Pedro Lemebel, Hablo por mi diferencia, 1986, photographie, caisse de lumière (85 x 120 cm) et enregistrement sonore (11’), musée Reina Sofía, Madrid.
Cette photographie documente la performance que Pedro Lemebel a réalisée en 1986, à Santiago du Chili, lors d’une rencontre clandestine d’organisations de gauche, en pleine dictature militaire. À cette occasion, l’artiste a lu pour la première fois son manifeste Hablo por mi diferencia (Je parle pour ma différence). Dans ce texte, Pedro Lemebel dénonce le manque de considération ou, pire, les moqueries, voire les violences exercées par les organisations et militants de la gauche révolutionnaire traditionnelle contre les homosexuels et transsexuels, au nom de l’« homme nouveau » et son injonction masculiniste. Les ayant vécues dans sa peau, il clame à qui veut bien l’entendre : « Ma virilité c’est de m’accepter différent / Être un lâche est beaucoup plus dur / Je ne tends pas l’autre joue / Je tends mon cul, camarade / Et ça c’est ma vengeance. »
Cette œuvre sera exposée aux côtés de celles de bien d’autres artistes (Julio Le Parc, Taller 4 Rojo, Juan Carlos Romero, Iconoclasistas, Mariana Chiesa, Linhas do Horizonte, Escuadrón Guillemet, etc.) au musée Reina Sofía de Madrid, à partir du 18 mai. Exceptionnellement, nous pourrons y admirer quelques-unes des banderoles peintes et déployées dans les rues d’Amsterdam, le 12 septembre 1981, par les artistes de l’Association internationale de défense des artistes victimes de la répression dans le monde (AIDA), lors de la manifestation pour les « 100 artistes disparus » en Argentine. Proposée par le réseau international de chercheurs Red Conceptualismos del Sur, cette exposition invite à réfléchir aux ruptures et réinventions des langages suscitées par des contextes coercitifs, particulièrement en Amérique latine depuis les années 1960. Dans leurs différences respectives, ces récits alternatifs tressent ensemble un imaginaire collectif de la dissidence. Ils s’entremêlent, annonce le titre de l’exposition, « comme le lierre sur le mur » (Violeta Parra).
« Giro Gráfico, como en el muro la hiedra », musée Reina Sofía, Madrid, du 18 mai au 13 octobre 2022.
Élodie Lebeau
Cause commune n° 29 • été 2022