Par
REGARDcc27.jpg
À gauche : Felice Varini, Concentrique excentrique, installation, cité de Carcassonne, 2018.
À droite : traces de l’œuvre encore visibles aujourd’hui après démontage, décembre 2021.
Montage : Joaquín Fernández Lebeau.

En 2018, pour célébrer le vingtième anniversaire de son inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO, la cité de Carcassonne a accueilli sur ses remparts et ses tours une installation de l’artiste suisse Felice Varini. De mai à septembre, des bandes curvilignes jaunes ont pris possession de la façade ouest du site. Les visiteurs ne pouvaient y trouver de cohérence qu’en se positionnant à un point précis, en face de la porte de l’Aude (cf. ci-dessus). Cette opération, s’élevant à une centaine de milliers d’euros (fonds publics et privés), et commandée dans le cadre du festival IN SITU Patrimoine et art contemporain, a fait scandale.
Au-delà des traditionnelles critiques adressées à l’art contemporain – « c’est horrible », « ignoble », « ça gâche tout » –, un sentiment de dépossession du monument s’est exprimé au sein de la population carcassonnaise. Une pétition, signée par deux mille cinq cents personnes, a déploré la dénaturation du site historique.
Il s’agissait pourtant d’une œuvre éphémère, qui ne devait pas laisser de traces. Après ces cinq mois, l’histoire aurait donc pu s’arrêter là, mais voilà qu’au moment de leur décrochage, les bandes d’aluminium ont littéralement « épilé » les lichens accumulés sur les murs. L’« effet fantôme » alors produit, selon le terme d’Amancio Requena, administrateur adjoint du château et des remparts de la cité, hante depuis lors les parois de l’édifice. Une équipe de chercheurs du Centre interdisciplinaire de conservation et de restauration du patrimoine (CICRP) travaille actuellement à rendre à la cité son aspect uniforme en favorisant la réapparition des lichens sur les parties mises à nu.
Si le rectorat de l’académie de Toulouse considère que « la réaction est révélatrice du manque d’éducation à l’art et à l’art contemporain notamment », elle témoigne avant tout d’une fracture toujours plus profonde et dangereuse entre les décideurs et les citoyens. Pourtant, l’association Le Passe muraille, coordinatrice du festival, a pour habitude de consulter et construire avec les usagers des lieux patrimoniaux investis. Une bonne pratique qu’il conviendrait de systématiser pour favoriser le dialogue plutôt que la confrontation.
Élodie Lebeau

Cause commune • janvier/février 2022