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Intervention prononcée le 17 septembre 2018, dans le cadre de la discussion générale du Projet de loi relatif à la lutte contre la fraude.

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Le 5 août dernier, le tribunal administratif suisse a refusé de transmettre aux autorités françaises les données de plusieurs milliers de clients de la banque UBS soupçonnés d’être fiscalement domiciliés en France. Et quel était le motif avancé par le tribunal ? « Le seul fait de détenir un compte bancaire en Suisse ne suffit pas. »
Pourtant, la banque suisse UBS, même si elle conteste les charges, est toujours sous le coup d’une
procédure judiciaire en France pour démarchage illicite et blanchiment aggravé de fraude fiscale. Et ce n’est pas une première. En 2014, UBS avait payé environ 300 millions d’euros pour éteindre des poursuites judiciaires. Le parquet lui reprochait d’avoir aidé de riches Allemands à échapper au fisc.

« En l’état actuel du texte, seulement la moitié des quatre mille huit cents plus gros dossiers de fraude fiscale, ceux qui dépassent le seuil des 100 000 euros, seraient transmis automatiquement à la justice. »

Grand pays de fromages, la Suisse reste surtout celui des coffres-forts bien gardés, malgré la mise en place de procédures d’échanges automatiques d’informations. Le bilan dé­taillé des fortunes détenues aujour­d’hui dans la confédération, à défaut de l’identité des bénéficiaires, a de quoi donner le vertige : plus de 2 100 milliards d’euros appartiennent à des non-résidents. Soit quasiment le PIB de la France.

Une triche fiscale planétaire
Évasion, optimisation, ou fraude fiscale, la nuance se niche dans l’épaisseur d’un mur de prison. Dans tous les cas, on retrouve cette opacité qui trahit ceux qui n’ont pas la conscience tranquille. Et si on parlait plutôt de « richesse manquante des nations » ? On peut toujours discuter les chiffres, bien sûr, mais l’accumulation des scandales, des révélations contribuent à dresser un panorama fidèle de la triche fiscale planétaire.

« Quel signal vous allez encore envoyer à nos concitoyens concernant cette Union européenne qui demande aux États de se serrer la ceinture mais refuse de s’attaquer aux paradis fiscaux bien connus qui siphonnent nos budgets ! »

Le montant des avoirs détenus dans les paradis fiscaux atteindrait désormais les 7 900 milliards d’euros, hors fraude des entreprises ! Voilà la réalité du phénomène, telle que la décrivent des économistes, des associations, des lanceurs d’alerte, en s’appuyant sur toutes les données statistiques existantes, voire, pour certains, sur une coopération étroite avec les administrations fiscales. Les multinationales délocalisent aujourd’hui une fraction considérable de leurs bénéfices vers les Bermudes, le Luxembourg et autres Îles Caïman. Pour résumer, je dirais que l’évasion fiscale est au cœur du réacteur nucléaire de la fraude. C’est elle qui siphonne nos recettes, met en péril les politiques publiques et détruit le pacte social en contournant le principe du consentement à l’impôt.

Pourquoi rester au milieu du gué ?
Dans un tel contexte, votre loi, malgré quelques avancées intéressantes, tient davantage du pétard mouillé que de la charge au canon promise. Certes, c’est à la fin du bal qu’on paye les musiciens, mais il reste beaucoup de travail pour être à la hauteur des enjeux.

« En Suisse, plus de 2 100 milliards d’euros appartiennent à des non-résidents. Soit quasiment le PIB de la France. »

Alors au chapitre des avancées, il y a évidemment l’assouplissement du verrou de Bercy. C’est bien. Mais pourquoi rester au milieu du gué ? En l’état actuel du texte, seulement la moitié des quatre mille huit cents plus gros dossiers de fraude fiscale, ceux qui dépassent le seuil des 100 000 euros, seraient transmis automatiquement à la justice. Ouf !
Mais les autres, les deux mille huit cents autres gros dossiers, ainsi que les dix mille deux cents dossiers que l’on dit « répressifs » resteraient soumis à l’appréciation de l’administration fiscale et de la Commission des infractions fiscales. On avance, certes, mais comme révolution, franchement, on a vu mieux ! D’autant que rien n’est prévu pour associer le parquet à l’administration fiscale dans la sélection des dossiers. Les députés communistes, en lien avec les ONG, vous feront des propositions.

