Intervention prononcée le 10 juillet 2018, dans le cadre de la discussion en procédure accélérée du projet de loi Liberté de choisir son avenir professionnel.
Liberté, choisir, avenir : l’intitulé du projet de loi du Gouvernement offre un triptyque prometteur et fort séduisant. Malheureusement, et c’est l’objet de notre motion de question préalable, cet intitulé n’est que de l’affichage, de la communication, disciplines que votre gouvernement maîtrise parfaitement, reconnaissons-le.
Remise en cause des droits des salariés
Notons la constance de l’exécutif à poursuivre et à amplifier les réformes de remise en cause des droits des salariés. Avec les ordonnances Travail, peaufinant le dynamitage du Code du travail, et la loi PACTE, donnant les pleins pouvoirs aux chefs d’entreprise et aux actionnaires, ce nouveau projet de loi, qui affiche l’ambition de sécuriser les parcours des salariés, vise un double objectif : la marchandisation de la formation professionnelle et la remise en cause des principes solidaires et universels de la Sécurité sociale. Cette politique en parfaite adéquation avec le traité de Lisbonne poursuit et amplifie ce qui a, hélas, déjà été mis en place lors du précédent quinquennat. Les discours sont toujours les mêmes : renforcer les droits des salariés, lutter contre le chômage. Dans les faits, alors qu’aucun bilan n’a été tiré, chaque loi a, au contraire, affaibli les protections et garanties collectives, chaque texte détricotant au fur et à mesure notre Code du travail, sans relancer l’emploi.
C’est cette logique que nous mettons en cause aujourd’hui comme hier, d’où notre question préalable. Il s’agit non pas de critiques cosmétiques, mais de profondes remises en cause de votre politique de précarité et de flexibilité, qui appréhende les travailleuses et les travailleurs comme une main-d’œuvre corvéable à merci.
« La vision que nous défendons de l’apprentissage, c’est, d’une part, une complémentarité des modes et voies de formation, et non pas une mise en concurrence, et, d’autre part, la garantie d’enseignements de qualité et de droits sur le lieu de travail.»
Comment comprendre autrement la casse des instances censées les représenter, les défendre ? Fusion des les instances représentatives du personnel (IRP), médecine du travail réduite comme peau de chagrin, inspection du travail n’ayant plus les moyens de remplir ses missions, justice prud’homale mise à mal, tout cela, ne l’oublions pas, dans un contexte nouveau d’inversion de la hiérarchie des normes, avec des garanties qui sont non plus collectives, mais individuelles, et abandonnées au bon vouloir des entreprises. Le champ de ce qui a été détruit est considérable.
Des propositions inquiétantes
Fallait-il pour autant en rester au statu quo ? Certes non. De l’avis de toutes et tous, le système de la formation professionnelle est complexe, opaque, avec de trop nombreux organismes, des dispositifs souvent peu lisibles pour les salariés, et des résultats somme toute limités, alors que 32 milliards d’euros y sont consacrés chaque année. Et on le sait, puisque les chiffres de la dernière enquête INSEE le montrent, la formation professionnelle renforce les inégalités sociales et culturelles. La question qui nous est donc posée est de savoir si ce projet de loi va permettre de rééquilibrer l’accès à la formation professionnelle au profit des salariés les moins qualifiés, des chômeuses et des chômeurs.
Sincèrement, au groupe CRCE, nous ne le croyons pas, bien au contraire. En effet, ce que vous avez présenté devant la commission des Affaires sociales du Sénat, Madame la ministre, comme une véritable révolution, c’est en réalité permettre au privé de prendre encore plus sa place, sa part de marché, tout en supprimant les intermédiaires que sont les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA).
À ce sujet, je dois vous dire, Madame la ministre, que l’article 16 créant la future agence dénommée France compétences, nous inquiète particulièrement, tant sur la forme que sur le fond. Nous sentons poindre, permettez-moi l’expression, une nouvelle usine à gaz, avec remise en cause du rôle des partenaires sociaux.
