Par

Proposition de loi de soutien des collectivités territoriales suite à la crise covid-19, présentée par le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) au Sénat.

La crise sanitaire consécutive à la pandémie de covid-19 entraîne une profonde crise économique et sociale qui touche aussi de plein fouet la démocratie locale et la libre administration des collectivités territoriales. Ces dernières, grandes oubliées des dispositifs d’urgence mis en œuvre par l’État, sont menacées par un effet de ciseaux avec la baisse de leurs recettes, couplée à des augmentations de dépenses. Les élus locaux sont pourtant les premiers à portée de nos concitoyennes et concitoyens et n’attendent pas les directives et aides de l’État pour intervenir au quotidien par l’investissement local, ainsi que dans l’urgence de la situation actuelle par des mesures innovantes et solidaires.

Pertes de recettes cumulées des collectivités
Pendant que le gouvernement concentre ses efforts sur le soutien aux entreprises, l’inquiétude des élus locaux s’est accrue de manière légitime, alors que leur rôle demeure essentiel dans de nombreux domaines. La commission des finances du Sénat dans son suivi du plan d’urgence prévoyait au début de la crise que les pertes de recettes cumulées des collectivités sur 2020 et 2021 pourraient atteindre 4,9 milliards d’euros. Depuis, ces estimations se sont largement aggravées et cela pourrait atteindre pour la seule année 2020 7,5 milliards d’euros et plus de 10 milliards d’euros pour 2021. Les recettes essentiellement fiscales et sensibles à la conjoncture représentent une part importante du total des recettes locales. En 2018, les recettes fiscales atteignent 85 % des recettes de fonctionnement totales des régions, 78 % de celles des départements, 65,5 % de celles des communes et 56,4 % pour les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre.
Dès 2020, les recettes des régions provenant de la part de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui leur est affectée, depuis le remplacement de leur part de dotation globale de fonctionnement, vont diminuer. Bien qu’elles soient garanties à hauteur de 4,1 milliards (soit le montant des dotations supprimées en 2017), ces recettes pourront décroître de 6,4 % par rapport à la TVA touchée par les régions en 2019. Les diminutions relatives aux évolutions de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) toucheront les collectivités en 2021, car les acomptes sont versés une année après, la chute sera ici plus violente puisqu’il n’y a pas de mécanisme de garantie, un possible déclin allant de 20 % à 50 %, qui touchera proportionnellement davantage les régions mais sans épargner les départements et communes (la CVAE étant répartie à 50 % pour les régions, 23,5 % pour le bloc communal et 23,5 % pour les départements). Les conditions d’évolution du marché de l’immobilier peuvent fortement influencer les recettes provenant des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), de par la baisse des prix de vente et la contraction du volume de vente. Ce véritable choc touchera en premier les départements puisque les DMTO sont leur seconde recette principale après la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB). La baisse de recettes pour 2020 des DMTO est évaluée à 4,4 milliards d’euros, soit 3,4 milliards pour les départements et 1 milliard pour les communes. À cela s’ajoute une baisse certaine de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) puisque les mesures de confinement réduisent les déplacements et la demande d’essence, ainsi que des pertes de recettes liées à l’arrêt des activités de tourisme.
Les recettes fiscales des communes sont moins sensibles à l’évolution de la conjoncture (la majorité provenant des taxes foncières et de la taxe d’habitation) ; pourtant l’Association des maires de France évalue à 10 milliards d’euros les pertes de recettes pour le bloc communal, notamment par l’effet sur la contribution foncière des entreprises (CFE) et la CVAE. Les recettes provenant de la taxe de séjour touchée principalement par les communes diminueraient au minimum de 80 millions d’euros, et le partenariat avec les départements et régions risque d’être atténué du fait des difficultés financières de ces deux niveaux de collectivités. Les collectivités d’outre-mer sont dans une situation particulièrement fragile du fait de la baisse des recettes de l’octroi de mer, qui constitue pour exemple 76,5 % des recettes des communes de Mayotte. Les autorités organisatrices de mobilité (AOM) vont aussi voir fondre leur versement mobilité de plus d’un milliard d’euros conséquemment aux mesures de chômage partiel. Ces estimations ne cessent de s’alourdir et de s’élargir à d’autres recettes et collectivités et certaines recettes que l’on pouvait estimer plus solides comme le foncier subiront également les conséquences d’arrêt de constructions et de ventes.

