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Un bel exemple du double langage de l’extrême droite, nationaliste, anti-libérale et écolo-identitaire côté cour, mondialiste, partisan du profit sans frontières et pro-pétroliers, côté jardin.

Hervé Juvin est l’intellectuel du Rassemblement national. La presse l’a présenté comme « la tête pensante » de Marine Le Pen. C’est le théoricien du nationalisme version 2019. Comme le mot est un peu difficile à prononcer, Juvin lui préfère celui de localisme. C’est aussi un politique de premier plan. Longtemps, on l’a présenté comme devant prendre la tête de la liste du Rassemblement national aux élections européennes du printemps 2019. Finalement il a dû céder quelques places aux jeunes loups (l’homme est né en 1956) ; il s’est retrouvé en cinquième position et fut élu en mai dernier.
Le personnage a son propre cabinet, après avoir été membre du groupe européen de « conseil en stratégie et organisation », Eurogroup consulting. Il a la fibre médiatique, volontiers invité dans les débats télé pour défendre ses idées et ses livres (un vrai graphomane, sa bibliographie est longue comme un jour sans pain).
Il copine avec la droite extrême depuis longtemps. On repère par exemple sur les réseaux sociaux sa présence, en 2010, à un colloque du Bloc identitaire intitulé « Localisme et identité, la réponse au mondialisme ». Il rapportait sur le thème « La redécouverte de la condition politique ( frontière et identité) comme solution à la crise ». (Ceci montre en passant que des passerelles entre lepenistes et identitaires existent, contrairement à ce qu’affirme Marine Le Pen). Depuis septembre 2017, il chronique dans la revue d’extrême droite d’Alain de Benoist,  Éléments.
Les mots clés d’Hervé Juvin sont nationalisme (pardon : localisme), frontières, identité. Et puis il y a cette formule choc : « L’argent-roi, une incompatibilité avec la démocratie ». On retrouve cette logorrhée chez Marine Le Pen qui manie volontiers des formules définitives contre la finance et les oligarchies financières, comme : « Les oligarchies financières sont tentées de porter atteinte à la liberté de parole, qu’elle soit journalistique ou politique. […] Il semble que les oligarchies financières qui se sentent protégées, voire encouragées par une sorte d’impunité, soient tentées d’intervenir de plus en plus dans le cours de la démocratie en France. […] Les opposants vont-ils être réduits à un exil bancaire ? Est-il acceptable qu’une banque puisse décider qui a le droit d’exercer sa liberté d’expression en France ? Qu’arriverait-il si demain une banque pouvait décider du bannissement bancaire », etc.
On se souvient que, lors de la campagne du second tour de la présidentielle, les frontistes opposaient les « patriotes » aux « mondialistes », les « antisystème » aux représentants d’un « système ». Marine Le Pen définissait sa bataille face à Macron comme un duel entre les tenants d’une « mondialisation sauvage », la « dérégulation totale », « l’argent roi » et elle-même.