Les débats et modifications apportées à l’Assemblée nationale sur la nature juridique de cette nouvelle instance nous donnent d’ailleurs raison. La sémantique est à cet égard révélatrice de votre projet, puisque vous ne parlez pas de connaissance et de qualifications, mais de compétences.
Dois-je d’ailleurs rappeler que le titre Ier de ce projet de loi s’intitule « Vers une nouvelle société de compétences » ? C’est là toute la différence entre votre approche et la nôtre : nous prônons une élévation du niveau des qualifications, la promotion d’esprits cultivés et critiques, la formation d’individus, de citoyennes et de citoyens qui s’épanouissent dans leur travail et qui ne sont pas là juste pour répondre aux besoins économiques de leur entreprise.
« Nous prônons une élévation du niveau des qualifications, la promotion d’esprits cultivés et critiques, la formation d’individus, de citoyennes et de citoyens qui s’épanouissent dans leur travail et qui ne sont pas là juste pour répondre aux besoins économiques de leur entreprise.»
Vous avez une vision court-termiste et adéquationniste entre les formations proposées et les besoins locaux des entreprises, et ce afin de développer l’employabilité et la flexibilité. L’une des mesures les plus emblématiques et significatives de votre conception est la monétisation du compte personnel de formation, qui, je le rappelle, a fait l’unanimité contre elle lors des négociations que vous avez menées. On entre bien là dans une marchandisation à outrance des droits, mais c’est aussi significatif d’un recul en termes de droit à la formation. Cela nous interroge tout particulièrement, dans un monde où les choses évoluent vite, où de nouveaux métiers sont en train d’émerger. En quoi la mobilité professionnelle va-t-elle être encouragée avec moins de droits ? Et je ne parle même pas de la disparition du congé individuel de formation.
Peut-être pourrions-nous croire que vous misez tout sur la formation initiale, mais, là aussi, nous avons quelques doutes et critiques quant au contenu de votre projet de loi sur l’autre volet important, à savoir l’apprentissage. Je tiens à dire d’emblée que, contrairement à certains poncifs, les parlementaires et élus communistes ne sont pas opposés à l’apprentissage, qui, nous le savons très bien, peut être une voie incontournable pour de nombreux élèves. Ce que nous rejetons, c’est la mise sous tutelle de l’apprentissage par le patronat, c’est la formation des jeunes, là encore, non pas pour les émanciper, mais, le plus souvent, pour répondre aux seuls besoins des entreprises. La vision que nous défendons de l’apprentissage, c’est, d’une part, une complémentarité des modes et voies de formation, et non pas une mise en concurrence, et, d’autre part, la garantie d’enseignements de qualité et de droits sur le lieu de travail.
Or votre projet de loi, notamment avec son article 8, qui modifie les règles encadrant le statut de l’apprenti, est là aussi particulièrement inquiétant : allonger la durée hebdomadaire de travail effectif des jeunes travailleurs de 35 heures à 40 heures n’est pas ce que l’on peut appeler un progrès social. De plus, votre proposition d’aligner les financements sur le nombre d’apprentis nous paraît particulièrement pernicieuse. C’est une prime aux CFA de grande dimension et un malus pour les petites structures, dont nombre risquent de fermer. Encore une fois, les inégalités territoriales et les inégalités d’accès à la formation vont augmenter.
D’ailleurs, permettez-moi, Madame la ministre, de vous poser une question : comment comptez-vous promouvoir l’apprentissage, alors que, dans le même temps, vous allez fermer les centres d’information et d’orientation (CIO), en finir avec l’Office national d’information sur les enseignements et les professions (ONISEP), bref, tout ce qui fait actuellement notre service public de l’orientation ? Bien évidemment, votre projet de loi n’acte pas aussi clairement cette disparition des CIO, mais le résultat est bien là, avec, on le sait, le risque d’une privatisation de l’orientation.