« Les collectivités territoriales, grandes oubliées des dispositifs d’urgence mis en œuvre par l’État, sont menacées par un effet de ciseaux avec la baisse de leurs recettes couplée à des augmentations de dépenses. »

La dégringolade des recettes fiscales des collectivités est aggravée par la diminution des redevances consécutives aux fermetures de services publics locaux, financés par des usagers, tels que les crèches, équipements sportifs et culturels ou encore les fermetures de marchés et droits de terrasse. Certaines communes, dont la survie économique est liée à l’attractivité touristique, ne pourront tenir en perdant les recettes liées aux produits de services et de jeux. En parallèle, les coûts induits par les collectivités depuis le début de la crise s’accumulent et les élus les ont financés en direct : achats de matériel de protection, accueil d’enfants du personnel soignant, portage de repas pour des personnes âgées, hausse probable des dépenses des centres communaux d’action sociale (CCAS), coûts liés à l’organisation de la réouverture des établissements scolaires…
Les départements, échelon de compétence des solidarités, vont voir leurs dépenses sociales flamber et la hausse de bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) va jusqu’à + 10 % en Seine-Saint-Denis, alors que les dépenses liées au RSA représentent déjà en moyenne 20 % des dépenses de fonctionnement des départements. Combien d’entre eux risquent d’être en cessation de paiement ? Alors que les régions alimentent le fonds de soutien aux artisans, commerçants et entreprises créé par l’État qui invite également le reste des collectivités à contribuer, la baisse des recettes cumulée à la hausse des dépenses risque de compromettre les finances des collectivités et les projets locaux en cours. Deux lois de finances rectificatives ont déjà été examinées sans comporter de mesures d’aides financières concrètes aux collectivités, qui ne peuvent se contenter d’avances de dotations ou d’étalement de paiements, ni de la prise en charge à seulement 50 % des achats de masques réalisés à partir du 13 avril et seulement par rapport à un prix de référence largement inférieur à celui souvent payé par les élus locaux dans leur course contre la montre sur le marché des masques. Par ailleurs et à titre d’exemple, si l’annonce gouvernementale d’un maintien des subventions sur projet par les collectivités à destination des associations pour des événements sportifs et culturels est essentielle pour maintenir les associations à flot, elles auront un coût, non compensé à l’heure actuelle, pour les collectivités.

Des mesures gouvernementales insuffisantes
Le gouvernement a annoncé un plan prévu pour le prochain projet de loi de finances rectificative à hauteur de 4,5 milliards d’euros mais ses détails laissent perplexes : la clause de sauvegarde pour les communes exclut les pertes de recettes tarifaires, les départements sont seulement éligibles à des avances qu’ils devront rembourser et les régions ne sont tout simplement pas concernées. Les collectivités se trouvent actuellement dans un cadre qui ne leur permet pas d’avoir les marges de manœuvres nécessaires pour affronter cette crise, ni d’être incitées à maintenir l’important niveau d’investissement public qu’elles représentent jusqu’à présent. D’une part, le mécanisme de contractualisation (dit des « contrats de Cahors ») institué par la loi de programmation des finances publiques de 2018 ne peut plus être d’actualité (s’il l’a déjà été) face aux chamboulements économiques et financiers à venir. La suspension du dispositif de sanction acté par la loi d’urgence du 23 mars 2020 est insuffisante, son abrogation est de bon sens. De plus, la situation actuelle nous révèle la dangerosité pour les finances des collectivités de remplacer des impôts locaux, sur lesquels les élus locaux ont des marges de manœuvre, par des fractions d’impôts nationaux. Cela est pourtant le cas dans la réforme de la fiscalité actée lors du dernier budget, qui remplace dès 2021 la part de TFPB des départements et la part de taxe d’habitation des EPCI par une fraction de TVA, et leur fait ainsi perdre le pilotage de ces recettes. Cette nécessaire autonomie financière des collectivités doit se penser en corrélation avec leur besoin d’une réelle et libre administration, frustrée depuis la suppression de la clause générale de compétences des départements et régions. Les collectivités ont plus que jamais besoin d’une liberté d’agir en temps de crise, a fortiori lorsque l’État est défaillant.

