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Intervention prononcée le 5 mars 2018, dans le cadre du colloque sur la réforme constitutionnelle initiée par le gouvernement, organisé par les parlementaires communistes au Palais du Luxembourg.

L’échec de Sarkozy et celui de Hollande ont reposé essentiellement sur le renoncement à affirmer un rôle d’État stratège, un État fort, puissant, qui protège, y compris les territoires. Sarkozy avait bâti sa campagne sur la France forte, Hollande fait basculer la campagne électorale en prétendant déclarer la guerre à la finance, et tous deux butent sur la loi du marché qui reprend le dessus. J’ai l’impression que depuis de nombreuses années, et d’une manière accélérée dans la dernière séquence, le projet libéral européen a contribué à affaiblir le rôle de la puissance publique, de ses moyens d’intervention, et notamment du service public. Il y a là une certaine forme de danger, et donc une urgence à réagir, car partout où la République recule, s’affaiblit, où l’État renonce, le risque est grand que le repli sur soi progresse. On le constate à travers l’abstention ou encore les votes qui se sont exprimés ce week-end en Italie.

Un fonctionnement technocratique
Les fonctions régaliennes de l’État sont abîmées, dégradées, de même sa capacité à intervenir sur l’économie, et il suffit de voir l’actualité récente de Siemens-Alstom avec un ministre qui nous explique que moins il y a d’État mieux il y a d’État. On a là l’illustration d’un renoncement productif généralisé. Dans le même temps, nous subissons l’éloignement des services de l’État, la fusion des agences régionales de santé (ARS), des rectorats, des inspections académiques, et des régions transformées en länder qui fonctionnent de plus en plus selon un modèle technocratique. Qui, parmi les citoyens, est capable de comprendre quoi que ce soit aux schémas régionaux d’aménagement et de développement du territoire, aux schémas régionaux de développement économique, d’innovation, etc. ? Même les élus ont du mal à s’y retrouver. On est dans un fonctionnement technocratique au service toujours du même objectif : pôles d’excellence, pôles d’innovation, pôles de compétitivité, pôles universitaires réservés aux métropoles. Ce phénomène me conduit à dire qu’une partie du territoire national est oubliée, abandonné. C’est la raison pour laquelle j’utilise l’appellation des oubliés de la République, voire des humiliés de la République, qui concerne le milieu rural, mais aussi les quartiers les plus paupérisés, les plus populaires des cités autour du noyau métropolitain.

« Un État censeur, un État tuteur, qui s’assoit sur le principe de libre administration des collectivités locales. »

On a assisté à des réformes institutionnelles qui ont accompagné ce mouvement : les fusions de communes au forceps ou largement encouragées par la carotte ou le bâton budgétaire ; des intercommunalités mastodontes favorisées dans les commissions départementales de coopération intercommunale où je n’ai pas vu beaucoup de citoyens donner leur point de vue, ni même d’ailleurs d’élus, ce qui s’est d’ailleurs traduit par des résultats aux sénatoriales qui ont été peu analysés par ceux qui ont porté les projets de loi. Et, au bout du compte, un État censeur, un État tuteur, qui s’assoit sur le principe de libre administration des collectivités locales. On parle de crise démocratique, mais est-ce que la commune, par exemple, n’est pas une instance de démocratie vivante qu’il faudrait préserver ? Les maires sont plébiscités et c’est pourtant la collectivité qui, dans les réformes successives, va souffrir le plus.


Un véritable déménagement du territoire
Il y a donc un paradoxe : l’évolution de notre organisation territoriale et institutionnelle se traduit par un véritable déménagement du territoire. Toutes les lois récentes proposées en débat au Parlement accentuent cela. Par exemple, la réforme autour du logement se traduit par la construction de bailleurs mastodontes, la disparition de la capacité des bailleurs à intervenir dans les villes rurales, dans les villes moyennes. Avec au bout du compte, un éloignement d’une des questions prioritaires des Français : le logement. Emploi, santé, logement, éducation, quatre priorités et quatre sujets pour lesquels le gouvernement a fait le choix de l’individualisation, de l’éloignement des pouvoirs de décision, et du détricotage du service public. Le gouvernement, depuis son installation, pour priver les citoyens de toute capacité de résistance, vide le Parlement de sa substance. Premier acte politique : réunion du congrès de Versailles la veille du débat de politique générale. Le Président de la République commence son mandat par une humiliation du Premier ministre. Deuxième acte politique : la loi phare de ce gouvernement, la réforme du Code du travail, adoptée par ordonnance, c’est-à-dire par un dispositif qui prive le Parlement de sa capacité à enrichir, modifier ou s’opposer à la loi. Même chose pour la réforme de la SNCF : le gouvernement nous explique que rapidité, absence de débat, riment avec efficacité. Et au bout du compte, des groupes de travail qui vont favoriser un affadissement du Parlement, pas seulement en réduisant le nombre de parlementaires, mais aussi en considérant que le Parlement doit se transformer en think tank [laboratoire d’idées] en conseil économique et social, en lieu où l’on n’initie plus la loi, où l’on ne modifie plus la loi, mais où on réfléchit en vase clos, de préférence entre Parisiens. Les effets de mode sur le non-cumul, sur les grandes circonscriptions qui seraient un outil pour permettre aux parlementaires d’être plus efficaces, vont éloigner les territoires oubliés de la République, les territoires humiliés de la République, du Parlement, puisque l’on va transformer les députés en Parisiens, six jours sur sept, le dimanche en circonscription et le reste de la semaine au Parlement. Il y a donc danger de ce point de vue d’avoir deux types de France, d’avoir une République éclatée, d’avoir l’unicité de la République mise en miettes. Le journal Le Monde avait fait le choix de juxtaposer des cartes : la présence médicale en France avec le vote FN et l’abstention, la présence des services publics de proximité avec le degré de confiance envers la puissance publique. On voit bien à quel point partout où la République recule, où la République renonce, le repli sur soi et l’abandon progressent. Et je me dis qu’il y a des contrepoints à établir. l

Sébastien Jumel est député (PCF) de Seine-Maritime.

Cause commune n° 5 - mai/juin 2018