« Un gouvernement avait-il déjà osé aller aussi loin dans la suspicion à l’égard des personnes privées d’emploi, et ce dans un contexte de crise économique profonde et, paradoxalement, de suppressions de postes à Pôle emploi ? »
Enfin, je voudrais dire quelques mots sur l’assurance chômage, qui est le troisième pan important de votre réforme, et qui justifie également pleinement le dépôt de notre motion. La belle promesse du président Macron de permettre l’indemnisation des démissionnaires a, en vérité, une portée plus que limitée, puisqu’il faudra justifier d’une expérience professionnelle de sept ans – délai allongé par la commission des Affaires sociales – et avoir un projet de reconversion professionnelle réel et sérieux. Avec ces nouvelles conditions d’accès, ce sont à peine 30 000 personnes qui pourront bénéficier de ce dispositif. Cette belle promesse n’était donc que de la poudre aux yeux, mais je suppose que, sans ces critères, cela coûterait un « pognon de dingue », pour reprendre l’expression du président Macron. Dans le même temps, cette mesure, qui se veut généreuse, est à mettre en parallèle avec les sanctions prévues contre les chômeuses et chômeurs. Un gouvernement avait-il déjà osé aller aussi loin dans la suspicion à l’égard des personnes privées d’emploi, et ce, je le rappelle, dans un contexte de crise économique profonde et, paradoxalement, de suppressions de postes à Pôle emploi ?
A-t-on eu ou a-t-on la même démarche de contrôle et de sanction face aux grandes entreprises qui ont touché le CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, ou le CIR, le crédit d’impôt recherche, et qui devaient en contrepartie créer des emplois ?
Et que dire de la démarche inclusive que vous souhaitez favoriser, notamment pour le travail des personnes handicapées ? Je crois que, là aussi, on est véritablement loin du compte.
Au lieu de renforcer l’obligation d’employer des personnes handicapées à hauteur de 6 % des effectifs, vous l’assouplissez en permettant notamment une clause de revoyure tous les cinq ans ou en limitant le nombre d’entreprises concernées par cette obligation. De telles mesures ne sont pas dignes d’un projet de loi qui affiche l’ambition – permettez-moi de vous citer, Madame la ministre – de permettre aux actifs de « regarder l’avenir avec plus de confiance ».
Enfin, parlons de l’égalité professionnelle, sujet qui me tient particulièrement à cœur, et auquel, Madame la ministre, je vous sais attachée. Néanmoins, notre différence est là aussi très sérieuse, puisque vous partez du principe que, à travail égal, salaire égal, quand je dis, avec d’autres : travail à valeur égale, salaire égal. Croyez-moi, cette différence n’est pas minime.
Quant aux violences sexuelles et sexistes au travail, le patronat ayant émis son veto, les propositions syndicales ont été balayées d’un revers de main. Bien sûr, l’obligation pour l’employeur d’afficher les voies de recours civiles et pénales ouvertes en matière de harcèlement sexuel, obligation prévue à l’article 62, est intéressante, mais j’ai envie de dire que c’est tout de même le strict minimum. Notre désaccord porte bien sur le fond : nous appelons à une tout autre réforme. C’est le sens, notamment, de notre proposition d’une sécurité de l’emploi et de la formation, que des organisations syndicales nomment différemment, même si l’objectif est le même : chaque salarié doit pouvoir alterner, de sa sortie de formation initiale jusqu’à sa retraite, emplois stables correctement rémunérés et formations permettant d’accéder à de nouveaux emplois, avec la garantie d’une continuité de revenus, des droits élevés, donc des nouveaux pouvoirs d’intervention et de décision dans les entreprises. Ces propositions sont à mille lieues de ce que vous prônez ici, Madame la ministre.
En conclusion, je dirai que ces arguments, multiples et majeurs, mettent à mal la logique de votre projet de loi, Madame la ministre, et appellent, mes chers collègues, au vote de la motion tendant à opposer la question préalable. À tout le moins, compte tenu des différents rappels au règlement, provenant de pratiquement toutes les travées de notre assemblée, auxquels nous avons assisté, j’estime qu’une abstention massive, à défaut d’un vote positif, serait de nature à mettre les paroles en accord avec les actes.
Laurence Cohen est sénatrice (PCF) du Val-de-Marne.
• Cause commune n° 7 - septembre/octobre 2018