En commun » organise une rencontre autour du thème « À quoi sert l’Europe ? ». L’objectif est de donner des outils intellectuels pour que chacun puisse développer une réflexion autonome.
Cette démarche ne nuit pas au parti, qui a sa propre activité et ses propres campagnes politiques, mais elle permet à chacun de trouver un biais d’engagement dans lequel il va se sentir le mieux possible. C’est un lieu pour donner accès à la politique. Ce collectif n’est pas une « annexe » du PCF, c’est une activité complémentaire qui obéit à ses logiques propres de rencontre et de discussion.
Dans le département, de nombreux collectifs citoyens sont nés dans des villes de taille moyenne : l’idée d’ouverture aux autres plaît et fonctionne bien. Les gens ont besoin d’espaces d’expression, ils ont majoritairement déserté la politique, et c’est en leur donnant le pouvoir qu’il est possible de faire comprendre qu’une alternative est possible. Les participants comprennent bien alors la démarche des militants communistes, qui se fait dans le respect de toutes et tous, et permet de montrer que nous faisons de la politique avec les gens et pas malgré eux. Ainsi, l’idée communiste progresse.


À Morsang-sur-Orge (91), les habitants ont pris le pouvoir

L’idée que les pouvoirs doivent se partager est une évidence pour les communistes, mais lors du passage à l’acte, il y a parfois des difficultés. Aller jusqu’au bout du partage, ça veut dire accepter de se dessaisir en partie.

À Morsang-sur-Orge, frôler la défaite aux élections municipales de 1995 a suscité un électrochoc, et une remise en question en profondeur. La démocratie directe locale a été initiée en 1997 avec la mise en place de comités de quartier qui décidaient des destinations d’un budget participatif, doté de 30 % du budget d’investissement.
Si la démocratie participative s’applique maintenant à tous les sujets, l’exemple de l’élaboration du plan local d’urbanisme (PLU) est sans doute le plus parlant. Traditionnellement, un bureau d’études travaille à partir d’une commande des élus et des contraintes réglementaires. Ensuite, les élus valident la proposition du bureau d’études et un processus s’engage avec des réunions de présentation du PLU aux citoyens pour qu’ils donnent leur point de vue, recueillis par un commissaire enquêteur. Les élus tranchent et intègrent certaines remarques, que le bureau d’études formalise. Après un avis du commissaire-enquêteur, les élus se prononcent alors sur le projet définitif, envoyé alors à la préfecture.

« Des élections sont intervenues au cours de la procédure et ont été remportées par les communistes car la pratique de démocratie directe, crédibilisant notre démarche municipale, a convaincu au-delà de nos rangs. »

Morsang-sur-Orge a fait la démarche inverse : des assemblées citoyennes par quartier ont été le point de départ. Celles-ci ont organisé des « balades citoyennes de constat » : les habitants ont fait des remarques, à l’aide d’écrits ou de photographies, ce qui a permis de collecter vingt kilos de données brutes. c’est une expertise spontanée des gens dans leur quartier qui a pris deux ans. Ces données brutes ont été traitées par rubrique et par quartier, et sont retournées en assemblées citoyennes par quartier pour que les habitants planchent sur des solutions. Celles-ci ont ensuite été synthétisées lors d’assemblées citoyennes à l’échelle de la ville. Au fur et à mesure des synthèses, le projet s’est précisé et a été mis en cohérence : c’est un « moment de validation citoyenne du plan local d’urbanisme ». Pendant ces trois années de travaux, jamais les élus ne sont intervenus directement dans les choix politiques : c’est un PLU 100 % participatif. Les allers-retours systématiques forment une « boucle citoyenne permanente », qui a abouti à un point d’équilibre faisant globalement consensus.
C’est à ce moment seulement qu’il a été fait appel à un bureau d’études, pour formaliser chaque rubrique et produire la forme réglementaire de l’expression citoyenne. Chaque rubrique a été validée par des assemblées. C’est un moment de pédagogie, pendant lequel les citoyens mettent directement « les mains dans le cambouis ». Cela a représenté dix-huit mois de travail.
À la suite de ces allers-retours est né un document qui a mis six ans et demi à être élaboré, mais qui est réellement construit par les citoyens. Des élections sont intervenues au cours de la procédure et ont été remportées par les communistes car la pratique de démocratie directe, crédibilisant notre démarche municipale, a convaincu au-delà de nos rangs.
Depuis, tout est décidé à partir d’assemblées citoyennes, que ce soit des comités de quartier ou des assemblées thématiques plus ponctuelles : les habitants ont réellement pris le pouvoir.


L’assemblée communale de Port-de-Bouc,espace de démocratie vivante

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Tout a commencé en 2005, lors de la campagne référendaire. La municipalité communiste lance alors une « assemblée communale », espace de débat ouvert destiné à permettre l’appropriation par le plus grand nombre. Cette démarche est réactivée lorsque la commune devient membre de la métropole Aix-Marseille-Provence : face à l’éloignement des institutions et des lieux de décision, il fallait créer de nouveaux lieux d’implication des citoyens. Sous le mot d’ordre « Tout ce qui concerne Port-de-Bouc se décide à Port-de-Bouc », cette assemblée s’inscrit dans la durée, permettant aux habitants de s’emparer des projets municipaux mais aussi d’échanger politiquement.

« Organiser la prise de parole,pour donner les moyens à la population d’être collectivement autrice et actrice ! »

Un exemple illustrant la démarche : les conséquences des réformes fiscales (suppression de la taxe professionnelle, baisse des dotations…) sur la commune ont été mises en débat avec la population, entraînant une large prise de conscience de l’injustice fiscale. L’assemblée est même allée plus loin, les habitants construisant ensemble un « budget alternatif », engageant ensuite une dynamique populaire pour aller revendiquer les moyens de sa mise en œuvre auprès de l’État.
Aujourd’hui, l’appel d’air engagé avec les cahiers de doléances donne un nouvel élan à l’assemblée communale : on y organise des ateliers sur l’éducation, le service public, l’environnement, le logement… Ces ateliers sont coconstruits de A à Z avec les habitants et, le 5 mars, est organisée une grande restitution des cahiers de doléances.
L’objectif de ce formidable outil démocratique n’a pas dévié : organiser la prise de parole, pour donner les moyens à la population d’être collectivement autrice et actrice ! 

Cause commune n° 10 • mars/avril 2019