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Intervention en séance publique de Fabien Gay, sénateur PCF de la Seine-Saint-Denis, lors de la première lecture au Sénat du projet de loi relatif à l’énergie et au climat.

Madame la secrétaire d’État, si je devais résumer en quel­ques mots notre sentiment sur ce projet de loi, je dirais que nous en partageons l’ambition, mais que, comme souvent avec le gouvernement auquel vous appartenez, nous cherchons les moyens mis sur la table pour atteindre l’objectif. La Cour des comptes européenne estime que, pour amorcer la transition écologique en France, il faudrait investir 145 milliards d’euros par an sur dix ans, dont les deux tiers dans le transport et le logement.
À ce sujet, j’ai une question : où sont les filières industrielles nécessaires pour atteindre le mix énergétique visé et développer les énergies renouvelables, notamment l’éolien en mer, la méthanisation ou encore l’hydrogène décarboné ? L’urgence climatique est pourtant là ! La COP 21 de Paris s’était fixé pour objectif, en 2015, de maintenir le réchauffement climatique à moins de 2 degrés. Si nous ne changeons pas radicalement nos manières de consommer, de produire, de nous déplacer, notre politique énergétique et industrielle, en clair notre mode de développement, alors nous allons droit dans le mur.

Il y a urgence à mener une politique globale et radicale !
À cette allure, voici ce que nous allons laisser comme Terre en 2050 à nos enfants, et personne ne pourra dire que nous ne savions pas : des îles englouties par la montée des eaux, des ouragans et des cyclones plus intenses, de plus en plus d’épisodes de chaleur, comme celui que nous avons connu à la fin du mois de juin, des hivers de plus en plus rudes, un million d’espèces disparues, des feux de forêt qui se multiplieront. Ce scénario n’est pas le prochain film catastrophe hollywoo­dien, mais la réalité en train de se préparer sous nos yeux, avec pour conséquences l’explosion de la pauvreté, avec 100 millions de pauvres en plus à l’horizon de 2030, et le déplacement de 250 millions de réfugiés climatiques à l’horizon de 2050.
Bref, nous sommes en train de tuer notre planète et les espèces qu’elle porte, la nôtre incluse. Si nous ne prenons pas des décisions radicales aujourd’hui, le pouvoir politique sera devant un défi insurmontable dans dix ans : comment survivre sur une planète qui a subi des dommages irréversibles, avec près de 10 milliards d’habitants ? C’est donc une politique globale et radicale qu’il nous faut mener. Ni les slogans, ni les effets d’annonce, ni la politique des petits pas ne peuvent nous sauver !

« Les risques sanitaires, sociaux et environnementaux sont immenses : les accords de libre-échange vont à contre-courant de l’histoire ! »

Par ailleurs, la présentation de votre projet de loi est rattrapée cruellement par l’actualité : il est facile d’afficher l’objectif de la neutralité carbone en 2050 à l’article 1er, mais, pendant ce temps, l’Assemblée nationale est en train de ratifier l’Accord économique et commercial global (CETA), et l’Union européenne a signé un accord de libre-échange avec le Mercosur. Les risques sanitaires, sociaux et environnementaux sont immenses : ces accords de libre-échange vont à contre-courant de l’histoire !
Alors qu’il faudrait imposer le principe de coopération entre les peuples, vous érigez le principe de compétition en dogme. Alors qu’il est urgent et vital de relocaliser notre agriculture et notre production industrielle, vous préparez treize nouveaux traités de libre-échange, qui multiplieront le transport de marchandises au-dessus de nos océans. Un jour, pourtant, ces traités deviendront caducs, car ils seront reconnus comme crimes d’écocide, au même titre que les pollutions au plastique, au fioul et la déforestation à outrance pour le seul profit.

Votre dogme, réaliser des profits sur la transition verte
Madame la secrétaire d’État, tout peut-il être marché ? S’il s’était agi d’un sujet du baccalauréat de philosophie, nous n’aurions pas, je pense, rendu la même copie... Vous faites le pari que oui, car le capitalisme peut trouver une niche dans le développement des énergies renouvelables et réaliser des profits sur la transition verte. Cela coïncidant avec la prise de conscience de plus en plus prégnante des urgences climatiques dans l’opinion populaire, c’est tout un modèle de « croissance verte » qui est colporté par le gouvernement et sa fidèle majorité.

« Si nous ne changeons pas radicalement nos manières de consommer, de produire, de nous déplacer, notre politique énergétique et industrielle, en clair notre mode de développement, alors nous allons droit dans le mur. »

Mais, pour cela, il vous faut casser toutes les barrières, en commençant par mettre fin aux tarifs réglementés du gaz, puis en abattant progressivement les tarifs réglementés de l’électricité. Car, pour vous, une seule règle compte : la main invisible du marché ; et tant pis si cette main droite plonge des centaines de milliers de foyers supplémentaires dans la précarité énergétique !
C’est ce même dogme qui vous pousse à poursuivre la vente de l’énergie nucléaire au concurrent privé d’EDF, avec le déplafonnement de l’Accès régulé à l’électricité nuclé­aire Historique (Arenh). Là encore, alors que, contrairement à ce que vous avez affirmé, ce dispositif est, par ricochet, à l’origine de l’augmentation des tarifs réglementés de 5,9 % pour les foyers, soit près de 100 euros en moyenne, vous répondez aux injonctions des opérateurs privés et de leurs juteux profits.

« Nous sommes en train de tuer notre planète et les espèces qu’elle porte, la nôtre incluse. »

Pas un mot non plus sur la future concession de près de 150 barrages hydroélectriques au privé, alors qu’ils sont un élément essentiel pour stocker nos énergies renouvelables.
Votre but ultime n’est pas dans la loi, mais votre plan est maintenant connu : après avoir vendu Engie aux appétits financiers, vous préparez le démantèlement d’EDF. Le mécanisme est simple et connu : nationaliser les pertes, c’est-à-dire un nucléaire aujourd’hui déficitaire, et privatiser la distribution et les énergies renouvelables.
Vous voulez casser une entreprise publique intégrée pour livrer toute la filière au privé !

« Un jour, pourtant, ces traités deviendront caducs, car ils seront reconnus comme crimes d’écocide, au même titre que les pollutions au plastique, au fioul et la déforestation à outrance pour le seul profit. »

Mais, vous le savez, il faudra en passer par une loi pour finir de déréglementer tout le marché de l’énergie. Or, là encore, l’actualité vous rattrape, car les Françaises et les Français en ont marre de voir leur patrimoine bradé au privé, comme en témoignent les plus de 500 000 soutiens déjà exprimés au projet de loi référendaire pour Aéroports de Paris.
Nous mènerons donc une bataille acharnée pour éviter le démantèlement et la privatisation d’EDF. Car, nous, nous n’avons pas honte de le dire : si nous voulons réussir ce défi d’avenir, il nous faut un grand service public de l’énergie, qui réponde à la nécessité du XXIe siècle, sauver la planète et l’humain.
Pour conclure, je recommande à votre méditation cette phrase du chef sioux Sitting Bull : « Quand ils auront coupé le dernier arbre, pollué le dernier ruisseau, pêché le dernier poisson, alors ils s’apercevront que l’argent ne se mange pas. » Voilà où nous en sommes aujourd’hui !

Cause commune n° 13 • septembre/octobre 2019