« Nous avons déjà proposé, à deux reprises, l’organisation d’une COP fiscale. Qu’attend le président de la République, qui passe beaucoup de temps à l’étranger, pour réclamer une telle conférence ? »

En fait, votre projet de loi, c’est un pas en avant, un pas en arrière, c’est une valse-hésitation.
D’un côté, vous prévoyez la publication, par défaut, du nom des fraudeurs. C’est bien.
Mais, de l’autre, vous étendez à la fraude fiscale la procédure dite du « plaider coupable », qui permet, le plus souvent aux justiciables les plus puissants, de s’affranchir d’un procès public. Bref, toujours exonérés de la case prison.
Autre exemple. Où est la logique de vouloir assouplir le verrou de Bercy et dans le même temps d’ouvrir au champ fiscal la convention judiciaire d’intérêt public, mise en place dans le cadre de la loi Sapin 2 ? Vous savez, c’est cette mesure qui a permis à la banque HSBC, mise en cause dans une affaire de blanchiment de fraude fiscale, de s’en sortir avec une « simple » amende de 300 millions d’euros. Une transaction qui non seulement n’implique pas de reconnaissance explicite de culpabilité, mais surtout ne représente que 20 % des avoirs des clients de la banque qui se sont soustraits à l’impôt.
Enfin, le plus important : votre dispositif sur les paradis fiscaux. Là, on part quand même de très loin ! Mais vous nous proposez purement et simplement d’ajouter à la liste française actuelle… la liste noire de l’Union européenne. Avec ça, les plus grands fraudeurs de la planète vont trembler, c’est sûr !
Je ne résiste pas au plaisir de vous citer des paradis fiscaux qui subiront demain, avec votre loi, la foudre du fisc et de la justice française : Botswana, Brunei, Guatemala, Îles Marshall, Nauru, Niue, Panama, Guam, Îles Vierges américaines, Namibie, Samoa, Samoa américaines, Trinité- et-Tobago et Palaos. Le Palaos, dangereux repaire de la flibuste financière, riche de quelque vingt et un mille âmes, bien plus petit que votre ville de Tourcoing !
Par curiosité, j’ai cherché à connaître le palmarès de l’évasion fiscale dans ce territoire de contrebande si redouté, ainsi qu’à Niue et Nauru. Réponse de l’expert sollicité, professeur d’économie en Californie : « Il n’y a pas de données parce qu’il ne se passe rien de significatif dans ces territoires. » Comme dirait un ancien président de la République : « Notre maison finance brûle et nous regardons ailleurs. » Oui, nous regardons ailleurs, alors que les places fortes de l’évasion fiscale sont parfaitement identifiées. Elles sont tellement bien identifiées que selon l’association OXFAM, si l’Union européenne appliquait objectivement ses critères, trente-cinq États et territoires mériteraient d’être listés. Parmi eux, bien sûr, la Suisse, l’Irlande, les Pays-Bas, le Luxembourg, Malte… Ou encore le petit état américain du Delaware, et la commune de Wilmington : Wilmington, ville de soixante et onze mille habitants célèbre pour son immeuble de deux étages et ses deux cent quatre-vingt-cinq mille boîtes aux lettres, répondant aux noms d’Apple, Google, American Airlines, Coca-Cola, General Electric…
Comment votre loi peut-elle être crédible quand elle passe si ostensiblement à côté de la réalité ? Quel signal vous allez encore envoyer à nos concitoyens concernant cette Union européenne qui demande aux États de se serrer la ceinture mais refuse de s’attaquer aux paradis fiscaux bien connus qui siphonnent nos budgets !
Il faut arrêter d’exclure d’emblée les pays membres qui ne jouent pas le jeu de la justice fiscale et qui volent sans honte les recettes de leurs voisins. Là aussi, nous ferons des propositions, notamment sur la gradation des sanctions en fonction des territoires. Nous reprendrons d’ailleurs beaucoup de dispositions qui figuraient dans notre proposition de loi du mois de mars sur les paradis fiscaux.
La lutte contre l’évasion et la fraude fiscales mérite mieux qu’une réformette. Elle doit être inscrite dans la Constitution. Elle doit aussi faire l’objet d’une mobilisation internationale, au sein de l’ONU. Nous avons déjà proposé, à deux reprises, l’organisation d’une COP fiscale. Qu’attend le président de la République, qui passe beaucoup de temps à l’étranger, pour réclamer une telle conférence ?
La France doit demander à l’ONU de se saisir de ce fléau. Il n’y a, à ce jour, pas un seul service, pas un seul agent de l’ONU qui s’attaque aux paradis fiscaux.
En l’état, le dispositif que vous nous proposez est à nos yeux clairement insuffisant. Nous avons déposé plus de cinquante amendements, dans le droit fil du travail que nous menons sur le sujet depuis des années : comptez sur nous pour les défendre !

Fabien Roussel est député PCF du Nord.