« Les collectivités ont plus que jamais besoin d’une liberté d’agir en temps de crise, a fortiori lorsque l’État est défaillant. »

À titre d’exemple, dans le cadre actuel, les départements souhaitant produire des tests de dépistage au virus dans leurs laboratoires agissent en dehors de leurs compétences attribuées par la loi. C’est pourquoi nous défendons également le rétablissement de cette clause à côté de la présente proposition de loi de soutien financier. Pour être à la hauteur de la situation de crise, nous devons également penser l’après-crise en faveur d’une dynamique de réduction des inégalités et injustices, et mieux réfléchir à ses conséquences sur les politiques publiques que nous souhaitons pour notre pays. Les élus locaux ont fait face à la crise, aujour­d’hui ils sont les acteurs du déconfinement et de la relance du pays par leur présence et leurs investissements. Le ministre chargé des collectivités territoriales Sébastien Lecornu a annoncé que des « efforts colossaux » allaient devoir être réalisés sur le front des finances locales.
Les élus locaux ne l’ont pas attendu pour tenir un rôle majeur dans l’application et l’encadrement des mesures de confinement. Dire aux collectivités qu’il n’y aura pas « d’argent magique », c’est faire usage d’une formule peu respectueuse envers les élus et aller à rebours de la réalité qui est que les collectivités agissent et investissent avec célérité et efficacité face à cette crise et en faveur de biens communs indispensables à toutes et tous. L’État annonce soutenir les activités productives, mais risque bien de laisser de côté les collectivités et d’en faire une nouvelle fois une variable d’ajustement de Bercy et des injonctions des marchés financiers, en leur demandant encore de réaliser des économies, en invoquant encore une fois le lexique de la responsabilisation — pour ne pas dire de l’infantilisation — des élus locaux qui se démènent depuis des années pour faire plus avec moins de moyens. Nous refusons que les collectivités touchées directement par la crise de la covid-19, tant d’une manière physique sur les élus qui ont pris des risques sur le terrain — risques démultipliés par la tenue du premier tour des élections municipales — qu’économiquement par la récession à venir, soient sacrifiées. Nous demandons à l’État de soutenir les collectivités locales pour qu’elles puissent continuer leurs efforts.

Jacqueline Gourault, la ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, s’est exprimée sur la nécessité de regarder l’effet de la crise sur les finances des collectivités, nous le proposons dans le présent texte de loi ; elle estime également que les collectivités « ont une capacité d’imagination absolument géniale » et encourage les initiatives locales, nous lui demandons de leur en donner les moyens.

« Pour être à la hauteur de la situation de crise, nous devons penser l’après crise en faveur d’une dynamique de réduction des inégalités et injustices. »

La proposition de loi
L’article premier de cette proposition de loi porte création d’un fonds de soutien d’urgence aux collectivités d’un minimum de 7,5 milliards d’euros, à hauteur des évaluations de la perte de recettes récemment réalisées pour 2020 mais ajustable au regard des nouvelles estimations ; l’examen du projet de loi de finances pour 2021 nous permettra de renforcer une telle aide pour les pertes prévues l’année suivante.
L’article 2 crée un effet de cliquet empêchant de faire régresser la dotation globale de fonctionnement par rapport à l’année précédente.
L’article 3 permet une contemporanéité du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) pour l’ensemble des collectivités locales, afin de les encourager à maintenir leur niveau d’investissement.
L’article 4 abroge le dispositif de contractualisation dit des « contrats de Cahors » limitant les dépenses réelles de fonctionnement des collectivités à 1,2 % sous peine de sanctions.
L’article 5 demande au gouvernement de remettre au parlement un rapport sur les conséquences de la crise de la covid-19 pour les collectivités territoriales.
L’article 6 constitue le gage financier, une augmentation à due concurrence du taux de taxe sur les transactions financières et un élargissement de son assiette.

Cause commune n° 18 • juillet/août 2020