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Après trois semaines de mise en œuvre de ce qu’il est convenu d’appeler la « continuité pédagogique » en période de confinement, il est plus que temps de questionner cette injonction faite à la fois aux enseignants, aux élèves et étudiants, et aux familles, réunis pour le coup dans une difficulté commune insurmontable.

 

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On n’apprend pas seul

C’est l’expérience concrète que sont en train de vivre près de quinze millions d’élèves et étudiants et dont il s’agira de se souvenir : les interactions sociales et notamment les interactions entre pairs sont nécessaires à la construction des savoirs, selon l’hypothèse socio-constructiviste.

« LES INTERACTIONS SOCIALES ET NOTAMMENT LES INTERACTIONS ENTRE PAIRS SONT NÉCESSAIRES À LA CONSTRUCTION DES SAVOIRS.»

C’est pourquoi jusque dans les établissements de l’enseignement supérieur les plus sélectifs, où les moyens techniques et les ressources propres des étudiants ne sont pas un obstacle, l’enseignement à distance se heurte à une difficulté indépassable.

Pourtant, les enseignants se sont familiarisés en un temps record avec les différents outils de classe virtuelle, se sont heurtés à l’insuffisance des moyens techniques disponibles pour une expérimentation d’une telle ampleur, développent les nouvelles ressources pédagogiques rendues nécessaires par cette nouvelle modalité d’enseignement.

« CE N’EST QUE DANS LA CLASSE QUE L’ÉCOLE PEUT ÊTRE DÉMOCRATIQUE, ÉMANCIPATRICE, ET TRAVAILLER À LA RÉUSSITE DE TOUTES ET TOUS.»

Alors que l’engagement et la réactivité des enseignants deviennent visibles et recueillent un soutien nouveau, au moment même où leur métier est empêché, l’absence de résistance professionnelle, syndicale, politique, sociale, au principe même de la nécessité d’une continuité pédagogique doit interroger. Elle est encore plus problématique dans le champ de la gauche consciente que les inégalités scolaires se construisent essentiellement en dehors de la classe.

Quelle utilité sociale des enseignants en période de confinement ?

La crise sanitaire majeure que nous traversons montre toute l’utilité des services publics. Personnels soignants, éboueurs, postiers, aides à la personne, fonctionnaires du Trésor public sont celles et ceux dont le travail devient absolument indispensable, alors qu’ils ont été affaiblis par les politiques d’austérité et les discours politiques les faisant apparaître comme des coûts inutiles pour la société.

L’Éducation nationale n’a pas échappé aux politiques libérales qui se sont accélérées ces dernières années, avec, dans le même mouvement, la réduction continue du temps scolaire et des moyens alloués à l’enseignement, la précarisation et la déqualification du métier d’enseignant, et un changement idéologique de fond avec la territorialisation des programmes et l’individualisation des parcours d’apprentissage des élèves. Les luttes enseignantes, qui ont connu dernièrement un regain de vigueur face à la mise en place du nouveau lycée Blanquer, dans le mouvement des gilets jaunes au travers notamment de l’engagement des professeurs des écoles intervenant en milieu rural, et surtout dans le mouvement contre le projet de réforme des retraites, se sont heurtées au mépris et aux mensonges qui sont la marque de fabrique de ce gouvernement Macron-Philippe.

« LA GÉNÉRALISATION DES OUTILS DE TÉLÉ-ENSEIGNEMENT PARTICIPE DU PROJET D’INDIVIDUALISATION DES PARCOURS DE FORMATION, QUI A COMME COROLLAIRE LA FIN DU CARACTÈRE NATIONAL DE L’ÉDUCATION ET DES DIPLÔMES.»

Comme tous les autres corps de métiers mobilisés pour faire face à la crise, les enseignants, attachés à leur utilité sociale, veulent agir. Mais aucune forme de délégation des apprentissages scolaires aux familles n’est acceptable. Ce n’est que dans la classe que l’école peut être démocratique, émancipatrice, et travailler à la réussite de toutes et tous. Il est d’autant plus important de résister à l’injonction de continuité pédagogique qu’elle permet au gouvernement d’accélérer son calendrier de réforme libérale de l’école. La généralisation des outils de télé-enseignement participe du projet d’individualisation des parcours de formation, qui a comme corollaire la fin du caractère national de l’éducation et des diplômes.

Chaque année, les enfants sont déscolarisés pendant deux mois en été, voire parfois plus dans l’enseignement secondaire et supérieur, sans qu’aucune réforme des rythmes scolaires se soit jamais émue de ce problème. La suppression du samedi matin travaillé dans l’enseignement élémentaire correspond à près d’une année complète perdue. Et chaque réforme de l’enseignement secondaire s’accompagne d’une réduction des heures d’enseignement en même temps que d’une diversification des missions de l’école.

Ce ne sont pas pendant les six ou huit semaines de confinement que se joue l’avenir scolaire, intellectuel, cognitif, des enfants et des jeunes, si toutefois la reprise et les aménagements nécessaires sont bien réfléchis et préparés.

Quelques idées 

Quel travail enseignant, utile socialement et ne déléguant pas les apprentissages aux familles, peut-on imaginer dans la période de confinement ?

• Assurer un contact régulier avec tous les élèves, prendre des nouvelles, donner des recommandations et conseils divers, en dehors de toute situation d’enseignement à proprement parler. C’est utile et cela contribue à renforcer la relation pédagogique.

• Participer à une réflexion collective sur les aménagements qui seront à apporter aux programmes et aux examens avec une partie de l’année manquante, afin de préparer un retour en classe efficace. Il est frappant de constater que la continuité ne s’applique pas au fonctionnement des différentes instances professionnelles de concertation et de décision : conseils d’administration, conseils pédagogiques, conseils d’école….

• Continuer de se former, avec des ouvrages de référence par discipline mis à disposition gratuitement en ligne, et des temps de réflexion et d’échange.

Dans le champ de l’éducation comme dans ceux de la santé, de l’ensemble des services publics ou des politiques économiques, il est temps de construire les réponses syndicales et politiques à la hauteur de la crise que nous traversons.

Muriel Ternant est professeur de physique-chimie au lycée Cuvier de Montbéliard, membre du PCF du Territoire de Belfort.

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