L’idéologue d’un nouveau discours lepéniste sur l’écologie
Et puis Hervé Juvin, last but not least, est aussi l’idéologue qui a bricolé le nouveau discours lepeniste sur l’écologie. Sa rubrique dans Éléments s’intitule d’ailleurs « L’écologie des civilisations ». C’est lui qui tenait la plume pour le discours de Marine Le Pen sur l’environnement de janvier 2017, présenté en ce domaine comme la bible du mouvement. On a dit, écrit qu’il avait fait prendre le tournant écologiste au RN. On le croise encore en février 2019, à Lyon, où il tient une conférence sur « Énergie, alimentation, territoires » avec Marine Le Pen au premier rang. Son orientation en ce domaine est simple, voire simpliste : «  On ne répondra aux problèmes écologiques actuels qu’avec des États en pleine possession de leur territoire, qui contrôlent l’économie et leurs frontières. » Sa thèse ? « C’est la diversité qui fait la survie. Si on réduit cette diversité, on s’expose au risque de la disparition de l’espèce. Je ne vois pas pourquoi on n’aurait pas la même réflexion au sujet de la diversité des espèces humaines. » Espèce/race, on navigue dans des eaux troubles. Se profile un discours écolo-identitaire, où ici aussi la solution, c’est la frontière.
En somme, chacun chez soi et les races seront bien gardées. Le contre-exemple parfait ? Le Brésil où le multiculturalisme de la société (le métissage) expliquerait un taux de criminalité élevé.
On va dire qu’il y a une certaine logique dans tout ça, des thématiques détestables mais apparemment cohérentes. Au vieil affrontement capitalisme/communisme, l’heure est venue du bras de fer mondialisme/nationalisme.
Oui mais voilà : Monsieur Hervé Juvin, une fois élu euro-député, a dû déclarer ses revenus (une partie en tout cas) à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Cette déclaration a ensuite été rendue publique sur le Net. Tout le monde peut consulter le document. Et là, stupeur et tremblement, on s’aperçoit que le bonhomme, ennemi de « l’argent-roi » est « pété de thunes », comme dirait un collégien ; il a placé des milliers d’actions dans les secteurs les plus divers, qui, pour la seule année 2018, lui ont rapporté un pactole (voir encadré ci-contre).

Un actionnaire (gâté) des plus grandes multinationales
On découvre que l’obsédé de la frontière, le localiste fébrile est un chaud partisan d’Amazon et de Microsoft qu’il finance et dont il profite. Le nationaliste est un actionnaire (gâté) des plus grandes multinationales. Le rebelle opposé aux banques adore BNP, Suez and co. L’antilibéral s’enrichit avec les pirates de l’ultralibéralisme. L’anti-américain soutient (et se rétribue sur) les firmes de l’oncle Sam. Et que dire de l’écologiste farouche (l’écologie des civilisations!) qui est accessoirement un fervent soutien de Royal Dutch (Shell) ou de Total.
Hervé Juvin, c’est Mister Jekyll, le fana des frontières (et autres murs) et Mister Hyde, tout fou de la finance sans entraves. C’est surtout un politicien madré, qui surfe sur la crise de la politique : il dénonce le cynisme des autres mais dans le genre, il fait pire. C’est en fait une parfaite image du Rassemblement national, attrape-gogos pour démunis, piloté par des aigrefins et des libéraux bon teint, une machine bien rodée qui prend les gens pour des c....l


Les bonnes affaires de « l’écolo-nationaliste » Hervé JUVIN

 Rémunérations perçues au cours de l’année 2018 pour ses participations financières directes dans le capital de différentes sociétés :

Amazon 16 692 €, ATOS 4 184 €, Danone 32 688 €, Microsoft 9 525 €, Mondelez 10 284 €, NETAPP 6 102 €, Pernod 73 569 €, Rolinco 18 577 €, Royal Dutch 43 635 €, Sanofi 12 401 €, Suez 22 199 €, Total 69 494 €, Unitedtech 8 927 €, Vinci 49 730 €, Workday 10 528 €, Worldline 14 145 €, ESIGROUP 9 600 €, Infotel 5 224 €, Airbus 10 128 €, BNP 6 197 €, Carrefour 4 848 €, Deutschepost 3 810 €, Ipsen 5 295 €, Orpea 6 780 €, Rubis 3 689 €, Sanofi 16 318 €, STMICRO 4 355 €, Total 17 388 €, Valeo 7 250 €, Veolia 11 135 €, Vinci 4 993 €, Worldline 2 536 €, Cellectis 1 559 €, Cogelec 1 420 €, Genomic 88 €, Ingenico 2 899 €, Wallix 2 740 €, Airliquide 454 000 €, Michelin 18 481 €, Mondelez 10 289 €, Orange 6 845 €, Royal Dutch 804 €, Total 81 783 €, Air Liquide 180 800 €
Sur la même déclaration d’intérêts, il est demandé à Hervé Juvin s’il exerçait des activités bénévoles, réponse brève : Néant.
Je laisse aux lecteurs/lectrices le plaisir de faire le total des rentrées du sieur Juvin ...

Selon la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP)